vendredi 31 octobre 2014

Lettre à ma sœur – 30 -


Holon, le 29 octobre.
Ma chère petite sœur,
En triant des papiers hier, je suis tombée sur un vieil article paru dans la Gazette de Montpellier. La Gazette n’est pas du tout un quotidien d’information, mais un hebdomadaire dédié aux spectacles et aux loisirs sur la ville et sa région, alors je me suis demandé un moment (pas longtemps) pourquoi je l’avais gardé. L’article n’est pas si vieux en plus, il est daté de 2009, juste après la guerre de décembre avec Gaza (mais alors, là, c’était ma deuxième guerre cet été ? Oh non… Je ne veux pas commencer à compter mes guerres… Ou alors, que celle-là soit la dernière.)
En attendant, c’est pour ça que je les garde ces papiers. Parce que s’il y a un truc que j’adore faire, c’est les relire, ces vieux articles de journaux anciens, juste pour le plaisir de vérifier encore et encore comment rien jamais ne bouge. Ma grande théorie, ça.
La seule variable de l’Histoire, finalement, c’est nous. La qualité de notre ressenti à chacun des âges de notre vie fait toute la différence et comme nous autres, les humains, ne sommes pas synchrones, ni même contemporains, autant dire qu’on est mal barrés…
J’ai par exemple, un vieux Sciences et Vie de 1993, juste après le premier attentat contre les tours jumelles, qui explique schémas à l’appui pourquoi ça n’a pas marché avec une camionnette bourrée d’explosifs visant les fondations alors qu’avec des avions visant paradoxalement le haut des tours, le résultat aurait probablement été bien plus intéressant… Il est où, l’idiot irresponsable qui a signé ça ?
J’ai un Paris-Match de 1967, juste après la guerre des six jours où, entre deux défilés Courrèges, la rédaction française au comble de l’attendrissement chante son admiration pour ce surréaliste petit pays assiégé qui “a en 6 jours décuplé sa surface”. Ils sont où, les retourneurs de vestes ?
J’ai de vieux Daily Mails de la période 39-45 où même en cherchant bien pendant que les Anglais relatent leur combat, on ne trouve trace ni de de Gaulle, ni de ces millions de résistants français qui ont fleuri après guerre…
Presque autant que les vieux articles, j’aime les petites phrases. L’inénarrable Pasqua avec son “Nous allons terrôriser les terrôristes” m’a enchantée en son temps et j’ai toujours à l’esprit celle du docte Raymond Barre pour ne pas le citer, qui, visionnaire à une époque où personne n’avait encore pensé à ressortir le mot “amalgame” de son placard, expliquait qu’il fallait bien veiller à ne pas confondre le gros racisme, cruel et inacceptable, qu’il convenait de combattre avec la dernière énergie, et le petit antisémitisme du quotidien, pas bien méchant et somme toute bien légitime.
J’ai toujours en tête que la France, pays des Droits de l’Homme, après avoir renversé la Monarchie et décapité le dernier de ses rois imbéciles, a fait un petit ménage dans ses rangs, tiens, bizarre le nom de la période quand on y pense, la Terreur, comme quoi, la France donc, dix années bénies de guillotine à peine après avoir raccourci ce pauvre Louis XVI et ses affiliés, a applaudi à tout rompre l’auto-couronnement chrétien de l’empereur Napoléon. 
Comme quoi en France, et ce n’est pas nouveau n’en déplaise à Eric Zemmour, on s’adapte benoîtement à toutes les situations collaborationnistes…
Mon article de la Gazette a naturellement trouvé sa place dans la catégorie Perles d’inculture de mes archives personnelles. Ecrit par un jeunot qui en avait visiblement fumé de la bonne, ce texte navrant explique en toute mauvaise foi que ce qui agitait la France en ce janvier-là, ce n’était pas un antisionisme primaire doublé d’un antisémitisme viscéral, non, ce qui agitait la France et les Français, c’était l’émotion. 
Les haineux déchaînés de 2014 étaient juste émus en 2009. Ca fait réfléchir quand même, non ? Je te promets que c’est vrai.
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Gaza : Montpellier sous le coup de l'émotion.
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Sous le titre, une photo de deux jolies jeunes femmes sous le drapeau gazaoui. L’une des deux brandit le poing, parce qu’elle est vraiment très émue, d’autant qu’un enfant est à ses côtés qui tient une bougie. Dire que ce môme est ado aujourd’hui et que, oublieux de Gaza, il rêve peut-être de Syrie…
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Légende de la photo : "Samedi 10, près de 5000 personnes manifestent pour Gaza.
 Malgré quelques propos antisémites, Montpellier ne croit pas à l'affrontement des
communautés juives et arabo-musulmanes. "
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Une phrase qu’il serait impossible d’écrire en Europe 5 ans après, au nom de l’amalgame à ne pas faire entre les islamistes et les arabo-musulmans, même si les seconds sont incontestablement le réservoir privilégié en ressources humaines des premiers. Sans compter que tant que le Bétar est resté sage dans son coin, personne n’avait jamais craint aucun affrontement. L’agression d’une communauté par l’autre, peut-être, mais d’affrontement, jamais.
Lire p 10. ​Parce qu’après les honneurs de la couv, on a une double page intérieure sur le sujet. Un journal dédié aux spectacles, on a dit. Une mer de banderoles sur la grande photo qui illustre la double page.
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"Dans les manifestations pour Gaza, on entend à Montpellier des propos antisémites. 
On ressent une immense émotion. Pourtant, la ville ne semble pas menacée..."
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Les banderoles traduisent pleinement cette émotion.
 "Sionisme égale terrorisme", "Halte au nettoyage ethnique", "Sarkozy complice", "Halte au massacre", "Des sanctions immédiates contre Israël", …
Comment est-ce qu’on a pu sans rire appeler ça de l’émotion en 2009 ? Pourquoi la machine s’est-elle emballée aujourd’hui ?
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"Quelques flocons de neige dans les cheveux, les notables montpelliérains...
écoutent poliment les voeux du maire,"
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quand ils sont rejoints
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"à grands cris"
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par les manifestants pour Gaza.
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"Il y a là des femmes voilées, des jeunes filles non voilées, des enfants, 
quelques syndicalistes, des pacifistes et des  badauds... Les propos sont 
parfois antisémites. "Sales juifs," peste un jeune homme après un juron en arabe."
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Ah oui quand même. L’émotion est à son comble. Le Maire de Montpellier reçoit alors un projectile sur la tête, vraisemblablement une bougie. Tu as bien lu. Le Maire de Montpellier est attaqué par la foule et ce n’est pas le titre de l’article. Qu’à cela ne tienne, on continue. Pourquoi la ville de Montpellier est-elle si admirable où
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”on ne déplore aucun incident lié au conflit de Gaza »? « Deux explications 
peuvent être avancées. Primo, la haine contenu dans les slogans traduit plus 
souvent une émotion qu’un profond ressentiment à l’égard des Juifs. Secundo, 
les leaders semblent tenir les rassemblements. »
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Il est clair que si les leaders ne les avaient pas tenus, ces rassemblements émus, c’est une enclume que se serait pris Madame le Maire et non pas une bougie. Chapeau bas. Question subsidiaire : Ils sont passés où, les leaders en 2014 ?
Suit, dans un petit entrefilet, un topo sur le Hamas, mouvement social
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"qui fait beaucoup pour l'éducation et la santé à Gaza"...
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J’ai refermé le journal avec découragement. Je me suis préparé un petit verre de menthe et je suis allée m’installer au jardin finir ma soirée “Rue des Boutiques obscures”, que j’ai relu à la santé du ministre de la Culture français.

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