dimanche 12 août 2018

Une synagogue hassidique roumaine abandonnée devient un club de jazz casher........


Construite par la communauté Vizhnitz avant la Deuxième guerre mondiale, le bâtiment accueille aujourd'hui une vie artistique variée....


ORADEA, Roumanie – Sur une bande de route négligée, non loin du complexe qui accueille la plus grande partie des infrastructures juives de la ville, se trouve un bâtiment en briques sans éclat. Au-dessus de l’entrée, un petit panneau : « Casher », peut-on modestement y lire, tandis qu’au-dessous est écrit : « Vin. Café. Jazz ».
Avec sa façade couverte de graffitis, l’endroit ressemble difficilement à un club de jazz – pas plus qu’il ne ressemble d’ailleurs à une vieille synagogue Vizhnitz. Et même si les lieux sont encore désignés sous cette appellation sur Google Maps, cela fait plus de 80 ans que personne ne s’y est recueilli pour prier.
Lors d’une journée ensoleillée de début d’automne, ils sont allongés sous les parasols, dans des fauteuils surdimensionnés qui ressemblent davantage à des matelas. Une musique d’ambiance s’échappe de l’intérieur du bar. Un jeune couple discute tranquillement tandis que le barman se détend à proximité, fumant une cigarette.
Le propriétaire du bar, Andris Sella, explique que le bien qu’il loue dorénavant à la communauté juive a une histoire troublante, et qu’il a changé plusieurs fois de mains. Ce qui, en soi, n’est pas une mince affaire : Oradea a été tour à tour gouvernée par les Turcs, l’empire austro-hongrois et les Soviétiques, entre autres, avant de faire partie de la Roumanie contemporaine.
Un groupe de Vizhnitz Hassidiques visite le site de la synagogue construite par leur secte en 1933 et abandonnée en 1936 avant l'Holocauste (Autorisation)
Un groupe de Vizhnitz Hassidiques visite le site de la synagogue construite par leur secte en 1933 et abandonnée en 1936 avant l’Holocauste (Autorisation)
« Il s’agissait à l’origine d’une synagogue construite par la secte hassidique Vizhnitz en 1933 », explique-t-il, « même s’ils ne l’ont utilisée que pendant trois ans avant de s’enfuir pour échapper à l’antisémitisme qui ne cessait de croître avant la Deuxième guerre mondiale ».
Sella indique que lorsque la ville d’Oradea s’est trouvée entre les mains des nazis, les milices fascistes des Croix fléchées ont utilisé le bâtiment pour torturer les Juifs de la ville, une tentative d’extirper à leurs propriétaires tous leurs objets précieux. Peu de temps après, l’endroit a été transformé en hôpital et a accueilli des patients pendant tout le reste de la guerre.
Andris Sella, gérant du bar casher de jazz et du théâtre indépendant (Autorisation)
Andris Sella, gérant du bar casher de jazz et du théâtre indépendant (Autorisation)
« Lorsque je l’ai eu, le bâtiment était une usine de meubles », ajoute Sella. « C’était une usine de fabrication depuis la fin des années 1940 ».
Sella explique que le club de jazz n’était pas son intention initiale mais que les choses se sont mises en place naturellement.
« J’importais des vins d’Israël depuis 2007 », dit cet habitant d’Oradea qui a la quarantaine. « J’ai d’abord utilisé le grand espace où se trouvait la synagogue comme entrepôt pour stocker les vins ».
« Là où se trouve maintenant le bar, on ne vendait que du café mais on a voulu aussi avoir un endroit où les gens pourraient goûter les vins », dit-il. « Alors on a commencé à les faire se rassembler ici pour des dégustations ».
Sella explique qu’il a été propriétaire d’un club populaire dans le centre de la municipalité, qu’il a vendu en 2013. Après que la partie avant de la synagogue a été utilisée pour des dégustations, elle s’est transformée en bar à plein temps.
« Je suppose que c’est dans mon ADN d’avoir un bar », dit-il. « Et de là, c’est passé du vin au jazz – j’aime la musique jazz, et le vin et le jazz vont toujours ensemble alors ça s’est fait naturellement ».
Naturelle également a été la décision prise par Sella d’entrer sur le marché du vin israélien – ce distributeur de vins israéliens et casher à travers toute l’Europe de l’est s’était installé en Israël en 1997 à l’âge de 19 ans et il possède la nationalité israélienne.
L'intérieur du petit bar de jazz casher d'Oradea. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israel)
L’intérieur du petit bar de jazz casher d’Oradea. (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israël)
Il avait dû revenir en Roumanie trois ans après, sa mère étant en phase terminale de maladie. Mais il indique qu’il se rend encore en Israël deux ou trois fois par an et qu’il a de la famille à Safed.
« J’avais voulu m’installer là-bas parce que je suis Juif », explique Sella.
« J’avais visité Israël quand j’étais gamin avec mes parents, et le pays m’était déjà familier. Durant toute mon enfance, ma famille a été active au sein de la communauté juive et on célébrait les fêtes – je faisais même partie du choeur, même si je n’avais aucune voix. Alors vous savez, j’adore Israël et notre ‘eretz’ m’attire », ajoute-t-il, utilisant le mot hébreu pour désigner la terre.
Après avoir ouvert son établissement aux concerts, Sella a décidé de le mettre à disposition d’autres créateurs également. Il a commencé à stocker ses vins ailleurs et a transformé son plus grand espace en un lieu où les artistes peuvent présenter leurs oeuvres.
L'extérieur du théâtre indépendant d'Oradea. (Autorisation)
L’extérieur du théâtre indépendant d’Oradea. (Autorisation)
« Je voulais que les lieux soient consacrés à la culture. Alors d’abord, on a commencé avec des expos photos, et après ça, les peintres ont lentement commencé à venir pour présenter leur travail, puis on a mis en place des soirées piano et des soirées violon. Et puis, les jeunes acteurs ont voulu un endroit pour travailler à côté du théâtre d’Etat », raconte-t-il.
Sella laisse les artistes – comme il a laissé plus tard les acteurs et le personnel du théâtre – utiliser gratuitement l’endroit, un geste qui est bien plus que symbolique.
« Il fallait que je paie la location, mais bien sûr les autres factures également : le chauffage pendant l’hiver, l’électricité, l’eau. Cela m’a coûté cher mais je pense que cela valait le coup », dit-il.
L’initiative a payé. L’espace a finalement été utilisé uniquement pour le théâtre, et il est dorénavant connu dans tout le pays, attirant des comédiens en provenance de la Roumanie entière.
Des acteurs font une lecture de table au théâtre indépendant d'Oradea (Autorisation)
Des acteurs font une lecture de table au théâtre indépendant d’Oradea (Autorisation)
Le théâtre indépendant nous a aidés à nous positionner sur la carte », dit Sella. « Je ne pense pas que le bar de jazz aurait suffi à le faire ».
Aujourd’hui, les artistes donnent un petit pourcentage de leurs recettes nocturnes pour aider à couvrir les coûts de fonctionnement. Sella indique que s’il n’y a malgré tout pas assez d’argent pour payer les factures, il comble les manques de sa poche – et il ne semble pas le regretter. Il fait rapidement part de sa fierté concernant le projet mis en place actuellement et le sujet abordé par les jeunes acteurs et réalisateurs cette année – la relation difficile entretenue par la Roumanie et la Hongrie voisine, ainsi que la vie sous le communisme dans un passé qui n’est pas si éloigné.
Sella voudrait raconter davantage d’histoires juives roumaines et prévoit de créer un festival de théâtre juif à Pessah, l’an prochain, s’il peut obtenir des financements.
L'extérieur du bar casher de jazz et du théâtre indépendant d'Oradea (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israël)
L’extérieur du bar casher de jazz et du théâtre indépendant d’Oradea (Crédit : Yaakov Schwartz/Times of Israël)
Il explique que la ville possède une histoire juive incroyablement riche et qu’avant la Shoah, plus d’un tiers des 90 000 habitants de la municipalité étaient des Juifs.
« Nous avons construit cette ville », s’exclame-t-il.
Il décrit aussi la difficulté qu’a rencontrée la communauté juive lorsqu’elle a voulu récupérer ses biens, de nombreuses décennies après la guerre.
« Cela a été très difficile de récupérer les biens, ils ont été rendus tardivement, beaucoup de gens sont morts entre-temps ou avaient déménagé et n’ont jamais pu retrouver ce qui leur appartenait », explique-t-il.
Alors que le studio et ce qui est présenté ont su attirer l’attention dans tout le pays, Sella nourrit encore de grandes ambitions pour l’avenir et voudrait voir l’espace se transformer en un centre culturel entier accueillant des expositions multidisciplinaires qui comprendraient musique, sculpture, peinture, et davantage encore.
« Je veux attirer des fonds européens pour faire quelque chose comme ça – c’est un défi et il faudra beaucoup d’argent pour rénover l’endroit mais la communauté juive se tient à mes côtés », dit-il.

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