Apple a débauché la fine fleur des talents du luxe pour rendre ses objets ultra-désirables : la numéro un de Burberry, l’ancien président de Saint-Laurent ou le vice-président de l’horloger Tag Heuer… Décryptage d’un plan marketing d’exception.
À l’angle de la très chic Madison Avenue et de la 74e Rue, à New York, en face du Whitney Museum, les travaux vont bon train. Des bâches recouvrent l’ immeuble du début du siècle, construit à l’époque par la U.S. Mortgage Trust Company. Nous sommes là dans le « zip code » (code postal) le plus cher des États-Unis, plus grosse concentration de fortunes.
Et bientôt… un Apple Store de 1 000 mètres carrés. Ouverture prévue dans les prochains mois, sixième point de vente dans Manhattan pour le géant de Cupertino.
« Apple est en train de passer du statut de marque très haut de gamme à celui d’une marque de mode de luxe », analyse Walter Frick de la « Harvard Business Review ». « Alors que la marque s’était jusqu’alors concentrée sur un génie industriel d’excellence et sur l’expérience des consommateurs, elle tend maintenant à offrir, en plus du haut de gamme, un statut et un sentiment d’individualité. »
Marque de luxe ou non ? Apple – qui veille scrupuleusement à ne jamais employer le terme de « luxe » – cherche à s’en approprier les codes. Et, depuis un an, multiplie les prises chez les grandes marques. Il y a d’abord eu Paul Deneve, l’ancien pdg de Saint Laurent, qui s’occupe des « projets spéciaux ». Puis Angela Ahrendts, ex-présidente deBurberry, aujourd’hui responsable du réseau de boutiques et des ventes en ligne. Patrick Pruniaux, ancien vice-président des ventes chezTag Heuer, qui travaille sur le lancement très secret de l’Apple Watch.
Et enfin, en septembre dernier, l’Australien Marc Newson – « le designer le plus talentueux de sa génération », comme l’a célébré son ami Jony Ive –, à la tête du design au sein de la marque à la pomme. Avant eux, Jay Blahnik et Ben Shaffer avaient quitté Nike, emportant leur savoir-faire mis en œuvre pour le FuelBand, ce bracelet connecté qui mesure l’activité physique (autant que nos calories brûlées), et dont Apple entend s’inspirer.
Et même si le rappeur Dr. Dre, fondateur d’un empire avec ses casques de musique Beats Electronics (racheté 3 milliards de dollars en mai dernier), n’est pas à proprement parler une icône du luxe, la kyrielle de célébrités qui ont fait sa notoriété intéresse au plus haut point le géant californien.
« Chanel est Chanel depuis cent ans car le groupe a su maintenir son image. C’est exactement ce type d’ADN qu’Apple cherche à acquérir pour renforcer le pouvoir de sa marque », explique Sucharita Mulpuru, analyste chez Forrester et spécialiste des tendances de consommation.
Si le groupe Apple n’avoue pas officiellement mener une telle stratégie, les similitudes avec les grandes griffes sont pourtant légion : un mythe fondateur, un créateur emblématique, une barrière tarifaire, l’élaboration systématique de la rareté, un ancrage dans l’univers culturel, une distribution sélective et l’octroi d’un statut pour quiconque s’affiche avec le logo. Un écosystème que toutes ces nouvelles recrues maîtrisent à la perfection. « L’industrie du luxe propose une approche émotive du produit, c’est généralement moins le cas chez les géants de la technologie.
Au-delà de l’objet lui-même, l’industrie du luxe vend du rêve, suscite une palette d’émotions et entretient donc une relation de l’ordre de l’intime avec les clients. Apple était déjà dans ce registre, mais grâce à ses recrutements, il va renforcer la notion de désir autour de sa marque », décrypte Agathe Lerolle, fondatrice du cabinet de recrutement Sur Mesure Executive Search.
À ce titre, l’arrivée d’Angela Ahrendts – qui a commenté son transfert d’un « j’ai obtenu mon MBA chez Burberry, mais je vais décrocher mon doctorat chez Apple » – est un symbole. En imposant au groupe anglais une refonte à marche forcée, elle lui a permis de plus que doubler son chiffre d’affaires en sept ans, le portant à 2 milliards de livres.
À ce titre, l’arrivée d’Angela Ahrendts – qui a commenté son transfert d’un « j’ai obtenu mon MBA chez Burberry, mais je vais décrocher mon doctorat chez Apple » – est un symbole. En imposant au groupe anglais une refonte à marche forcée, elle lui a permis de plus que doubler son chiffre d’affaires en sept ans, le portant à 2 milliards de livres.
Surtout, Angela Ahrendts avait fait d’Apple bien avant d’y entrer sa référence en termes d’image pour ses boutiques, transformant Burberry en une marque connectée : retransmission des défilés en direct sur les réseaux sociaux, vendeurs équipés d’iPad, boutiques digitalisées et autres miroirs interactifs. « Avec le Genius Bar, les summer camps et les vendeurs en tee-shirts bleus, les Apple Stores proposent déjà à chaque client de se sentir spécial, unique, ajoute Carolina Milanesi, spécialiste de la compréhension et de l’analyse du comportement des consommateurs chez Kantar Worldpanel. Angela Ahrendts va développer une relation encore plus engageante et personnalisée avec les clients. »
Avec ces 444 boutiques dans 16 pays plus une vingtaine de boutiques en ligne, Apple génère un trafic de plus d’un million de clients par jour. « L’effet Ahrendts » (qui aurait reçu un « golden hello » sous forme d’actions d’une valeur de 68 millions de dollars) commence à se faire sentir. Consciente que les réseaux sociaux ont le pouvoir de bâtir ou de ruiner une réputation, elle a fait venir l’une des stars du marketing digital : Musa Tariq, passé par Nike et Burberry. Chez l’équipementier sportif, il a resserré les liens avec les athlètes.
Avec ces 444 boutiques dans 16 pays plus une vingtaine de boutiques en ligne, Apple génère un trafic de plus d’un million de clients par jour. « L’effet Ahrendts » (qui aurait reçu un « golden hello » sous forme d’actions d’une valeur de 68 millions de dollars) commence à se faire sentir. Consciente que les réseaux sociaux ont le pouvoir de bâtir ou de ruiner une réputation, elle a fait venir l’une des stars du marketing digital : Musa Tariq, passé par Nike et Burberry. Chez l’équipementier sportif, il a resserré les liens avec les athlètes.
On lui doit notamment une campagne virale au succès retentissant pour une nouvelle chaussure de foot… systématiquement floutée. Un teasing résolument dans l’esprit de la marque à la pomme, qui aime entourer ses lancements d’une aura mystérieuse, histoire d’entretenir le rêve.
Décliner son capital image sous différentes formes (accessoires, prêt-à-porter, parfums…) est un classique de l’industrie du luxe. À ce titre, le trio Deneve-Newson-Pruniaux est symptomatique du virage opéré par le géant californien, tout comme les premiers pas de la très attendue Apple Watch chez Colette en pleine Fashion Week. « Symbole de puissance par excellence, la montre est la preuve qu’Apple pénètre l’univers de la mode, poursuit Carolina Milanesi. C’est un choix très malin, car il s’agit d’approcher un nouveau type de clientèle, celle en parti- culier qui n’est pas spécialement portée sur la technologie. » Une manœuvre qu’adoube même Jean-Claude Biver, le président de la division Montres chez LVMH, pour qui cette montre connectée est « potentiellement une menace pour l’industrie horlogère, qui ne devrait pas rester les bras croisés. »
Le génie de la première capitalisation boursièremondiale (472 milliards de dollars), c’est de mettre le beau au cœur de la technologie, d’avoir favorisé l’émergence d’une tribu, de proposer une expérience exceptionnelle. « Cela en fait un produit de rêve, mais pas de luxe stricto sensu, tempère Sucharita Mulpuru. En revanche, tout sera mis en œuvre pour rendre le groupe encore plus glamour, plus désirable, avec des célébrités ou bien en sponsorisant des événements... »
Visionnaire, le géant californien ne suit pas les consommateurs, il entend les précéder. Et qu’une marque de technologie aille chercher des talents dans le luxe, plus précisément dans la mode, est le signe d’une nouvelle ère. « Les digues se sont ébréchées, c’est très net, et il y aura de plus en plus de transferts de ce type à l’avenir », promet Agathe Lerolle.
Le génie de la première capitalisation boursièremondiale (472 milliards de dollars), c’est de mettre le beau au cœur de la technologie, d’avoir favorisé l’émergence d’une tribu, de proposer une expérience exceptionnelle. « Cela en fait un produit de rêve, mais pas de luxe stricto sensu, tempère Sucharita Mulpuru. En revanche, tout sera mis en œuvre pour rendre le groupe encore plus glamour, plus désirable, avec des célébrités ou bien en sponsorisant des événements... »
Visionnaire, le géant californien ne suit pas les consommateurs, il entend les précéder. Et qu’une marque de technologie aille chercher des talents dans le luxe, plus précisément dans la mode, est le signe d’une nouvelle ère. « Les digues se sont ébréchées, c’est très net, et il y aura de plus en plus de transferts de ce type à l’avenir », promet Agathe Lerolle.
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