mercredi 30 mai 2018

”Le grand secret d’Israël” Stéphane Amar....


Stéphane Amar, journaliste installé à Jérusalem, collabore à plusieurs médias francophones, principalement Arte et BFM TV. Dans son dernier ouvrage ”Le grand secret d’Israël, pourquoi il n’y aura pas d’Etat palestinien” (L’observatoire, 2018), il développe avec clarté et sur la base de témoignages recueillis sur le terrain, une thèse qui tranche avec le discours convenu. Fruit de plusieurs années d’enquête, ce livre est une mine d’informations sur la réalité du conflit israélo-palestinien et permet d’en comprendre les enjeux complexes.

Le P’tit Hebdo: Comment définissez-vous votre ouvrage? Est-il historique, journalistique ou politique?
Stéphane Amar: Il s’agit d’un ouvrage d’abord journalistique. C’est un reportage, écrit sur la base d’une longue enquête et de témoignages variés. Il est ancré dans la réalité d’aujourd’hui. Lorsque l’on fait un reportage dans les médias traditionnels, on manque de temps pour exprimer la complexité du terrain. Ce livre me permet d’exprimer une parole libre et complète.
Ceci dit, il est impossible d’expliquer et de comprendre ce qui se passe ici, sans faire de l’histoire. Donc sans remonter à Avraham, il était indispensable de rappeler des faits historiques, au moins depuis 1948.

Lph: Justement à propos des événements de 1948, vous rapportez les thèses controversées de ”nouveaux historiens”, en particulier Benny Morris. Pourquoi ce choix?
S.A.: Benny Morris est pour moi un historien, au sens propre du terme. Il a réalisé une étude très sérieuse et approfondie de la guerre de 1948. David Ben Gourion lui-même a reconnu que les Juifs avaient expulsé des milliers d’Arabes. Et Benny Morris ne conteste pas le fait que ces expulsions étaient nécessaires pour que l’Etat d’Israël puisse exister. Enoncer les thèses de cet historien n’est pas faire de l’histoire sous un angle controversé mais reconnaitre des faits qu’Israël ne perdrait pas à assumer.

Lph: Ecrire sur le conflit israélo-palestinien est un exercice périlleux. Chaque mot peut être interprété, donner lieu à des débats. Avez-vous pesé chaque expression?
S.A.: Les mots ont une importance, il convient de réfléchir à leur emploi. Néanmoins, certains mots suscitent des remous parce qu’ils ont, de nos jours, une connotation négative. Mais la ”colonisation” par exemple, était une description employée par Théodore Herzl lui-même, à une époque où ce terme était positif. De plus, d’un point de vue totalement objectif, ce mot décrit bien la réalité actuelle, si l’on s’en tient à sa définition stricte et non aux sens qui découlent du traumatisme des expériences de colonisation du 20e siècle. Cette sensibilité n’est pas lié à un mauvais choix de vocabulaire, mais au fait qu’Israël n’assume pas sa politique dite d’implantation. C’est un complexe qui ajoute de l’eau au moulin de ceux qui dénoncent cette démarche.

Lph: Vous développez dans votre livre l’idée que la coopération sécuritaire entre Israël et l’Autorité palestinienne est un signe d’une coexistence possible. Vous allez jusqu’à écrire que l’Autorité palestinienne combat le terrorisme. Comment expliquez-vous alors l’incitation à la haine permanente et les salaires versés aux terroristes?
S.A.: Ce que je développe, c’est le constat que la coopération entre les services de sécurité israéliens et palestiniens, efficace depuis la mort d’Arafat en 2004, produit des résultats. Si elle n’existait pas, les attentats seraient quotidiens. Curieusement, cela paraît compatible avec l’incitation à la haine qui, comme les salaires aux terroristes, tiennent des ressorts culturels de la société palestinienne. L’antisémitisme est vivace, un tueur de Juif sera toujours un héros. Mais cela n’empêche pas une véritable lutte sur le terrain en coopération avec Israël.

Lph: Parmi les facteurs qui enterrent la solution à deux Etats, se trouve le développement des implantationsA la lecture de votre ouvrage, on apprend ou on comprend mieux, que c’est davantage la gauche que la droite qui a créé cet état de fait.
S.A.: La gauche israélienne a un très grand mépris des Palestiniens. Elle pensait, avec Oslo, qu’ils accepteraient un Etat au rabais. Sous Rabin, le nombre de constructions dans les implantations a augmenté de façon considérable. Dans les fameux blocs d’implantations certes, mais comme je le démontre, les Palestiniens ne font aucune distinction entre Maalé Adoumim et Kyriat Arba.

Lph: Donc il existerait un consensus en Israël, non avoué: on ne veut pas d’un Etat palestinien?
S.A.: Quelque part, la politique sur le terrain de la gauche prouve qu’elle n’en a jamais voulu. D’ailleurs, les Palestiniens préfèrent la droite à cet égard: elle a toujours été beaucoup plus claire dans son refus.

Lph: Jusqu’au discours de Bar Ilan où Netanyahou reprend à son compte l’idée de deux Etats pour deux peuples.
S.A.: Il l’a dit mais a toujours fait le contraire dans sa politique sur le terrain. En termes d’image, ce discours a été dévastateur. On accuse Israël de double langage.

Lph: En matière de double langage, les Palestiniens en sont les champions. Votre ouvrage met en évidence ce fait, en particulier avec Yasser Arafat. Pourquoi le monde tient-il rigueur à Israël de ce travers et ne le relève pas quand il s’agit des Palestiniens ?
S.A.: Tout d’abord parce qu’Israël est le fort, il a les cartes en mains. Les Palestiniens ne possèdent plus aucun levier. Donc on excuse le faible et on accable le fort. Par ailleurs, il y a certes un double discours chez les Palestiniens mais d’un autre côté, ils ont plus de constance et de cohérence. Ils ne cachent pas le fait qu’ils refusent de reconnaitre le caractère juif de l’Etat d’Israël ou qu’ils ne tolèreront aucun juif en Cisjordanie.

Lph: Quelle est la part de l’élément religieux dans le conflit et sa résolution? Dans le livre vous présentez des responsables religieux musulmans et juifs qui pourraient être des modèles de réconciliation.
S.A.: Le religieux est fondamental dans ce conflit. Si les accords d’Oslo ont échoué c’est peut-être surtout parce qu’ils avaient laissé de côté la dimension religieuse. D’ailleurs, en 2000, toutes les négociations ont buté sur la question du Mont du Temple. Cet élément religieux est central et il peut, en effet, être observé du point de vue d’un certain Islam qui accepte une légitimité de la présence juive sur cette terre, à partir du moment où elle est motivée par des considérations identitaires. C’est le cas notamment du Cheikh Jabari de Hevron.

Lph: C’est une des raisons qui vous font dire qu’un seul Etat regroupant Israéliens et Palestiniens pourrait être viable et serait même la solution vers laquelle on devrait tendre?
S.A.: Cette idée vient d’une longue observation du terrain et de données objectives et se base sur les thèses d’Eliezer Cherki. Depuis 1967, le nombre de Juifs israéliens des implantations n’a cessé d’augmenter. La ligne verte, de facto, est en train de s’effacer de la conscience collective israélienne. Aujourd’hui, à l’intérieur des frontières de 1967,  nous vivons dans une réalité avec 75% de Juifs et 20% d’Arabes et une démographie en faveur des Juifs. Dans de nombreux endroits du pays, les deux populations vivent en bonne intelligence. La question est de savoir si cet état de fait peut s’élargir à la Cisjordanie.
Lph: Et d’après vous, la réponse est positive?
S.A.: C’est déjà ce qui est en train de se passer. Beaucoup d’habitants des implantations entretiennent de très bonnes relations avec les Arabes des villages voisins. Les infrastructures sont très développées. La zone C est quasiment, de fait, acquise. Il reste à déterminer le statut de grandes villes comme Ramallah ou Naplouse: comment les intégrer à Israël?
Quand on va sur le terrain auprès des Palestiniens on s’aperçoit qu’ils n’aiment pas Israël, qu’ils préféreraient un gouvernement islamique à un gouvernement israélien. Mais ils savent que pour cela, ils devront renoncer à Jérusalem, Lod, Ramle; ils ne sont pas prêts à le faire. Donc, pragmatique, la rue palestinienne, se dit qu’il vaut mieux vivre dans un Etat unique, quitte à être sous l’autorité israélienne. A cela s’ajoute le fait que les Palestiniens sont fatigués des batailles, de leur sort et savent qu’il vaut mieux pour eux devenir des citoyens israéliens à part entière.

Lph: Il semblerait que sur place, l’idée des deux Etats ne soit plus défendue par aucune des parties. Pourtant cette théorie est encore sur toutes les lèvres des chancelleries occidentales.
S.A.: Oui mais les choses changent. La vice-ministre des Affaires étrangères, Tsipi Hotobelli dit clairement qu’il n’y aura pas d’Etat palestinien, Naftali Bennett aussi. Ces éléments influents du gouvernement, encouragent le Premier ministre à le dire aussi. Par ailleurs, le changement de l’administration américaine est significative à cet égard: l’ambassadeur Friedman et particulièrement le vice-Président Pence s’opposent farouchement à la création d’un Etat palestinien. A cela s’ajoute le fait que le temps joue pour Israël sur le plan démographique. Si les Palestiniens demandaient à être annexés, Israël pourrait gérer; ce qui n’était pas le cas au début des années 90 et a encouragé la signature des accords d’Oslo. Si, à cet instant, ils avaient demandé l’annexion, Israël n’aurait pas pu dire non, et la situation aurait été périlleuse du point de vue démographique. Plus maintenant.

Lph: Vous côtoyez les rédactions de la presse française. Comment expliquez-vous la désinformation dont est victime Israël?
S.A.: Pour une majorité de la classe dirigeante politique et médiatique française, Israël est une anomalie historique. Ces élites le voient comme un Etat colonial, formé au moment où la décolonisation commençait. Le malentendu s’est accentué avec la conquête des territoires dont l’occident ne saisit pas du tout la dimension identitaire, rarement explicitée par Israël, il faut le dire.
Enfin, comme je vous le disais, la vision du faible – les Palestiniens – contre le fort – Israël – donne toujours raison au faible.

Lph: Y a-t-il aussi une part d’ignorance dans la couverture médiatique?
S.A.: Non, les journalistes connaissent l’histoire mais en ont une autre perception, celle d’un conflit colonial et d’une injustice faite aux Palestiniens. Tout est observé sous ce prisme.

Lph: Israël peut-il réussir sa hasbara?
S.A.: Comment retourner l’opinion quand ce qu’on lui présente c’est 60 morts d’un côté et zéro de l’autre? La seule façon de réussir une hasbara consiste à assumer ce que l’on est. La perception d’Israël changera quand celle qu’il a sur lui-même changera, sera décomplexée.
Il convient de relativiser : l’image d’Israël à l’extérieur est bonne. La diplomatie israélienne rencontre des succès dans le monde entier, les échanges commerciaux et le tourisme se portent à merveille. Donc, je pense qu’il ne faut pas accorder aux reportages journalistiques plus d’importance qu’ils n’en ont.

 “Le grand secret d’Israël. Pourquoi il n’y aura pas d’Etat palestinien”, Ed. L’observatoire, 2018. Disponible dans les librairies francophones et sur fnac.com et amazon.fr
Stéphane Amar donnera une conférence sur le livre, à Jérusalem le Dim 3/06, centre Emouna, 20h15 et à Ashkelon le Lun 4/06, salle Ohade Hasdei Avraham, 19h30.

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