lundi 15 février 2016

Les femmes, la Torah et le mur....


Après des années d'atermoiements, le gouvernement israélien a voté la création d'un espace de prière mixte en contrebas du mur des Lamentations.



C'est un « compromis historique », « un pas de géant vers l'égalité de tous les courants juifs », ont clamé, enthousiastes, les dirigeants du judaïsme libéral.  Le rabbin Richard Jacobs, à la tête du mouvement réformé américain, s'est même pris à rêver : « Prenons une famille juive de Nahariya – une ville du nord du pays –, qui a décidé de se rendre en pèlerinage à Jérusalem. Leur premier arrêt, c'est tout naturellement le mur des Lamentations.

 Aujourd'hui, les hommes et les femmes y sont séparés. Dans un avenir pas trop lointain, cette famille aura une alternative, celle de prier ensemble… ou non. Maintenant, le choix existe… »
Même enthousiasme de la part des Femmes du mur. Chaque début de mois hébreu, depuis vingt-sept ans, ces femmes religieuses se rendaient au lever du jour au mur afin de célébrer l'événement en priant à haute voix, recouvertes du talit, le châle de prière, et avec des rouleaux de la Torah en main. 
Une provocation pour les fidèles orthodoxes des deux sexes. Insultes, jets de bouteilles ou autres et parfois arrestations musclées par la police accompagnaient leur action. D'où ce communiqué triomphal à l'annonce de la décision gouvernementale : « En approuvant ce plan, l'État reconnaît la pleine égalité des femmes au Kotel (le mur) et l'impératif de la liberté de choix dans le judaïsme en Israël… »

Pas d'unanimité

Une tonalité victorieuse qui ne fait pas l'unanimité, même dans les courants juifs libéraux. Vice-présidente de l'Assemblée rabbinique du judaïsme traditionaliste, Julie Schonfeld est encore plus prudente. Elle parle d'une étape importante, mais pas d'un aboutissement. « D'abord, dit-elle, il faut veiller à ce que ce nouvel espace soit construit. Pour l'instant, rien n'a commencé et je ne comprends pas pourquoi. » Des doutes sur la concrétisation du projet qu'elle n'est pas la seule à émettre tant il y a d'obstacles à surmonter, à commencer par le financement. 
Un premier budget de 35 millions de shekels (environ 8 millions d'euros) a été décidé, les bureaux du Premier ministre, le Trésor, le ministère de l'Intégration et l'Agence juive s'étant engagés à des versements de plusieurs millions chacun. Mais, pour l'instant, rien n'est bouclé.
Membre fondatrice des Femmes du mur, Kamouna Chemouny en est partie il y a quelques mois. A ses yeux, l'organisation avait pris un tournant plus politique que spirituel : «   Pour moi, dit-elle, il y a deux grands vainqueurs dans cette histoire : les deux mouvements réformé et conservateur, qui pour la première fois obtiennent un espace public de prière bien organisé et, paradoxalement, les ultra-orthodoxes qui ont désormais la mainmise sur l'ensemble de l'esplanade du mur des Lamentations, non plus de facto comme auparavant, mais de jure…. 
Sans compter que je ne croirai à l'existence du nouveau lieu de prière que quand je le verrai, ce qui, à mon sens, risque de prendre beaucoup plus de temps qu'on ne le croit. »
En effet, Kamouna le sait, et bien d'autres avec elle, l'orthodoxie juive – y compris non sioniste – continue d'être totalement hostile aux courants libéraux dans le judaïsme.  Parmi les cinq ministres qui ont voté contre, trois appartiennent aux partis ultra-orthodoxes ashkénaze et sépharade, le quatrième étant l'un des responsables du sionisme religieux, à la tête du Foyer juif, le mouvement pro-colons dirigé par Naftali Bennett. Tous ont appuyé leur « non » par des propos particulièrement virulents à l'encontre du judaïsme libéral.

"Groupe de clowns"

Des députés ont ajouté leur grain de sel. Comme le très puissant président de la commission parlementaire des Finances du parti ultra-orthodoxe ashkénaze, Judaïsme de la Torah. Tout en qualifiant les juifs réformés de « groupe de clowns qui porte atteinte à la sainteté de la Torah », il a d'ores et déjà annoncé qu'il ne reconnaissait pas la décision du gouvernement.  S'en prenant aux Femmes du mur, le vice-ministre de l'Éducation, lui aussi de Judaïsme de la Torah, a affirmé que celles-ci devaient « être jetées aux chiens ». 
À cela s'ajoutent les protestations des principaux archéologues israéliens. Ils estiment que le nouveau site, par son emplacement et son architecture, va empêcher de voir le parc archéologique situé sur ce lieu : « Nous avons travaillé, disent-ils, pendant des années pour dégager les énormes pierres tombées lors de la destruction du temple en l'an 70. Tout cela sera caché par la nouvelle construction. » Mécontentement également au Waqf, l'administration des biens musulmans, où l'on craint « pour les fondations de la sainte mosquée Al Aqsa ».
De fait, d'une revendication religieuse visant à permettre aux femmes de prier comme les hommes au mur des Lamentations, l'affaire est aujourd'hui uniquement politique :  juifs orthodoxes vent debout pour préserver leur mainmise sur le judaïsme israélien ; relations exécrables entre le grand rabbinat israélien et la diaspora américaine formée à plus de 90 % de réformés et de conservateurs. 
Sans oublier les intérêts politiques de Benjamin Netanyahou : en faisant adopter cette décision, il espère renverser la vapeur et s'attirer les bonnes grâces d'une partie du judaïsme américain non orthodoxe, jusqu'ici très critique de sa gouvernance.

Alors une victoire à la Pyrrhus pour le judaïsme libéral américain ? Sans aller jusque-là, force est de souligner qu'en Israël les rabbins réformés et conservateurs n'ont pas encore droit de cité : les mariages et les conversions qu'ils célèbrent ne sont toujours pas reconnus par le grand rabbinat, qui continue à ne rien vouloir céder.

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