dimanche 24 juillet 2011

'' Les recluses d’Auray-sous- bois '', nouvelle*


'' Les recluses d’Auray-sous- bois '', nouvelle*


Paul Benaïm pour Guysen International News -

Le récit qui va suivre, une histoire incroyable aux rebondissements inattendus, m’a été adressé par un cardiologue en exercice qui souhaite garder l'anonymat. Les faits qu'il rapporte, écrit-il, sont authentiques et pour éviter toute reconnaissance des protagonistes, le nom du personnage central et les noms de lieux ont été gommés.


" On ne fait pas de bonne médecine avec de bons sentiments. La seule exigence de notre métier est la compétence ".

« Il y a longtemps, très longtemps, j'ai été le témoin d'une discussion en salle de garde entre deux internes en chirurgie, alors que j'étais en première année d’externat dans un hôpital parisien. L'un ironisait sur les habitudes du second qui passait bien du temps, trop de temps selon lui, à la visite en salle et aux entretiens avec les familles des patients. Lui-même préférait se consacrer plutôt à l'étude de l'anatomie et à la préparation des concours, affirmant :

" On ne fait pas de bonne médecine avec de bons sentiments. La seule exigence de notre métier est la compétence ".

Un appel pour une visite en banlieue parisienne

Cette controverse est au cœur de toute activité médicale, elle met en balance une attitude compassionnelle et une attitude de technicien sinon froid, du moins plus détaché et considérant que les priorités sont l'excellence du diagnostique, le succés des procédures, laissant aux assistantes sociales les problèmes humains.

L'histoire dont j'ai été l'un des acteurs montre que l'on n'est pas toujours le maître de la situation et que les circonstances peuvent décider à votre place.


Tout a commencé à la veille de Noël par un appel téléphonique aux termes imprécis et sans véritable notion d'urgence, une demande de visite dans une lointaine banlieue.

Le nom de la patiente ne m'était pas étranger… c'est un nom que l'on retient grâce à son homonymie avec celui d'un très célèbre metteur en scène italien aujourd'hui disparu. Au cours du long trajet, j'ai pu mettre un peu d'ordre dans des bribes de souvenirs… Oui c'est cela, cela se passait il y a 20 ans, dans les années 70.

Mlle Sophia F. était alors étudiante en médecine et j'effectuais moi-même un clinicat en pneumologie… A la fin d'un cours, elle me demande d'examiner son père… Et c'est avec elle que je me rends dans un intérieur cossu de Neuilly sur Seine. A l'époque, c'était une jeune femme élégante, en minijupe perchée sur des talons aiguilles, au regard vif et aux cheveux courts, look insolite pour une étudiante en médecine… Cette brève rencontre était restée sans lendemain.

Tant d'années après, je suis incapable de me souvenir de la maladie paternelle, mais la physionomie et le nom de cette jeune fille n'ont pas été oubliés. Pourquoi cette famille avait-elle migré d'une banlieue chic à une lointaine banlieue ouvrière ? Je n'allais pas tarder à le savoir. J'arrivai sur les lieux, un pavillon modeste, maison basse flanquée d'un petit jardin en friche… Une vieille dame, la mère de Sophia, me conduit dans la chambre de la malade… J'apprends qu'une série d'événements tragiques sont survenus : la mort du père, des revers de fortune, la nécessité de quitter Neuilly, des fiançailles rompues suivies d'un état dépressif avec insomnie rebelle… et bientôt une tuberculose pulmonaire négligée.

Les études de médecine avaient été interrompues à la veille des « cliniques* » et tout espoir de les reprendre abandonné. Depuis des années, les deux femmes vivaient cloîtrées, recluses, sans amis, sans parents et s'enfonçaient chaque jour un peu plus dans le désespoir. Dans la chambre de la malade régnait un incroyable désordre : contre un mur, à même le sol, des piles de revues médicales jaunies, de vieux journaux, des livres aux couvertures fatiguées.

Sur la table de nuit pêle-mêle, des flacons et des boîtes de médicaments où j'ai pu repérer 2 ou 3 boîtes d’un barbiturique, le gardénal.

Dans la pénombre, sur le lit, je distinguai une femme sans âge, amaigrie qui reposait sur deux oreillers en position demi-assise. De temps en temps, revenait une phrase répétée comme une litanie : "Je veux mourir, aidez moi à mourir!". Cette moribonde aux joues creuses et la jeune fille sémillante de mon souvenir n' étaient qu'une seule et même personne !

Le cri d'une mère

Je constatai que le cœur était rapide et irrégulier, autour de 150 battements par minute, un frottement péricardique, des veines jugulaires tendues… Autant d'éléments qui conduisaient, sur ce terrain, à évoquer le diagnostic de « péricardite tuberculeuse compliquée de troubles du rythme ».

Je passe sur les données de l’électrocardiogramme qui allaient dans le même sens.

Il fallait au plus vite hospitaliser… Les mots que j'entendis de la bouche maternelle sont pour moi les plus extraordinaires que j'ai pu entendre au cours d'une carrière de cardiologue : "Mais docteur, puisqu'elle vous dit qu'elle veut mourir!".

Je dus brusque les choses et appeler moi-même une ambulance qui transporta notre malade à l’hôpital Fernand Widal.

Très vite était pratiqué un choc électrique externe sous anesthésie générale, et la restauration d’un rythme normal fut suivie d'une rapide amélioration, tandis que l'ensemble des examens confirmait le diagnostic de péricardite tuberculeuse.

Au 4ème jour survint une crise convulsive généralisée… obligeant à une ponction lombaire pour éliminer l’hypothèse d’une méningite tuberculeuse. En l'absence d'anomalies du liquide céphalo-rachidien, on conclut qu’il s'agissait d'un accident lié au sevrage brutal des barbituriques : dans les dernières semaines notre patiente « mithridatisée** » prenait chaque soir sans grand effet une poignée de comprimés de ce somnifère.

Chaque jour, la situation s'améliorait et ce fut bientôt une véritable résurrection, notre patiente s’acheminait vers une guérison et sans séquelles.

C'est alors, à la veille du départ en convalescence, que je revis la maman. Après de brefs remerciements, la vieille dame me fit une étrange proposition. J'ai bien du mal à définir le ton de ses propos, à mi-chemin entre l'exigence et la supplique. En substance, je devais aller jusqu'au bout de ma démarche, c'est-à-dire faire reprendre les études de sa fille et l’aider à les mener à leur terme …

Ce qui fut fait.

Epilogue

A son retour de convalescence, S. était admise comme stagiaire dans le service, troquant la chemise de malade contre une blouse blanche. Elle suivit chaque jour la visite pendant 3 mois, prenant des notes et posant mille questions à l'interne, au patron et à moi-même. Elle fut alors en mesure de passer ses cliniques puis de soutenir une thèse, à propos d’un cas observé dans le service.


Histoire peu commune où le hasard, n'en doutons pas, a joué un rôle majeur, permettant de conjuguer un bon diagnostic, un bon traitement (ce qui est banal et après tout normal : ne sommes-nous pas honorés pour cela ?) et une bonne action (ce qui l'est moins). Sauver un patient est chose courante, redonner un sens à sa vie est exceptionnel. En passant en revue une carrière de 30 ans, j'ai cherché en vain dans ma mémoire une observation similaire ».

Sophia dirige aujourd’hui un service « long séjour » de la périphérie parisienne… Elle se consacre entièrement à ses malades. Personne autour d'elle n'est au courant de son étrange destin. Chaque année elle ne manque pas de me présenter ses vœux à la date anniversaire d'une mémorable visite en banlieue...

*Histoire peu commune où le hasard, n'en doutons pas, a joué un rôle majeur, permettant de conjuguer un bon diagnostic, un bon traitement (ce qui est banal et après tout normal : ne sommes-nous pas honorés pour cela ?) et une bonne action (ce qui l'est moins). Sauver un patient est chose courante, redonner un sens à sa vie est exceptionnel. En passant en revue une carrière de 30 ans, j'ai cherché en vain dans ma mémoire une observation similaire ».

Notes


* Les « cliniques » sont une épreuve passée à la fin des études de médecine avant la thèse

** Mithridatisation : accoutumance conduisant à la perte progressive de l’effet habituel d’un médicament, incitant le consommateur à en augmenter régulièrement la posologie.

Cette nouvelle a été publiée dans le livre de Paul Benaïm

« Les trois vies d’Abraham B. Histoires insolites d’un médecin parisien » (Editions David Reinharc) Novembre 2010


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