Convoquées à la hâte le 18 avril, les élections législatives et présidentielle qui se tiennent ce dimanche marquent la volonté de Recep Tayyip Erdogan de parachever sa marche vers un pouvoir quasi absolu. Le pari présente de gros risques et de nombreuses inconnues, tant pour le «reis» que pour la stabilité de la Turquie.
Le détonateur économique
Premier sujet d’inquiétude des Turcs, la situation économique du pays aura été le moteur de cette campagne électorale. C’est la menace d’une crise imminente qui aurait même en partie décidé le président Erdogan à annoncer la tenue de ces élections anticipées. La liste des maux est longue. La livre turque a perdu près de 20 % de sa valeur face au dollar depuis le début de l’année. L’inflation dépasse les 12 %. Le chômage s’enracine autour de 17 %. Et l’incertitude qui pèse sur le scrutin ne fait qu’exacerber les inquiétudes des marchés et des investisseurs financiers à l’égard de la Turquie et de son leader. Jusque-là plébiscité lors des scrutins grâce à des indicateurs au vert et un taux de croissance fringuant, Erdogan et son parti islamo-conservateur, l’AKP, pourraient bien pâtir dans les urnes des nuages sombres qui s’accumulent au-dessus de l’économie turque.
L’incertitude des prévisions
«Les électeurs ne parlent pas. Ils n’osent pas déclarer leurs véritables intentions.» Ces propos reviennent dans la bouche des responsables de nombreux instituts de sondage. Qu’ils soient pro-AKP ou considérés comme «sérieux», ils n’ont cessé de faire valoir la volatilité des réponses des électeurs, comme leur réticence à s’exprimer. «Habituellement, pour remplir 18 questionnaires, un enquêteur doit frapper à 40 portes, indique le responsable de l’institut Gezici dans le quotidien CumhuriyetCette fois, il lui fallait frapper à 120 portes.» Conséquence, les résultats contradictoires des différents sondages publiés font le grand écart. Le score attribué à Erdogan pour le premier tour de la présidentielle varie ainsi entre 40 et 60 %.
Des alliances improbables
Deux principales alliances concurrentes se présentent aux élections législatives. Le Cumhur Ittifaki (Alliance du peuple) est celle du pouvoir sortant, avec l’AKP allié au parti ultranationaliste de droite MHP. Le Milli Ittifaki (Alliance de la nation) est formé, lui, de quatre partis d’opposition aussi disparates par leur taille que par leur ancrage politique. Parmi eux, le Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche, laïque), qui mène le groupe de par son poids de première force d’opposition du pays ainsi que par l’ascension de son candidat à la présidentielle, Muharrem Ince , qui grappille du terrain sur Erdogan. En revanche, l’assemblage avec d’une part le nouveau parti IYI (libéral, nationaliste et pro-occidental) et d’autre part le vieux parti islamiste Saadet («félicité») peut difficilement constituer une alternative de gouvernement. «C’est une coalition fourre-tout, incohérente et opportuniste, estime Dorothée Schmid, directrice de la recherche sur le Moyen-Orient et la Turquie à l’Institut français des relations internationales. Plutôt que "tout sauf Erdogan", elle semble fondée sur un "tout sauf les Kurdes".» Le Parti démocratique des peuples (HDP), pro-kurde et deuxième force d’opposition, n’a pas été convié à rejoindre l’alliance.
Les Kurdes, faiseurs de roi ?
Ce sera l’un des enjeux majeur de ce scrutin : le HDP va-t-il franchir le seuil national de 10 % nécessaire pour siéger au Parlement ? Du résultat de cette formation de gauche qui récolte la majorité de ses voix dans le sud-est du pays (à majorité kurde) dépend l’issue des législatives. En effet, si le HDP venait à passer ce barrage, il priverait dans le même temps l’AKP - son seul rival électoral dans le Sud-Est - d’une soixantaine de sièges de députés et ainsi de sa majorité, trustée depuis 2002. Présent à l’Assemblée, le HDP pourrait devenir un potentiel partenaire des autres partis d’opposition. Avant d’en arriver là, le HDP a dû traverser une campagne extrêmement tendue, émaillée de violences et d’arrestations. Aujourd’hui, plusieurs milliers de ses membres, dont son ancien leader et candidat à la présidentielle de ce dimanche Selahattin Demirtas, sont toujours emprisonnés.