jeudi 30 juin 2016

Conversions, La boite de Pandore....


« Vous êtes Juif » ? C’était la question plutôt drôle, hardiment posée par Elie Kakou, dans un sketch des années quatre-vingt-dix… Ici, la question serait plutôt : « Qui est Juif ? ». Parce qu’elle fait écho à cette interrogation identitaire de la société israélienne depuis ses origines ; Ben Gourion lui-même s’est interrogé et penché sur le sujet dans la Déclaration d’Indépendance… Qui ? Comment ? De quelle façon (se) convertir ? 
Ce débat reflète aujourd’hui, en Israël, les clivages d’une société plurielle où un consensus a du mal à émerger. Car la conversion, c’est aussi ouvrir une boîte de Pandore…
Il y a moins d’un an, un dernier rebondissement politique a remis le sujet au cœur de l’actualité. Au mois de juillet 2015, la nouvelle proposition de loi sur les conversions, initiée par l’ancien député Elazar Stern et par l’ex-ministre de la Justice Tzipi Livni, crée la polémique. Ce projet de réforme a pour objectif de faciliter le processus de conversion à l’échelle nationale. Le but est d’encourager la conversion au judaïsme des centaines de milliers d’Israéliens originaires de l’ex-Union Soviétique et considérés comme « sans religion ». 
Un statut compliqué en Israël puisque ces citoyens sont reconnus comme ‘juifs’ par la loi israélienne au retour, mais ‘non-juifs’ par la hala’ha. En donnant la possibilité aux rabbins municipaux de tenir leurs propres tribunaux de conversion, Livni a jeté un pavé dans la mare. Car la conversion a toujours été l’affaire du Grand Rabbinat et du ministère des Affaires religieuses. Point. Après d’âpres débats entre les formations politiques, le projet, qui provoque nombre de crispations, est annulé.  Livni parle « d’un revers pour les centaines de milliers de citoyens qui ont immigré en Israël, qui vivent avec nous, servent dans l’armée et qui continueront à être des citoyens de seconde classe ». 
Aujourd’hui, la tempête passée, un état des lieux s’impose. Le Rav Avraham Sellem, expert en la matière, qui dirige un oulpan de conversion pour francophones, a accepté d’aborder le sujet avec nous et de lever le voile sur ce dossier complexe. Religion, nationalité, intégration ; la conversion soulève des notions qui nous parlent avant tout de notre identité.
Alors en quoi cette loi, qui visait à autoriser les rabbins municipaux à tenir des tribunaux de conversion, aurait-elle changé la vie des candidats à la conversion ? Selon le Rav Sellem, il faut revenir au contexte : « On a toujours considéré le sujet de la conversion comme un problème brûlant en Israël. De nombreux députés considèrent les nombreuses exigences de ce processus comme l’obstacle qui freine les candidats »
Ce qui expliquerait la réticence des candidats éventuels à franchir le pas. Le Rav pointe du doigt la question ‘tabou’ : « la conversion doit-elle être le passeport d’entrée de ceux qui s’engagent véritablement à vivre selon la loi juive ou une simple reconnaissance nationale d’une personne qui se dirait juive, et dans ce cas, trouver des solutions dans la hala’ha pour faciliter sa conversion » 
Du point de vue de la hala’ha au sens strict, l’approche consiste à vérifier l’engagement d’une personne envers la Torah. Le Beth Din pose des questions générales et vérifie si la personne est impliquée, si elle a une volonté de progresser, si elle est intégrée dans une communauté. 
Rav Sellem nous explique qu’au moment même de la conversion, la personne affirme « qu’elle s’engage à respecter toutes les mitsvot de la Torah, celles ordonnées par les Sages ainsi que toutes les ‘bonnes coutumes du peuple d’Israël’ » et proclame « sa foi en un D.ieu unique ». Il rajoute qu’en règle générale, « ce qui dérange vraiment le Beth Din, c’est le candidat qui affirme ouvertement qu’il refuse de respecter une mitsvah spécifique ».
Autre sujet à polémique selon le spécialiste, « le terme ‘religieux’ recouvre un spectre de notions très larges… Des gens vous disent faire shabbat et manger cacher sans être pour autant des ‘harédim’. D’autres, les ‘massortim’ s’identifient clairement avec « l’être juif ». C’est cette multitude de courants qui transforme la conversion en un véritable parcours d’obstacles ». De là, découle cette volonté d’ouvrir davantage la conversion, de trouver une solution hala’hique permettant à ces personnes de devenir ‘juifs traditionalistes’.
 Il nous cite alors le Rav Haim Amsellem, ancien député et ‘talmid ‘ha’ham, qui défend la position suivante : « vérifier que les candidats aient déjà le profil de traditionalistes. Ce qui favoriserait déjà la conversion de beaucoup plus de gens ». Les positions diffèrent ainsi selon les différents courants en Israël. Le Rav Sellem ajoute que le Rav Nahum Rabinovitch (courant religieux sioniste), dirigeant la Yéshiva de Maalé Adoumim, a déclaré dernièrement qu’il voulait s’occuper particulièrement des jeunes âgés de moins dix-huit ans dont la mère ne veut pas se convertir.
« Ce sont des enfants qui grandissent comme des Israéliens et qui, en devenant adultes, connaîtront des Juifs. Avec ce risque, dans le cas de mariages mixtes, d’avoir dans vingt ou trente ans, un taux d’assimilation en augmentation, comme c’est le cas en Diaspora. Que répondre à cela ? Ces jeunes seront convertis, certes, mais quel sera ensuite leur niveau religieux ? ». 
Pour autant, « quels que soient les idées et les projets, les responsables religieux ont toujours à l’esprit de travailler avec le Grand Rabbinat d’Israël, sans entrer en guerre avec la Rabbanout ».
Quand on évoque la conversion, impossible de ne pas s’interroger sur le statut de ces centaines de milliers de citoyens « qui ont immigré en Israël, qui vivent avec nous, servent dans l’armée … » et qui n’ont pas le statut de ‘Juifs’ au regard de la hala’ha, comme l’a déclaré l’ancienne ministre Livni. 
Pour le Rav, « les Juifs qui viennent de l’ex-URSS ont derrière eux soixante-dix ans d’une assimilation forcée qui les obligeait à dissimuler leur judaïsme, leur identité. Durant la vague d’immigration des années 90, j’enseignais l’hébreu à des groupes d’olim, dont beaucoup de Russes. Nombre d’entre eux se sont fait refouler lors du processus de conversion, car pour eux, il s’agissait de passer un examen de connaissances ». 
Il rajoute : « or, être juif, c’est un engagement de la personnalité pour le respect de la Torah et des ‘mitsvot’, concept identitaire qu’il leur était difficile d’intégrer, eux qui ont été coupés de force de leur identité durant des décennies… ».
Chaque année, dix à quinze personnes se présentent dans l’oulpan guiour du Rav Sellem. Des candidats potentiels à la conversion présentant deux profils types. 
« Nombre de candidats à la conversion sont des enfants issus de couples mixtes dont le père est juif. Notre rôle est de leur expliquer que ce n’est pas seulement une régularisation, une formalité. C’est aussi s’engager, étudier ». Et de rajouter : « Nous voyons aussi de plus en plus de gens qui s’intéressent au judaïsme, car en recherche d’identité spirituelle.
 Ils viennent à nous et demandent à se convertir ». Mais tout le monde ne reçoit pas sa conversion pour autant. Pour le Rav Sellem, « les personnes qui ne sont pas prêtes le comprennent souvent d’elles-mêmes. Elles décident d’arrêter en cours de processus ». Et de continuer : « l’approche du Beth Din est d’aider la personne. 
On n’assène pas abruptement au candidat qu’il a raté son guiour et qu’il ne peut pas passer l’examen. On lui dit qu’il a encore certaines lacunes à compléter et qu’il doit revenir nous voir dans quelques mois. Lorsqu’une personne n’a pas suffisamment approfondi le thème de la émouna, on lui conseillera d’aller suivre certains cours et de revenir »
L’approche est d’aider, d’accompagner la personne prête à faire des efforts. Et certains candidats les plus ‘tenaces’, parmi les deux cent cinquante dont le Rav s’est occupé depuis ses débuts, l’ont marqué, plus que d‘autres dont … un ancien pasteur qui a intégré depuis l’une des plus grandes yéshivot du pays et deux frères convertis et installés depuis 15 ans déjà dans le Shomron, dont la mère âgée de soixante-huit ans suit maintenant le programme…
Enfin, quant à l’idée plutôt répandue qu’il est bien plus facile de se convertir en Israël qu’en France, le Rav rétorque que « cette question a déjà été traitée dans les textes de nos Sages où il est mentionné que dans certains endroits, on convertissait facilement, et dans d’autres, plus difficilement. La conversion en Israël est liée à un besoin local »
Il ajoute que « les gens qui viennent ici pour se convertir ont déjà fait un certain travail et ne débarquent pas comme ça. Pour eux, vivre un an en Israël, et plus particulièrement à Jérusalem, crée une intensité et un vécu. Ils auront appris en un an dans le pays, ce qu’ils auraient peut être appris en beaucoup plus de temps dans leur communauté d’origine ».

« L’inclusion de la conversion dans la loi du retour a tourné le processus de conversion en un exercice politique plutôt que religieux. Beaucoup de gens se convertissent à des fins d’immigration et non pas de religiosité sincère « 
Déclaration faite en 2006 par le Rav Shlomo Amar, ancien Grand rabbin d’Israël, actuel Grand rabbin de Jérusalem.
 » Nous avons reçu des témoignages sur certains rabbins privés qui font des conversions en échange d’argent, en Amériques du Nord et du Sud et en Europe « 
Déclaration faite en 2011 par le Rav Shlomo Amar, lors d’une réunion spéciale du Comité de l’Immigration de la Knesset.
« Le Guer vaut mieux que le peuple qui se tint aux pieds du mont Sinaï. Pourquoi donc ? Parce que ce peuple, s’il n’avait pas vu et entendu les voix, les lueurs et les éclairs, le tonnerre et le son du Chofar, n’aurait pas accepté le joug divin. Le Guer par contre, qui sans rien voir de tout cela, vient de lui-même se plier à la loi divine, n’est-il pas ce qu’il peut y avoir de plus cher aux yeux du Créateur ? « 
Midrach Tanhouma,Parachath Lekh Lekha

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