lundi 12 décembre 2016

François Fillon loin de faire l’unanimité chez des juifs de France ou installés en Israël...


François Fillon, grand vainqueur de l’élection primaire de la droite et du centre reste pourtant loin, jusqu’ici, de remporter tous les suffrages de la communauté juive de France.

Si certains ont choisi de fermer les yeux sur ses propos douteux autour des coutumes religieuses, des juifs de France ou du conflit israélo-palestinien dans l’espoir de le voir tenir ses positions très fermes sur l’intégrisme musulman, beaucoup s’interrogent sur un candidat difficile à cerner...

Certes, l’ancien Premier ministre pourrait efficacement contrer un Front national déjà déconfit par sa victoire du 27 novembre. Mais beaucoup restent très sceptiques sur sa capacité à mener une politique extérieure favorable à Israël, ou même à faire progresser le dialogue inter-religieux dans une France meurtrie et aux abois après la vague d’attentats menées sur son sol ces deux dernières années.
L’actuel député de Paris et futur candidat à l’élection présidentielle de mai 2017 réussira-t-il à convaincre ses électeurs juifs pour le moins partagés ?
Alexandre, 32 ans de Neuilly-sur-Seine, qui se définit comme juif pratiquant, est réservé : « En tant que Français, je réagis de façon plutôt favorable a priori à l’élection de François Fillon. Je pense qu’il était le candidat le plus convaincant lors des primaires. Il semble présenter une réelle volonté de lever les blocages qui empêchent la France d’avancer. D’un autre côté, je ne fonde pas de réel espoir en lui pour améliorer la situation des juifs de France. Je ne pense pas que le sujet l’intéresse réellement. »
François Fillon, candidat de la droite et du centre à l'élection présidentielle française de 2017, pendant son discours de victoire aux primaires, à Paris, le 27 novembre 2016. (Crédit : AFP/Eric Feferberg)
François Fillon, candidat de la droite et du centre à l’élection présidentielle française de 2017, pendant son discours de victoire aux primaires, à Paris, le 27 novembre 2016. (Crédit : AFP/Eric Feferberg)
Un horizon sinon sombre, du moins bien incertain pour la communauté : « c’est un « Français de souche » pragmatique qui n’a pas de réelle affection pour les juifs. Mais je ne pense pas qu’il sera à l’origine d’initiatives directes pour déstabiliser Israël ou la situation des juifs de France. Il est le tenant d’une certaine laïcité chrétienne à la française qui n’apprécie pas les coutumes ou traditions qui semblent a priori ‘entraver le vivre ensemble’. Je crois que ça ne va pas être évident pour les juifs de France car il devra se montrer dur pour stopper l’islamisation du pays, et les juifs se retrouveront sans doute concernés par effet de ricochet…. »
Pour Eytan, traditionaliste, l’inquiétude est de mise : « Ses positions très strictes tant sur les questions sociétales que sur la politique étrangère et notamment sur le conflit israélo-palestinien ne nous offrent pas un horizon serein. François Fillon fait partie de cette droite forte, peu voire pas ouverte, où l’autrui est signe de peur. Dans un climat national très sombre, certains Français verront en lui une solution qui n’en est
pas une. »
Les propos contradictoires du candidat de la droite l’auraient-il décrédibilisé au sein de la communauté ? Eytan tient à préciser : « François Fillon ne sera pas un allié. Ses positions sont ambiguës […]. Il n’a jamais fait de réels efforts vis-à-vis d’Israël mais il a excellé en termes de gaffes. A moins d’avoir un ministre des Affaires étrangères fort et ami d’Israël, on risque de se retrouver avec un Chirac bis, si ce n’est pire ! »
Quant à être un rempart de l’extrême droite, Eytan réfute l’équation de manière catégorique : « soyons clairs là-dessus, pour moi Fillon n’est pas un espoir face à Marine Le Pen. Je suis toujours craintif face aux gens qui ne disent pas ce qu’ils pensent, et François Fillon en est le parfait exemple. A voir ses positions, à entendre ses discours, il finit par me glacer le sang… Je finis par croire qu’il serait même plus dangereux pour les juifs et Israël qu’une Marine Le Pen au lourd héritage. »
Le dialogue inter-religieux, il ne faut pas y penser : « pour moi, il n’est pas pour une laïcité mais pour une christianisation de la Société française. Son modèle de religion est certainement Saint Nicolas du Chardonnet [NDLR : une église intégriste de Paris]. »
Un homme avec une kippa regarde les gens prendre part à une manifestation organisée par le CRIF devant la synagogue de Lyon, le 31 Juillet 2014. (Crédit : Romain Lafabregue/AFP)
Un homme avec une kippa regarde les gens prendre part à une manifestation organisée par le CRIF devant la synagogue de Lyon, le 31 Juillet 2014. (Crédit : Romain Lafabregue/AFP)
Pour Eytan, 37 ans de Paris, François Fillon ne peut définitivement pas être le candidat de la communauté juive : « je pense qu’en dehors de tout dialogue, il est surtout bon à diviser pour mieux régner. Il ne connaît pas la communauté juive, le judaïsme, de ce fait, comment peut-il juger depuis le 7ème arrondissement ou la Sarthe l’intégration des juifs de France ? Il ne cherchera pas l’intégration, mais l’assimilation ».
Chez Cathy, juive orthodoxe, 50 ans, de Jérusalem, on observe la même défiance : « dans son programme il n’a pas du tout évoqué sa politique extérieure. Je n’ai pas entendu un mot sur Israël. Mon sentiment à moi est qu’il sera opportuniste, et qu’il favorisera le monde arabe en mettant Israël de coté. Le sujet n’est pas du tout sa priorité, contrairement à Sarkozy ou Valls qui sont tous deux pro-Israéliens. »
Comme Eytan, Cathy est loin de percevoir Fillon comme une alternative satisfaisante à Marine Le Pen : « pour moi, c’est du pareil au même. Fillon sera certainement vainqueur face au FN mais ce sera pour mettre en place une politique drastique au niveau de l’immigration. Et en ce qui concerne la communauté juive, je suis loin d’être sûre qu’il sera dans la continuité de ce que Sarkozy a fait pour nous. Je me méfie beaucoup de cet homme. »
Esther, pratiquante elle aussi, âgée de 42 ans, de Ramat-Gan, est pour le moins perplexe : « ce que je ressens actuellement par rapport à la victoire de François Fillon à la primaire est mitigé. Je ne sais si (et nous sommes beaucoup dans ce cas) ses positions vis-à-vis d’Israël et des juifs de France sont positives. On entend des choses contraires, notamment sur Israël. » Des doutes nuancés toutefois : « en tout cas, peut-être que sa victoire sera moins négative que si c’est un homme de gauche ou le FN qui gagne l’élection présidentielle. Au moins, François Fillon est attaché aux valeurs judéo-chrétiennes et ne se rapproche pas des musulmans. »
Jérôme, 44 ans, de Vincennes, qui se définit comme laïc, ne se sent pas représentatif d’une communauté en particulier. François Fillon adoubé par la droite et en route pour les présidentielles, il n’en revient toujours pas : « Je dirais que ça a été une surprise ! Les sondages donnaient Juppé vainqueur depuis des mois et je me suis pas assez penché sur la question pour anticiper le mouvement de fonds. Ensuite, j’ai pris connaissance des grandes lignes de son programme. Le fait qu’il soit conservateur ne me surprend pas, ça répond aux peurs que nous avons en ce moment en France et à un désir d’une alternance nette. »
Marine Le Pen (Crédit : AFP)
Marine Le Pen (Crédit : AFP)
Le candidat des Républicains pourrait donc rafler des voix frontistes ? « Effectivement, je pense que Fillon peut ‘récupérer’ des votes qui seraient allés au FN. Ses positions conservatrices, son caractère du « terroir » plaît je pense à une population potentiellement Le Peniste. Enfin, je ne connais pas assez ses positions sur la laïcité française et sur les communautés juives et musulmanes pour juger. »
Patrice, 36 ans de Paris, traditionaliste, est, comme la grande majorité, très partagé : « dans l’ensemble, la communauté juive française est plutôt satisfaite de la victoire de François Fillon, bien qu’au premier tour la communauté ait voté très largement pour Nicolas Sarkozy. Au niveau économique, le candidat des Républicains a prévu de favoriser les chefs entreprises, les médecins, la classe moyenne, ce que les juifs apprécient. »
Sur sa politique à l’égard d’Israël, en revanche, Patrice ne se fait guère d’illusions : « s’il devient président de la République française il devra faire avec le Quai d’Orsay. Hors, celui-ci a des engagements de longue date avec les pays arabes. Il aura beaucoup de difficultés à sortir de cette direction. »
Si, pour Patrice, l’actuel député de Paris est un rempart crédible au Front national, sa vision de la laïcité, en revanche ne le convainc guère : « François Fillon est un chrétien pratiquant. L’Église catholique est une église progressiste qui adapte ses lois en fonction de la modernité. Il veut donc que juifs et musulmans fassent de même. Ça risque de poser des problèmes pour la communauté juive… qui plus est, je ne pense pas que le candidat républicain soit un bon partenaire pour le dialogue interreligieux. »
Donné largement favori pour accéder à la présidence en mai prochain, François Fillon, on s’en souvient, s’est attiré les foudres des communautés juive et musulmane lors de son passage sur Europe 1 entre les deux tours. Une petite phrase perfide, « Dans le passé on a combattu une forme d’intégrisme catholique, comme on a combattu la volonté des Juifs de vivre dans une communauté qui ne respectait pas toutes les règles de la République française », qui a fortement déplu et fait même sortir de sa réserve le grand rabbin Haim Korsia.
Capture d’écran : Haïm Korsia sur le plateau du Grand Journal
Capture d’écran : Haïm Korsia sur le plateau du Grand Journal
Celui-ci a dû rappeler à François Fillon « que le communautarisme juif qui a pu exister jadis n’était en rien le fait ni le choix des citoyens de confession juive, mais la conséquence de la non-acceptation par la société française d’alors de leurs
semblables ».
Jointe au téléphone, Yaël Hirschhorn, la conseillère en communication du grand rabbin, a préféré ne pas se prononcer sur une victoire qui en laisse plus d’un sur la réserve : « donner un avis maintenant serait trop partisan. Ça ne rentre pas dans le cadre que l’on s’est fixé. On a réagi pendant la campagne des primaires sur une phrase qui était fausse. Après, sur le débat d’idées, qui, en plus, ne concerne qu’un seul candidat qui est celui de la droite, c’est trop compliqué pour nous, surtout si on ne se focalise que sur le programme de François Fillon. […] Mais à aucun moment, dans la déclaration que nous avons faite, nous n’avons accusé M. Fillon de parole antisémite. Et le grand rabbin de France n’a pas voté aux primaires… »
Si l’UEJF, le syndicat étudiant juif, ne s’est pas privé non plus d’un droit de réponse cinglant à l’encontre de François Fillon lors de l’entre-deux tours, son actuel président, Sacha Ghozlan, n’a pas souhaité non plus faire de commentaire sur une victoire qui laisse bien des dirigeants communautaires mutiques.
Jean-François Bensahel, qui préside l’Union libérale israélite de France (ULIF) a choisi de rester lui aussi silencieux sur le résultat de l’élection. Au CRIF, si les consignes sont claires, pas un mot en revanche sur François Fillon qui est soigneusement écarté d’un communiqué laconique : « nous recommandons de voter car c’est un devoir citoyen et parce qu’il faut voter contre les extrêmes, de gauche ou de droite. Nous ne souhaitons pas ajouter de commentaire. »
Si beaucoup de juifs soutiennent la position anti-islamiste de François Fillon et le voient aujourd’hui comme le meilleur espoir pour faire barrage à l’extrême-droite, représentée par Marine Le Pen, les récents propos du candidat de la droite ne cessent d’interpeller et d’inquiéter un électorat échaudé.
François Fillon pourra-t-il de manière crédible soutenir un rapprochement de la France avec Bashar el-Assad, l’Iran et le Hezbollah, dans le but de vaincre le groupe terroriste Etat islamique, tout en prétendant défendre les intérêts d’Israël ?
Le député français Meyer Habib à l'Assemblée nationale à Paris, le 28 novembre 2014. (Crédit : capture d'écran)
Le député français Meyer Habib à l’Assemblée nationale à Paris, le 28 novembre 2014. (Crédit : capture d’écran)
Meyer Habib, député de la 8e circonscription des Français de l’étranger n’en doute visiblement pas : « Avant tout, je considère que la victoire de François Fillon à la primaire de la droite et du centre est une bonne nouvelle pour la France ! Son programme apporte une réponse puissante et efficace à la crise qui frappe notre pays. C’est un ami d’Israël. Il l’a dit de façon très claire cette année. Par exemple en condamnant fermement l’étiquetage des produits israéliens de Judée-Samarie ou encore en dénonçant avec vigueur les résolutions de l’Unesco qui nient les liens historiques entre Jérusalem et le peuple juif et, plus encore, les votes de la France. »
Pour faire barrage à l’extrême droite et se battre contre l’antisémitisme, le candidat des Républicains ferait preuve de fermeté : « Je suis persuadé que François Fillon, et on le voit d’ores et déjà dans les derniers sondages, va faire baisser le Front National. Il a, je le rappelle par ailleurs, condamné Dieudonné, en affirmant que l’antisémitisme n’était pas une opinion mais un délit. »
Alors, toujours heureux comme un Juif en France ?
« François Fillon a tenu des propos très forts sur la Shoah, affirmant je cite « que le souvenir de la Shoah faisait partie de notre âme, de la conscience européenne et même universelle ».
Si certains dénoncent une attitude crispée sur les pratiques religieuses, Meyer Habib reste serein : « S’agissant de la casheroute, j’ai la conviction que François Fillon ne remettra pas en question le statu quo. Les Français juifs pourront continuer de pratiquer l’abattage rituel, ou shehita, comme ils le font depuis des siècles. Les Juifs s’intègrent parfaitement dans une République laïque aux racines judéo-chrétiennes, qui respecte la liberté de culte. (…) Ce qui est en jeu, c’est de réglementer et contrôler l’abattage en prenant en compte le bien-être animal. (…) Ce n’est pas une question de casheroute, de hallal ou de culte plus généralement mais de légalité et de morale. »
Robert Feldmann (Crédit : Facebook)
Robert Feldmann (Crédit : Facebook)
Robert Feldmann, Président de l’Union des Français de l’Étranger Section Israël a tenu également à réagir à la victoire du candidat controversé de la droite : « François Fillon est un pur produit de la droite Gaullienne, hostile comme Alain Juppé à la politique israélienne et donc politiquement favorable au monde arabe et à la cause palestinienne. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil dans la politique du quai d’Orsay. (…) Si François Fillon est élu, il continuera une politique pro-arabe et anti-israélienne tout comme ses prédécesseurs ». Tout comme Meyer Habib, Robert Feldmann n’est guère impressionné par les propos perçus comme hostiles et souvent dédaigneux de l’ex-Premier ministre sur les coutumes religieuses.
Il précise : « Concernant les Juifs, Fillon n’est pas du tout antisémite. Il s’est interrogé sur l’abattage rituel qui se pratique sans étourdissement préalable de l’animal. Pour un non juif européen ce n’est pas un sujet tabou. Ce problème surgit dans tous les états d’Europe, en Amérique du Nord et aussi en Océanie. »
S’il n’y a pas lieu de crier au loup, la vigilance reste de mise : « A part quelques exceptions, même au plus haut sommet de l’état, les clichés concernant les Juifs persistent et il faut de temps à autre faire des piqûres de rappel, ce que n’a pas manqué de faire récemment le grand rabbin de France au porte-parole de François Fillon, qui justement renvoyait dos à dos les extrémistes catholiques, musulmans et juifs. »
François Fillon, pur produit de la tradition gaulliste, est une alternative crédible à Marine Le Pen : « Je pense que François Fillon fera obstacle au Front National. Il écrit et dit en expliquant son projet que les choses vont devoir changer et que ceux qui ne se trouvent pas bien dans la république vont devoir en tirer les conséquences. C’est une posture politique qui plaît à une partie de l’électorat de Marine Le Pen. »
Pour autant, François Fillon n’a pas encore gagné les faveurs de l’électorat juif, loin de là. Et si Manuel Valls devient le candidat socialiste, il pourrait bénéficier d’un soutien sans réserve de la communauté, sensible aux efforts sécuritaires déployés pour protéger ses membres juste après l’attentat de l’Hyper Cacher.
Une confiance et une crédibilité dont bénéficie peu François Fillon à l’heure actuelle.
François Fillon au Forum économique mondial (Crédit : Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0)
François Fillon au Forum économique mondial (Crédit : Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0)

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