Laurent Ruquier a qualifié Twitter de «fachosphère». Analyse du chercheur en communication Arnaud Mercier.
QUELQUES INDIVIDUS BIEN ORGANISÉS, À PARTIR DE QUELQUES COMPTES PEUVENT PARFAITEMENT FAIRE MONTER LES MÉTRIQUES D'UN THÈME ET FAIRE CROIRE ALORS QU'UN DÉBAT DE FOND COUVE
Entretien par Alexis Feertchak, publié dans le Figarovox le 12 septembre 2016
Dans une interview à Paris Match, Laurent Ruquier s'en est pris vivement à Twitter qu'il a qualifié de «fachosphère». Que pensez-vous de ces propos?
Comme tous les cris de colère, ils sont excessifs car ils ne portent l'attention que sur une certaine réalité des faits décriés. Il est indéniable que sur internet en général et les réseaux sociaux en particulier, on trouve des paroles racistes, xénophobes et antidémocratique, qu'il est coutumier de résumer sous le label forcément infamant de «fachosphère». Oui, des «fachos» s'expriment sur Twitter et sur Facebook.
On peut même faire l'hypothèse raisonnable que ces gens-là s'envoient des mails et peut-être même des sms. Cela suffirait-il pour condamner la technologie des téléphones mobiles dans son ensemble en parlant de fachomobiles?!
Ce qui est sûr, c'est que des groupes extrémistes, dont les valeurs et les idéologies s'écartent le plus du fond consensuel démocratique de notre République, trouvent dans les réseaux socionumériques une forme de contre espace public, où ils peuvent diffuser des propos qui trouvent difficilement à s'exprimer dans les médias traditionnels les plus grand public, en espérant néanmoins toucher un public, une proportion de gens plus importante que le groupe de militants qu'ils constituent.
On lit d'ailleurs dans leurs tweets ou leurs posts des appels à la «réinformation», slogan qui signifie que selon eux les médias mentent, cachent des vérités qui dérangent, donc désinforment l'opinion. Mais il n'y a aucun déterminisme technologique et il y a mille autres usages d'un support de communication comme Twitter. On peut en faire un outil pédagogique, un moyen d‘expression culturelle, un lieu de partage de savoirs et de connaissances, un moyen d'informer en direct. Il est donc évidemment très réducteur d'assimiler l'ensemble des usages de Twitter à cette minorité.
N'oublie-t-il pas que l'élite politico-médiatique est de loin la plus influente sur le réseau social et que l'on y trouve d'autres types de dérives, par exemple ce que l'on pourrait appeler la «djihadosphère»?
Je ne pense pas qu'on puisse comparer les deux «sphères», car dans le cas des djihadistes ils espèrent surtout toucher ceux qui sont déjà prêts à être convaincus, en utilisant les réseaux sociaux comme outil de propagande. C'est si vrai qu'ils utilisent aussi beaucoup les messageries cryptées ou les forums fermés, afin surtout de se coordonner entre eux, de s'enfermer dans leur petit monde, sans contradiction. Les aspirations de ceux qui font partie de la fachosphère est à l'inverse, d'acquérir une visibilité dans l'espace public afin de porter la contradiction aux autres forces politiques. La logique dominante dans ces deux univers est opposée.
Laurent Ruquier considère que «Twitter ne correspond en rien à ce que pense l'opinion». Beaucoup d'utilisateurs du réseau social estiment au contraire que c'est un lieu virtuel qui permet aux quidam de s'exprimer, à l'opinion publique de ne pas être prise en otage par un petit groupe d'individus. Dans quelle mesure Twitter est-il un vecteur pour la liberté d'expression?
Il faut remettre le propos de Ruquier dans son contexte, ce qu'il dénonce en disant cela, c'est ce qu'il considère comme une surexploitation de propos minoritaires par les médis qui leur donneraient du coup trop de visibilité. Il est un fait que leur objectif est bien justement d'attraper l'œil des journalistes afin d'être relayés dans les médias et d'entretenir de la polémique. Ce qu'il dit, même s'il le fait maladroitement, comme souvent quand on parle sous le sceau de la colère, c'est qu'à force de considérer en effet, comme vous le dites, les réseaux sociaux comme un pouls de «l'opinion», on peut finir par confondre des tendances de fonds (de très nombreux messages convergents) avec des propos outranciers et minoritaires, représentant non pas «l'opinion» mais une opinion, qui plus est minoritaire. Ramasser un tweet, dire que l'on trouve cela sur Twitter comme reflet de l'opinion est un exercice qui peut rapidement se révéler hasardeux. Il faut être attentif à regarder de près les proportions que ces messages représentent. Car le risque de manipulation est élevé. Quelques individus bien organisés, à partir de quelques comptes peuvent parfaitement faire monter les métriques d'un thème, d'un hashtag et faire croire alors qu'un débat de fond couve... Lire l'intégralité.
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