Depuis quelques années, l'ambition de la première dame était claire : succéder à son mari à la tête de la Tunisie. Crédits photo : FETHI BELAID/AFP
INTERVIEW - Influente, intelligente, assoiffée d'argent et de pouvoir, l'épouse de Ben Ali a fait l'objet des plus folles rumeurs. Auteur d'une enquête approfondie sur la «régente de Carthage», le journaliste Nicolas Beau revient pour le figaro.fr sur cette personnalité honnie des Tunisiens.
LEFIGARO.FR. - Beaucoup de rumeurs circulent sur le compte de l'ex-première dame tunisienne. Mais qui est-elle vraiment ?
Nicolas BEAU. - Leïla Trabelsi traîne en effet une réputation assez sulfureuse, largement fausse d'après les éléments que nous avons pu recueillir. Beaucoup des rumeurs qui circulent sur son compte, notamment sur Internet, ont été propagées par des opposants. C'est en fait une femme qui, jusqu'à sa rencontre avec Ben Ali, a eu un parcours assez classique dans la Tunisie moderne, menant une vie de femme libre et indépendante. Elle s'est mariée, avant de divorcer à 21 ans, elle gagnait sa vie, elle sortait…
Deux éléments ont beaucoup contribué à la confusion autour de son passé. D'une part, ce que nous révélons dans le livre* : il y a eu une deuxième Leïla Trabelsi. Une homonyme, au passé assez similaire sur bien des points, et qui a également circulé dans les allées du pouvoir… jusqu'à son étrange disparition. D'autre part, dans une volonté d'amnésie totale, le régime tunisien a empêché toute production sur l'histoire contemporaine du pays, a fortiori quand cela concernait le passé de Ben Ali ou de sa femme.
Quelle première dame était-elle ?
Elle est devenue la maîtresse quasi-officielle de Ben Ali en 1984, jusqu'à leur mariage en 1992. Dans un premier temps, c'est une première dame assez classique. Incarnant bien la femme tunisienne moderne, elle joue un rôle d'icône dans le cadre de la lutte contre l'intégrisme. Mais très vite, elle cherche à placer toute sa famille et fait preuve d'une espèce de boulimie d'argent énorme. Peu à peu, son clan va ainsi mettre la main sur tous les pans de l'économie tunisienne. C'est une femme très intelligente, qui a réussi à s'imposer au palais de Carthage au point d'en devenir une véritable «régente».
Le premier ministre tunisien a dit avoir «l'impression» qu'elle tenait les les rênes du pouvoir ces dernières années. Était-ce le cas ?
On peut dire qu'il y avait depuis dix ans une sorte de cohabitation au palais de Carthage, un partage des rôles. Leïla Trabelsi gérait l'argent de son clan mais aussi beaucoup de dossiers tunisiens importants dans le monde du business: les gros contrats de concessions avec l'étranger, l'import-export... Le président Ben Ali gérait toujours l'appareil sécuritaire, qu'il connaissait par cœur. Sur la fin, Ben Ali déclinant et elle étant plus jeune, elle a pesé de plus en plus sur les décisions du régime.
Jusqu'à envisager de succéder à son mari ?
Son ambition transparaissait clairement depuis deux ou trois ans, où elle apparaissait plus dans des moments politiques. Mais elle savait que succéder en personne à Ben Ali ne serait pas simple. D'abord, parce qu'elle avait contre elle le RCD, le parti du président déchu, qui se méfiait d'elle. Ses membres, pour beaucoup issus de la bourgeoisie tunisienne, n'avaient que mépris pour cette femme venue de rien et qui prétendait jouer un rôle de premier plan. Ensuite, le soutien de l'armée lui manquait, tout comme à son mari d'ailleurs, ainsi que l'ont prouvé les récents événements. Enfin, Wikileaks a révélé que les Etats-Unis surveillaient de près son clan, qualifié de «quasi-mafieux».
Peut-on imaginer de la voir jouer à nouveau, un jour, un rôle de premier plan en Tunisie ?
Le couple est dans une bien mauvaise posture. Sur la scène internationale, leurs amis se font rares. Quant à la Tunisie, Leïla y est très détestée. Il est d'ailleurs probable que si le couple était resté là-bas, elle ne serait plus de ce monde. Peut-être auraient-ils même fini comme les Ceausescu (le couple dictateur roumain fusillé lors de la chute du régime communiste, ndlr). En tout état de cause, la «régente» est finie.
* «La Régente de Carthage, main basse sur la Tunisie», de Nicolas Beau et Catherine Graciet (La Découverte, 2009).
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