vendredi 27 juillet 2018

Des Albanais musulmans ont sauvé des milliers de Juifs sous la Shoah....


Les experts ne sont pas sûrs que la religion ait joué un rôle dans les actes humanitaires d'une secte hautement secrète..


TIRANA, Albanie (JTA) — Presque partout ailleurs en Europe occupée par les nazis, une rencontre avec la police aurait probablement scellé le sort des réfugiés juifs comme Nissim et Sarah Aladjem et leur fils de 10 ans, Aron.
Au lieu de cela, lorsque la famille a été arrêtée par la police dans la nation musulmane d’Albanie il y a 75 ans, cela été la clé de leur survie.
La famille fuyait la Bulgarie lorsqu’elle a été arrêtée par cinq policiers travaillant pour les forces de l’occupation. Au lieu de les remettre aux occupants, comme ils auraient dû le faire avec des étrangers juifs sans papiers, l’un des policiers a aidé les Aladjem à trouver un abri avec d’autres habitants.
Loin d’être inhabituel en Albanie, les actions de cet officier en 1943 — son identité n’a pas été révélée — attestent de la prédominance et de l’audace dans les efforts pour sauver les réfugiés juifs dans cette nation située au nord-est de la Grèce. C’est peut-être le seul pays occupé par les nazis qui a eu plus de Juifs après la Shoah qu’auparavant.
Dû en partie à ce que les habitants appellent Besa, un code d’honneur local qui inclut un comportement de bon voisinage, le sauvetage de Juifs par des Albanais et la survie d’environ 2 000 Juifs pendant des décennies étaient restés largement dans l’ombre. Mais grâce à des études et des films récents, leur acte reprend sa place qui lui revient et devient un rayon de lumière rare pendant cette période sombre.
L’histoire des Aladjem est racontée dans un documentaire primé en 2012 intitulé « Besa : The Promise » [Besa : la promesse]. Il raconte l’histoire de Rifat Hoxha, qui était à la tête d’une pâtisserie-boulangerie dans laquelle la famille avait été emmenée par le policier et qui leur a trouvé leur refuge.
Le film suit l’histoire improbable de la façon dont, il y a dix ans, le fils de Hoxha, Rexhep, a rendu trois livres de prières juifs aux membres de la famille Aladjem vivant en Israël. Pendant la guerre, ses invités juifs avaient confié la garde des livres de prière à Hoxha après s’être caché chez lui pendant six mois.
Comme beaucoup d’autres Juifs qui ont survécu en Albanie, réfugiés pour la plupart de la Grèce, de l’Italie, de la Bulgarie et de la Serbie, le sauvetage des Aladjem était « un secret de polichinelle », a expliqué Rexhep Hoxha, père de deux enfants né en 1950, au JTA.
« Non seulement la police le savait, mais tous les voisins le savaient aussi. Il y avait un cercle de silence. C’est quelque chose lié à notre culture. Vous ne trahissez pas votre invité, et vous ne trahissez certainement pas votre voisin. »
Pour accommoder les Aladjem, Hoxha, qui mourut en 1987, ferma sa boulangerie au moment le plus chargé de l’année, la police avait amené les Juifs à son magasin juste avant la fête de l’Aïd al-Fitr, et les ramena chez lui, s’est remémoré Aron Aladjem dans le film. Puis il les a placés dans une pièce occupée par ses beaux-parents, qui ont temporairement déménagé pour faire de la place aux invités.
« Mon grand-père était un religieux musulman. Pour qu’il quitte sa maison et fasse de la place pour cette famille juive, pour moi il n’y avait pas de tolérance plus belle que celle-ci », a déclaré Rexhep Hoxha. Israël a reconnu son père à titre posthume en 2015 en tant que Juste parmi les Nations — un titre honorifique remis par l’État juif aux non-Juifs qui ont risqué leur vie pour sauver les Juifs pendant la Shoah.
Dans de nombreux cas, de nombreux membres des familles des sauveteurs étaient au courant des actes des membres de leurs familles et se sont impliqués également, selon un essai publié en 2008 par des chercheurs de Yad Vashem.
« Cela incluait la famille élargie et même quelques amis proches », explique le texte. « Souvent, les Juifs étaient placés chez les parents et les amis ».
Certains des juifs cachés — et en particulier les 200 juifs nés en Albanie qui ont survécu à la guerre — se sentaient assez en sécurité pour exploiter de petites entreprises pendant les années d’occupation, selon l’essai. Certains n’ont jamais pris la peine de se cacher, faisant confiance à leurs voisins pour ne pas les dénoncer et les avertir avant les inspections.
L’Albanie compte actuellement 75 justes — un petit nombre en termes absolus mais qui, examiné relativement, signifie qu’un Juif là-bas était au moins 10 fois plus susceptible d’être sauvé qu’en Lituanie, qui compte près de 900 justes, ou la Pologne, qui en a 6 706.
L’année dernière, à l’occasion de la Journée internationale du souvenir de l’Holocauste, le ministère albanais des Affaires étrangères a organisé à Tirana une conférence intitulée « nous nous souvenons : promouvoir les droits de l’homme à travers l’éducation et le souvenir de l’Holocauste ».
Des traces de l’hospitalité du code de Besa sont encore visibles aujourd’hui en Albanie rurale, une république adriatique dont les montagnes vertes et noires sont marquées par des milliers de bunkers abandonnés datant de l’époque de la Guerre froide construits par son dictateur communiste Enver Hoxha (qui n’a aucun rapport avec Rifat).
« Si je me déplace pour le travail et que je suis coincé quelque part, je n’ai qu’à frapper à la porte de quelqu’un et j’ai un endroit où dormir pour la nuit », a déclaré Petrit Zorba, météorologue et directeur de la Société d’amitié Albanie-Israël.
Les conducteurs préviennent, souvent avec leurs phares, les autres conducteurs de la présence de radar ou de policiers à Tirana, une ville chaotique mais propre qui accueille un million d’habitants et où l’appel à la prière de la mosquée Ethem Bey est entendu plusieurs fois par jour sur la place principale de Skanderbeg.
Selon Zorba, le sauvetage des Juifs en Albanie était « une question de tradition et avait très peu à voir avec la religion ». Yad Vashem n’a aucune idée du rôle que la religion a joué dans les efforts de secours. Mais Baba Mondi, le chef de la secte secrète Bektashi chiite, dont le siège est en Albanie, affirme que le rôle de la religion dans le sauvetage était à la fois central et indirect.
Baba Mondi, chef de la secte Bektashi des musulmans albanais dans son bureau de Tirana, le 7 novembre 2017 (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
« En Albanie, il existe une tradition de tolérance religieuse », a déclaré au JTA en novembre, Baba Mondi, portant sa traditionnelle robe blanche et verte et son chapeau ressemblant à un fez. « Cela ne me dérangerait pas que mes enfants épousent un juif, un chrétien, qui que ce soit. Alors que le sauvetage ne vient peut-être pas d’un commandement religieux, il est né d’un environnement religieux où tous les êtres humains sont nos frères. »
Il a accordé l’interview au centre mondial de sa secte — une magnifique structure en forme de dôme avec 12 arcades qui a été inaugurée dans la banlieue est de la ville en 2015. Son plafond orné présente des motifs arabesques et des symboles traditionnels Bakteshi disposés autour d’une tourelle surélevée. Les jours ensoleillés, son dôme doré reflète et amplifie la lumière qu’il attrape du sommet enneigé du mont Dajti qui surplombe Tirana.
Volubile lorsqu’il s’agissait d’évoquer le sauvetage des Juifs, Baba Mondi a cependant refusé de révéler quoique ce soit de substantiel sur les coutumes de sa secte, qui a été persécutée pendant des siècles par d’autres musulmans pour ses interprétations mystiques de l’islam.
En plus de la Besa, la nature relativement bénigne de l’occupation allemande a peut-être aussi joué un rôle dans la façon dont les Albanais étaient plus disposés à accueillir les Juifs que les Polonais, les Ukrainiens et les autres pays à travers l’Europe occupée.
« Les autorités allemandes n’ont pas agressivement recherché, expulsé ou exterminé les Juifs d’Albanie après avoir occupé le pays en novembre 1943 », selon Daniel Perez, un historien qui a écrit sur les années de l’Holocauste en Albanie dans un livre intitulé « Ramenez le passé à la lumière ».
Mais Aron Aladjem affirme qu’il a été témoin d’une réalité différente.
« Les Allemands ont régné là-bas et sur chaque arbre, chaque poteau électrique, nous avons vu pendre des partisans — beaucoup d’entre eux étaient pendus pour effrayer les gens [et les pousser à] ne pas cacher les partisans et les Juifs », se souvient-il dans le film.
Les Allemands, qui ont remplacé les Italiens en 1943 en tant que force d’occupation en Albanie, n’étaient pas les seuls que Hoxha devait surveiller, selon son fils.
« Avoir un livre religieux, juif ou musulman, n’était pas une bonne idée pour notre famille sous le communisme », a expliqué Rexhep Hoxha. « Tout lien avec les Juifs ou Israël, dont on nous a dit qu’il était un ennemi du socialisme, était mal avisé. »
La culture du silence sous le communisme explique en partie pourquoi le sauvetage des Juifs albanais est resté relativement inconnu depuis des décennies, selon les chercheurs de Yad Vashem. L’empreinte de l’ère communiste, écrivaient-ils, a fait craindre aux gens d’être liés au ‘mauvais’ groupe de résistance, même après que le régime a été changé ».
Et les Albanais avaient de très mauvais groupes de résistance. Plus particulièrement, la 1ère Division algérienne des Waffen SS, dirigée par des centaines d’Albanais de souche — dont beaucoup d’entre eux venaient de Bosnie et du Kosovo et qui, pendant les occupations allemande et italienne, avaient été regroupés en Albanie. Les détails de leurs activités sont sommaires, mais ils sont connus pour avoir rassemblé des Juifs qui appartenaient à un groupe d’au moins 249 Juifs kosovars qui se sont retrouvés au camp de concentration de Bergen-Belsen en Allemagne, selon Perez.
Mais selon certains historiens, de nombreux Juifs rassemblés par des collaborateurs albanais ont été transférés dans des camps à sécurité minimale en Albanie proprement dite, où la grande majorité ont été maintenus en vie au mépris des ordres et de la politique pour les Juifs en Allemagne.
En raison de ces complications et de la censure de l’ère communiste, le premier récit écrit de l’histoire du sauvetage a été publié relativement tard, en 1992, après la chute du communisme.
L’une des premières histoires à avoir vu le jour a été celle de Beqir Qoqja, un tailleur musulman qui, en 1943, a accueilli son ami, un Juif du nom de Avram Eliasaf Gani de la ville de Vlore, après que les Allemands eurent arrêté le frère de Gani.
Qoqja, reconnu comme Juste parmi les Nations en 1992 et mort en 2005, a accueilli Gani au péril de sa vie à Tirana, où Qoqja vivait avec sa femme, Naile, et au moins avec l’une de ses filles, selon Fatos, le fils de Qoqja.
« Un jour, un cinéaste juif m’a dit que si on lui demandait de risquer la vie de son propre enfant pour sauver celle d’un autre homme, il ne le ferait pas », a déclaré Fatos, 67 ans, qui a deux enfants. « Mais je ferais exactement ce que mon père avait fait. C’est Besa. »
Au début des années 1990, les sociétés européennes ont pris conscience du côté obscur du code d’honneur albanais : le meurtre d’hommes, y compris d’innocents, dans les vendettas et les crimes d’honneur dictés par le code de Kanun. Ils ont coûté des milliers de vies et envoyé des milliers de personnes en exil en tant que demandeurs d’asile.
Malgré les cruautés du système Kanun, les Albanais ordinaires ont trouvé la violence nazie contre les Juifs inadmissible parce qu’elle visait les femmes et les enfants, selon Eliezer Papo, un spécialiste de l’histoire juive balkanique de l’université Ben Gurion du Néguev en Israël.
« L’humanité commune, enracinée dans l’ethos tribal et patriarcal albanais, a contraint ces gens à sauver les Juifs », a suggéré Papo. Et tandis que « les hommes qui tuent d’autres hommes font partie de la vie dans la tradition albanaise, cibler des femmes est une monstruosité indescriptible ».
Il a noté que tuer des dizaines d’hommes d’une même famille pour venger le meurtre d’un seul membre d’un clan en conflit n’est pas rare en Albanie.
« Mais ces mêmes familles ennemies, » conclut Papo, « risqueraient tout pour sauver les filles de l’autre. »

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