lundi 17 novembre 2014

Un médecin généraliste heureux...


Les patients français se plaignent de la désertification médicale. Devinez pourquoi.

Le 6 novembre dernier, à mi-mandat, interrogé sur les jeunes obligés de s’expatrier pour trouver du travail, François Hollande dit en avoir rencontré au Canada, d’où il revient. « Je ne les ai pas blâmés, dit-il, ils vont se faire une expérience. » Un jour, « ils vont revenir ». Selon le Président, « la France doit exporter ses talents » (alors que le pays est sujet à une immigration massive et très largement sous-qualifiée).
M. Hollande, vous avez hélas raison, sauf qu’il n’y a pas que les jeunes Français qui émigrent. J’ai rêvé d’être médecin généraliste dès l’âge de cinq ans. Je me souviens avoir vu le médecin visiter ma grand-mère, que j’adorais, et avoir dit que « quand je serai grand, je serai docteur ». Pour moi, c’était celui qui venait soulager les souffrances des autres. J’en ferais ma mission.
J’ai exercé 17 ans en France comme médecin généraliste libéral. Là, peu à peu, mes illusions se sont muées en amère déception : le travail était peu valorisé par beaucoup de patients, qui considéraient que j’étais à leur service, quand ils le voulaient, et « s’il vous plaît, passez à la maison avant 10 h, car j’ai rendez-vous chez le coiffeur à 11 h ». Merci pour les priorités ! Par ailleurs, les soins du médecin généraliste sont remboursés, donc, pour beaucoup, c’est un dû. Et la Sécu avançait toujours l’excuse de son déficit pour affirmer qu’elle ne pouvait pas se permettre d’augmenter les « nantis » que représentent les médecins. Les honoraires, donc, n’augmentaient pas avec le coût de la vie, mais les charges, elles, ne cessaient d’augmenter.
Je dois tout de même nuancer mon propos : j’ai aussi eu des patients adorables, respectueux, et appréciant ce que je m’efforçais de faire pour eux. J’en ai encore des souvenirs émus. Ceux-là me rendaient au centuple mes efforts. Mais ils étaient loin de constituer la majorité des patients qui, en France, me donnaient le sentiment d’être un banal prestataire de services. Après 8 années d’études supérieures, je ne peux pas dire que ce soit bien valorisant.
À 45 ans, j’étais épuisé et démoralisé.
Un article du Quotidien du médecin de l’automne 2002 m’a surpris : il parlait de médecins généralistes recrutés par le NHS (la Sécu anglaise), et heureux de leur sort. Je me suis renseigné, et j’ai été recruté. Dois-je dire que je ne regrette pas de m’être expatrié ?
Mon travail, ici, est valorisé. Patients généralement respectueux, auxquels je propose une relation de partenaires en laquelle je crois profondément : je suis au service de leur santé, j’ai une bonne connaissance de la médecine en général, mais ce sont eux qui se connaissent, ce sont eux les partenaires principaux, car il s’agit de leur santé, de leur vie, de leurs choix que je dois simplement éclairer, mais qu’ils assumeront. J’y trouve la relation avec les patients que j’ai toujours recherchée.
J’ai aussi beaucoup plus de responsabilités dans mon travail puisque, ici en Angleterre, le médecin généraliste est vraiment le pivot des soins du patient. Et un salaire décent, ce qui n’est pas négligeable. Quand je suis parti de France, mes collègues me disaient que, pour eux aussi, les illusions étaient perdues.
Les patients français se plaignent de la désertification médicale. Devinez pourquoi.

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