J’étais à Jérusalem en l’an 2000, avec un groupe d’enseignants suisses romands auquel je présentais – dans le cadre de l’Institut Yad Vashem – les conséquences catastrophiques de l’antijudaïsme chrétien aboutissant, entre autres, à la Shoah. Invité, en tant que prêtre genevois de passage, par le Patriarche Sabbah à sa table au Patriarcat Latin, je garde un souvenir étrange de ce moment d’échange. Au cours du repas, le Patriarche d’alors, d’origine jordanienne, me dit, comme s’il récitait la ligne du Parti : « Vous savez, nous Arabes Palestiniens, sommes les descendants des apôtres de Jésus ! ».
Instinctivement, je lui répondis : « Monseigneur, je ne vous comprends pas bien. Les Apôtres de Jésus étaient comme lui des hommes du pays, de la Judée, pays des Juifs, ou de la Galilée. Le premier message apostolique s’est nourri de la tradition d’Israël dont il se voulait la continuité. Les Arabes, quant à eux, sont venus d’Arabie, au moment de l’islamisation de la région par l’épée, mais surtout pour la plupart, au début du 20ème siècle, lorsque les Juifs, enfin de retour sur leur terre ancestrale, ont remis en valeur l’économie locale. Je ne saisis pas bien le sens historique de votre propos… ». Le Patriarche reprit : « Mais vous pouvez lire dans Les Actes des Apôtres que lors de la Pentecôte, parmi les peuples présents à Jérusalem, il y avait des Arabes ». « Monseigneur, lui dis-je, les Arabes présents à Jérusalem, comme les Mèdes ou les Perses dont il est question, sont tout simplement des Juifs venant de ces pays mentionnés et qui sont là comme chaque année aux grandes fêtes de pèlerinage comme la Pâque juive ou comme Shavouot. Ces fêtes rassemblent des Juifs de tous les pays de la diaspora, à la manière d’une anticipation symbolique du message d’Ezekiel, prophète du retour d’exil à Jérusalem »
Le Patriarche sembla fâché de ne pas avoir en face de lui un ecclésiastique européen formaté, c'est-à-dire un interlocuteur acquis d’avance à l’idéologie partisane qu’il développait habituellement dans ses sermons, et il changea brutalement de sujet de conversation. Mais son secrétaire, après le repas, me fit la réflexion suivante, d’un air réprobateur : « Contrairement à ce que vous semblez penser, vous devez savoir qu’Israël n’est qu’une parenthèse de l’histoire ! Israël croit qu’avec la force il gagnera sur les Palestiniens. Mais vous verrez, dans quelques semaines, des événements vous démontreront le contraire » (En effet, peu de temps après, allaient éclater les heurts de la deuxième Intifada, prétextant la visite d’Ariel Sharon au Kottel comme motif de la violence de rue).
Dès mon retour à Genève, je fis part de mes interrogations au Cardinal Jean-Marie Lustiger, lui précisant que des troubles graves semblaient comme programmés. Aussitôt, l’archevêque de Paris me répondit simplement : « Je suis au courant ; la situation est explosive ». Cet aspect de la pensée négationniste (ou néga-sioniste) du Patriarche (et de nombreux dignitaires arabes chrétiens) apparaît clairement dans son ouvrage publié quelque temps après (« Paix sur Jérusalem »), un manifeste élaborant une théologie palestiniste de remplacement en parfaite contradiction avec la pensée de Vatican II mais aussi avec l’action providentielle des trois décennies de pontificat de Jean Paul II au service du rapprochement judéo-chrétien.
Comme si la situation de la Terre Sainte n’était pas prioritairement concernée par l’urgence de rétablir des relations fraternelles entre chrétiens et juifs, dans l’esprit du premier siècle, avant les dérives fratricides et les errements théologiques qui ont suivi. Si l’Eglise ne réagit pas avec intelligence et promptitude, c’est l’histoire qui sera juge de cette pensée néo-marcioniste encore virulente parmi les chrétientés du Proche-Orient et hélas de plus en plus infiltrée dans les mentalités occidentales, puisque encouragée par un antisémitisme musulman grandissant.
Abbé Alain René Arbez, Genève
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