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Le coup de tonnerre provoqué par l’affaire Strauss-Kahn nous a tous touché d’une manière ou d’une autre, chacun différemment, mais cette affaire a surtout été un révélateur de beaucoup de choses : nos préjugés, nos fantasmes, nos parti-pris, nos conclusions vite tirées, notre facilité et notre rapidité à condamner l’autre quel qu’il soit en fonction de ce qu’on veut bien croire et de ce qu’on ressent. Ce qui vient compliquer encore plus la donne c’est que cela se passe sur deux pays qui ont des cultures et un système judicaire radicalement différents. Si on s’en tient d’abord aux faits tout simplement que s’est-il passé ? On ne sait pas grand chose tant les détails ont tous été occultés si ce n’est qu’il y a eu une relation sexuelle qui n’a apparemment, dans le meilleur ou le pire des cas, pas durée plus d’une heure si on se réfère même à l’emploi du temps « variable » de la police. Viol ou pas viol ? Ça, personne dans le public ne le sait car les preuves ne nous ont pas été communiquées et les informations que la police distille au compte-goutte sont savamment contrôlées dans ce poker menteur qu’est un procès de ce type, impliquant de surcroit une célébrité et dont l’issue sera décidée par un jury soigneusement choisi par les procureurs et les avocats et que le verdict, coupable ou non coupable, doit être rendu à l’unanimité. Et, ne serait-ce que pour ces raisons, il est effrayant de nous voir tirer des conclusions, accuser l’un ou l’autre alors que la plupart d’entre nous ne connaît rien de la procédure et de l’utilisation de la presse pour manipuler l’opinion. Ayant fait partie d’un jury à deux reprises j’ai ainsi pu connaître les mécanismes, les rouages, les avantages et les limites du système.
Et, à moins d’être avocat ou d’avoir fait partie d’un jury, on ne peut absolument pas connaître ce système tant les instructions données sont précises et la décision compliquée à prendre parce que reposant uniquement sur ce qui est dit et présenté au tribunal dans un cadre rigoureusement balisé et délimité qu’il serait trop compliqué d’expliquer ici. Chacun y va de son accusation et de ses jugements péremptoires sans même tenir compte de ces éléments. DSK est-il coupable ? Ceux qui l’accusent le trouvent trop coureur ou trop séducteur, trop français, trop puissant, trop juif, trop riche, trop socialiste, trop différent. Ceux qui le défendent se servent presque des mêmes raisons en rajoutant à juste titre d’ailleurs que le séducteur est l’antithèse du violeur et qu’aux Etats-Unis on ne fait souvent pas la différence ; les Américains, dont je suis, et on le sait bien maintenant, ne font pas beaucoup dans la nuance. La femme de chambre a-t-elle été violée ? Ceux qui disent non la trouvent trop prolétaire, trop guinéenne, trop noire, trop « immigrante », trop imprégnée du système américain de la course à l’argent avec chantage ou trop manipulée par on ne sait plus qui. Ceux qui disent oui la plaignent en se servant aussi des mêmes arguments et en rajoutant qu’elle est victime du système, d’un puissant ou d’un prédateur et l’instrumentalisent mais heureusement la loi, juste et équitable, la protège.
Ayant eu autour de moi des personnes violées, je comprends et connais l’horreur du viol et ses conséquences à terme, sur elles et même sur leurs proches et pour de nombreuses années quand ce n’est pas pour toute la vie. Le viol va bien au delà de l’acte sexuel et c’est une énorme violence qui ne dit pas son nom et qui s’apparente plus à un exercice de domination et d’avilissement, voire une maladie mentale, qu’à un fantasme sexuel. C’est un acte horrible aux conséquences horribles et se doit d’être sévèrement réprimé. J’ai également connu personnellement des gens accusés à tort de viol et leur vie a été détruite à jamais. Ils ont été ruinés, ils ont perdu leur famille, leurs amis et pour toujours le goût de vivre même après avoir été innocentés et dédommagés. Et bien souvent, surtout dans le système accusatoire américain et sa facilité à qualifier de crime sexuel ce qui n’est souvent (pas tout le temps) qu’une « passade », on accuse à tort. D’abord on détruit et après on s’excuse. Récemment, en 2006, on a accusé à tort trois étudiants de Duke University de viol ; le procureur avait, maintes et maintes fois, déclaré que son dossier était solide et qu’il n’avait personnellement aucun doute sur la culpabilité des prévenus. Il avait, pour être sûr d’arriver à ses fins, éliminé plusieurs éléments et témoignages à décharge. Un an plus tard les étudiants étaient innocentés et le procureur démis. La vie de ces étudiants a été brisée après leur renvoi par l’Université, par l’équipe de Hockey (Lacrosse) dont ils faisaient partie et les mois de prison qu’ils ont subis sans raison. En fait, tout le monde s’en est mal sorti, l’accusatrice aussi qui a tué son compagnon trois ans plus tard. C’est malheureusement devenu aux Etats-Unis, dans beaucoup de cas (bien sur pas dans tous les cas) une façon de détruire des gens ou de se faire des sous rapidement. Ca a été le cas pour Michael Jackson, William Kennedy Smith, etc.…
Le système judiciaire, différent sur de très nombreux points des systèmes européens facilite encore moins la compréhension de l’autre côté de l’Atlantique. Il faut savoir que les procureurs sont élus et que rien n’est meilleur pour leur CV que d’avoir un cas qui défraye la chronique mieux encore si une célébrité est impliquée. C’est leurs rêves, leurs buts, leurs fantasmes et ils pourront s’en prévaloir tout au long de leurs carrières, souvent politiques. Quand ils ont la chance de tomber sur pareils cas, indispensables à leur carrière, ils mettent « toute la gomme » à savoir, toutes les ressources disponibles de l’Etat (comme ici celui de New York) à la disposition de cette affaire quel qu’en soit le coût même s’il n’y a aucun rapport avec la gravité des faits, et ils feront tout pour incriminer le prévenu y compris « oublier » certains témoignages, et présenter les faits d’une façon biaisée. La défense aussi va « mettre le paquet » à la différence que cette fois ce n’est pas le contribuable qui paye mais l’inculpé. Il faut qu’il ait de gros moyens pour avoir une bonne défense sinon il le payera cher, très cher. Dans le cas de DSK, sa femme a certainement les moyens mais lui je ne le pense pas. Il lui faut espérer qu’elle lui pardonne cette « aventure ». Pour les uns comme pour les autres tous les coups sont permis. Il ne faut pas oublier qu’on est dans un système accusatoire qui a moins besoin de preuves que de convaincre un jury composé de douze personnes à voter unanimement la culpabilité ou non du prévenu (contrairement aux procès civils où la majorité est suffisante de même que dans les Grand Jury pour décider de l’inculpation ou non). La sentence est décidée par le juge qui doit également suivre des paramètres rigoureux (guidelines) établis à l’avance. Il faut savoir que la présomption d’innocence est la clé du système ; sans elle, il ne peut y avoir de procès équitable. Je passe sur les interrogatoires, les témoins, les recoupements, les expertises médico-légales (forensic), psychologiques, etc.… On est considéré coupable uniquement après que le jury ait rendu son verdict à l’issue de ses délibérations (« Innocent until proven guilty in a Cour of Law by a Jury of your peers »). Le rôle de la Police est le même que partout ailleurs mais elle s’accorde parfois des libertés qui sont d’ailleurs assez souvent sanctionnées. En l’occurrence le fait d’avoir paradé DSK menotté devant les caméras du monde entier alors que ne pèsent sur lui, au mieux, que des suspicions, bat complètement en brèche la notion même de la présomption d’innocence et est une ingérence intolérable de la Police dans le système judiciaire censé protéger ce principe. Il faut ensuite tenir compte des ambitions personnelles de toutes les parties en présence dans un procès aussi hautement médiatisé que celui-ci. Le « Police Commissionner », les enquêteurs, les experts, les avocats et le juge voudront se faire un nom. Cyrus Vance Jr, le procureur (District Attorney), fils de l’ancien Secrétaire d’Etat de Jimmy Carter, voudra lui se faire un prénom, d’autant plus qu’il a été élu avec 91% des voix parce qu’il n’avait pas d’opposants. Ce genre de pourcentage est gênant dans une démocratie donc il lui faut, par ses « prouesses », confirmer que son élection ne s’est pas faite par défaut. C’est capital pour le reste de sa carrière. Quant à ceux qui pensent que le Puritanisme ou le Féminisme, mouvements complètement opposés au demeurant, sont à l’origine du zèle montré dans cette affaire, je crois qu’ils se trompent d’abord parce qu’il n’y a pas de convergence entre ces deux courants et ensuite parce que le Puritanisme n’est pas une valeur très ancrée dans un état comme New York ou la Californie mais plutôt dans les états du Sud et d’autres états de l’intérieur du pays. Le système judiciaire américain (bien qu’il soit inexact dans une fédération de parler de système national) n’est peut-être pas le meilleur mais il n’est pas le plus mauvais. Il offre certaines garanties que le Code Napoléonien ou d’autres systèmes européens n’offrent pas comme par exemple le Grand Jury composé de 23 personnes et qui décide, à la majorité simple, de poursuivre ou pas un prévenu, système assurant plus d’objectivité et d’impartialité que la suprématie indiscutable du Juge d’instruction en France.
Il permet à une femme de ménage de déposer plainte et que ce soit pris en considération, contrairement à beaucoup de pays qui auraient étouffé l’affaire ; ca bouscule pas mal d’idées préconçues. Il a comme tous les autres ses avantages et ses inconvénients, ses qualités et ses défauts. Les clichés, les caricatures et les poncifs éculés jusqu’à la trame qu’on entend depuis une semaine sont… juste ça, des clichés, des caricatures, etc.… et n’honorent pas ceux qui les ont proférés, pas plus d’ailleurs que ceux qui avec leurs jugements hâtifs, voire haineux, ont condamné ou innocenté l’un des deux protagonistes basé sur des supputations, des rumeurs, des ouï-dires, des interprétations, des articles de presse et des déclarations télévisuelles souvent traités à chaud et sans aucune profondeur parce qu’il faut remplir l’espace entre deux publicités ou noircir une feuille de papier journal pour être payé ou maintenir son audience.
Pour ma part je me garderai d’avoir la moindre certitude n’ayant pas les éléments pour juger. Je ne pourrai pas m’empêcher de commencer à me faire une opinion mais sûrement pas à tirer des conclusions ou à porter un jugement définitif : je suis surpris par le montant de la caution et les conditions de la liberté surveillée que je n’ai jamais vus en 36 ans aux Etats-Unis même pour les plus grand maffieux plus susceptibles que lui de s’enfuir et de disparaître dans la nature ; surpris aussi des risques encourus, 74 ans de prison, sans rapport avec un acte sexuel, consenti ou non; je trouve étonnant , pas impossible mais étonnant, qu’un homme de 62 ans pas particulièrement athlétique ait pu maitriser une femme d’un mètre quatre-vingt et de 90 kilos si on en croit certaines sources; il est normal de ne pas révéler l’identité de la victime d’un viol car cela a permis à ces victimes de pouvoir porter plainte sans risques pour leur réputation et leur intégrité mais maintenant que cette affaire a acquis une telle notoriété il est temps de la révéler ne serait-ce que pour préserver des apparences d’équité ; si DSK a vraiment commis ce crime, ce n’est bien entendu pas impossible, il relèverait plus de la psychiatrie que de la criminalité ; le « perp walk » cette parade du prévenu menotté en public, système d’un autre âge, abandonné même en Chine et pratiqué quasi exclusivement dans l’état de New York est un système inique en contradiction flagrante avec un procès équitable ; cette pratique a été réinstaurée par Rudy Giuliani qui la réservait aux membres de la Maffia et aux financiers de Wall-Street, et même dans ces circonstances je ne la trouve pas vraiment appropriée dans un système juridique démocratique ; l’emploi du terme « police américaine » utilisé ad-nauseam par la presse française est totalement inexact ; il n’y a pas de police américaine, il n’y a que des polices locales, contrôlées par les autorités locales et ne répondant pas à d’autres règlementations que locales ; même la police d’état ne s’occupe pas de ce genre d’affaires et le FBI n’est pas un service de police mais d’enquête qui n’a juridiction que pour les affaires fédérales ou celles qui se passent sur plusieurs états ; cette généralisation n’est pas acceptable de ceux qui sont censés fournir des informations exactes et ce manque de rigueur augure mal de la véracité des informations qu’ils diffusent . DSK n’aurait pas « bénéficié » du même traitement dans une autre juridiction à part peut-être l’Arizona et encore.
En conclusion, malgré leurs imperfections, il y a heureusement des systèmes juridiques en place car sans eux et si on nous laissait agir selon nos intimes convictions on ne ferait pas mieux que les procès en sorcellerie du moyen-âge ou les « lynch mobs » qui pendaient les gens immédiatement après des simulacres de procès. J’ai l’impression, devant un tel déchainement de passions, que malgré les siècles nos jugements Facebook n’améliorent pas vraiment les résultats, qu’on continue à débiter des certitudes sans avoir le moindre doute et qu’on est toujours aussi capable d’envoyer des innocents à l’échafaud ou des coupables à l’impunité totale selon nos sympathies, nos préjugés ou nos opinions. Je suis écœuré des jugements à l’emporte-pièces et des raisonnements au coupe-coupe ; si on juge aujourd’hui DSK sans preuve avant même que le procès ait lieu, qui jugera-t-on demain selon les mêmes critères ? Et si l’opinion publique suffisait à elle seule à condamner pourquoi avoir des tribunaux ?
Ce sont les mêmes principes qu’employaient les Nazis et les dictatures communistes et qu’emploient maintenant les régîmes despotiques. Je rajouterai pour mes « amis Facebook » qui ont fait preuve d’une intolérance qu’il m’est difficile d’accepter et qui ont tout de suite enquêté, jugé et condamné l’une des deux parties que s’ils se sentent visés et veulent se déconnecter de moi, j’en serai tout à fait heureux.
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