dimanche 6 novembre 2016

Brighelli - Devenir enseignant, c'est simple comme bonjour !


Élise Lucet ne passe pas pour bidouiller ses reportages. C'est du costaud. Du vécu. D'aucuns le lui reprochent assez. Lorsqu'elle s'attaque au recrutement – en urgence – de nouveaux enseignants par les rectorats, on n'en croit pas ses yeux ni ses oreilles – sauf quand on est dans l'enseignement. Parce que nous savons bien que dans le monde enchanté de Mme Vallaud-Belkaem ça se passe comme ça.
Session de rattrapage pour ceux qui n'auraient pas vu l'émission – ou qui n'en auraient pas dégusté tout le suc (elle est disponible en replay ici).
« Le métier d'enseignant ne fait plus rêver », ainsi commence Élise Lucet. Et d'enfoncer le clou aussitôt : « Le ministère peine à recruter des enseignants motivés. » Alors un jeune journaliste de la rédaction de France 2 part au casse-pipe : il a cherché à se faire recruter comme prof de maths alors que, de son propre aveu, il sait à peine poser une division.

« Collègue ou lycée ? »

Le ministère recrute 25 000 contractuels chaque année. Pour postuler, rien de plus simple : un CV et trois années d'études dans la matière concernée. Sauf que le journaliste postule sur quatre matières avec un diplôme de Sciences-Po. N'empêche. Trois jours plus tard, le voici convoqué par le rectorat de Créteil pour un entretien d'embauche de prof de français.
« À deux jours de la rentrée, il reste beaucoup de postes à pourvoir. » Notre candidat se retrouve face à un « filtre pédagogique et didactique ». Bon, il ne sait pas distinguer une relative en « quoi que » et une concessive en « quoique ». Analyse grammaticale bidon, connaissances néant. D'ailleurs, interrogé sur la fabrication d'une proposition relative, il confond avec une subordonnée de but.
Résultat ? Avis favorable ! Le filtre laisse passer les grosses impuretés. Mais c'est qu'on lui a reconnu « une grande honnêteté intellectuelle » ! Faute avouée est tout à fait pardonnée. « Collège ou lycée ? » lui demande son interlocuteur rectoral. Thé ou café ? Le voici quasi titulaire.

Embauché en huit minutes

Dans un rapport officiel de 2013 (disponible ici) sont avouées les immenses difficultés de recrutement rencontrées aujourd'hui par l'administration.  « Étudiants de deuxième année ou demandeurs d'emploi avec un bon niveau de culture générale », cela suffit désormais. Parfois sans entretien préalable. Parfois par le biais de Pôle emploi. Pourquoi pas en pochette-surprise ? Ou par tirage au sort, comme le service militaire du XIXe siècle ?
Persistons. Le journaliste s'invente un faux diplôme acquis dans une école imaginaire – et un MBA américain en finances. Trois jours plus tard, l'inspecteur de maths du rectorat de *** le convoque. Une nuit de révisions hâtives –, mais les profs de maths sont une espèce en voie de disparition, et le rectorat « se jette sur sa candidature ».
À aucune question, il ne peut répondre. L'interlocuteur – un inspecteur pédagogique régional apparemment – est « mi-amusé, mi-consterné ». Le postulant connaît – si je ne m'abuse – le théorème de Pythagore. « Il y a des choses à réactualiser, dans un premier temps je vous propose un poste en collège uniquement ». Le tout en huit minutes. Le journaliste, qui a menti sur tout, est « sidéré ». Le téléspectateur non initié aussi.
Ce qui désole Xavier Marand, le (vrai) prof de maths (et secrétaire général adjoint du SNES) convoqué pour analyser l'entretien d'embauche, c'est la pauvreté des questions posées. On n'arrive plus à recruter d'enseignants – donc un décret autorise à recruter à Bac + 2. Qui parle de nivellement par le bas ?

« Ça ne s'improvise pas »

Le voici convoqué pour un remplacement dans un établissement. Une supercherie, certes, mais le seul moyen « pour savoir si l'administration encadre ses nouveaux enseignants ». En fait, l'administration ne lui a même pas fourni le manuel de référence ni les programmes.
Notre gentil garçon prépare tout de même sa première heure de cours – toute la nuit : autant pour ceux qui croient qu'il suffit d'arriver en classe les mains dans les poches. Et trente minutes après son arrivée, le voici face aux élèves.
Depuis le début de l'année, ces sixièmes n'ont eu que huit jours de classe – à charge à notre gentil olibrius de rattraper le retard déjà accumulé. De surcroît, le kamikaze est là probablement « pour toute l'année » – c'est vrai qu'il est si difficile de prévoir une absence sur plusieurs mois… Mais combien de congés de maternité posés, prévus, ne sont toujours pas remplacés !
Expliquer une multiplication avec une retenue quand on ne sait pas exactement ses tables, c'est compliqué. « Kholossale erreur ! » dirait Arnold Schwarzenegger (dans Last Action Hero, je le signale aux cinéphiles de passage). Ben oui : « Ça ne s'improvise pas. »
Le lendemain, les élèves ont déjà évalué le prof, et papotent tranquillement – ce qui transforme le cours en séance de maintien de l'ordre, de sorte qu'à la fin de l'heure, le prof improvisé – et visiblement à bout de nerfs – n'aura fait que la moitié de la leçon qu'il avait préparée. S'il ne veut pas pénaliser davantage les élèves, il est temps de mettre fin à l'expérience – ce qui désole l'administration, qui aimerait le convaincre de rester. Plutôt un cancre devant les élèves que personne – sinon, les parents pourraient protester.
Il démissionne – et aux dernières nouvelles, ses anciens élèves n'ont toujours pas de remplaçant face à eux.

Langue de bois

Le ministre, convoqué par Élise Lucet, met tout sur le dos de l'ancienne majorité – cinq ans après ! « C'est un sujet grave, mais qui existe de très longue date, aggravé sous l'ancien quinquennat par la suppression de 80 000 postes »… Ah… Et les 54 000 enseignants soi-disant recrutés depuis 2012 ? Élise Lucet, qui a du mordant, insiste, se demande ce que signifie le fait de créer des postes pour y glisser des gens incompétents – mais Najat Vallaud-Belkacem botte en touche et en remet une couche sur la responsabilité de Nicolas Sarkozy – qui débattait avec ses colistiers au même instant sur une autre chaîne. Le ministre n'est déjà plus ministre – il est agent électoral de François Hollande. Et les « effets vertueux » des décisions actuelles se feront sentir en septembre prochain ou à la Saint-Glinglin.
Élise Lucet aura beau insister, elle n'aura face à elle que la spécialiste décrite par le président de la République dans un ouvrage qui fait du bruit depuis un mois (« Elle est bonne, Najat, très forte en langue de bois »). Non seulement sur les 54 000 postes créés près de 26 000 sont en stage, mais près de 1 700 postes proposés aux concours l'année dernière n'ont pas été remplis, faute d'un niveau suffisant. Le même Xavier Marand a eu l'occasion de dire tout le bien qu'il pensait des calculs mathématiques du ministre.
L'enseignant allemand, d'après l'OCDE, gagne en début de carrière 1 500 euros de plus que son homologue français. Ah, mais nous revalorisons, dit le ministre… Mensonge ! Poudre aux yeux ! 100 euros de prime mensuelle, cadeau électoral – « Mais non, pas du tout ! » « Demain ça ira mieux, demain, sous le prochain gouvernement, les enseignants seront mieux rémunérés – si vous votez pour nous. » « Demain, on rasera gratis. » C'est Najat Vallaud-Belkacem qui le dit.

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