La période beylical.par Sun Art
Deux Histoires
Dédiées à toutes les personnes, sans distinction de race ni de religion et qui se passionnent pour la période beylical.
Voici la première :
Titre : Attal L’escroc
Certaines grandes personnes comparent le règne de Mohamed Es-Sadok Bey (portrait ci-contre) à celui de Louis XV dont l’époque est connue sous le nom de « Régence ». C’étaient la même dissolution des mœurs, un libéralisme beylical que quelques courtisans ont poussé jusqu’à l’athéisme, une dépravation inouïe, la même recherche d’un bon mot ou d’un trait d’esprit, avec parfois une réaction de religiosité et de superstition dont les effets étaient terribles.
Le bey était adorablement bon. Son altesse pouvait pleurer à chaudes larmes parce qu’elle avait été obligée d’envoyer un meurtrier à la potence.
Sous ce règne béni, dans cette cou où, sous un bey débonnaire, tous les appétits se manifestaient et s’exerçaient au grand jour ; dans ce milieu où les escarpes et les escrocs, fort nombreux, hélas ! ne craignaient pas se glisser, un nommé Youcef Attal s’était fait une place d’élite. Parmi ces escrocs, il était l’escroc, l’escroc par excellence, comme, d’après Daudet, Gonzague était l’imposteur, parmi tous ces imposteurs qui peuplaient Tarascon.
Ses méfaits sont innombrables : j’en citerai quelques-uns.
Le prince de Galles, qui, depuis, a régné sous le nom d’Edouard VIII, se trouvait à Tunis vers 1857. En même temps que lui, Ferdinand de Lesseps, qui était le représentant du bey près de l’Empereur Napoléon III, s’était rendu à la capitale de la Régence.
Le bey avait décidé de donner un grand banquet en leur honneur. Les consuls, les notabilités des colonies étrangères, les hauts fonctionnaires du gouvernement tunisien, les hauts dignitaires de la cour et de l’armée, les bouffons du bey et ses compagnons de plaisir furent tous invités.
Le bey avait fait grandement les choses et il y avait pour le dessert des couverts en or.
Attal se trouvait parmi les invités : il remarqua qu’un personnage, placé à table en face de lui, avait très habilement subtilisé un des couverts qu’il avait subrepticement glissé dans la poche intérieure de sa redingote.
Attal demanda alors la permission, qui lui fut immédiatement accordée, de faire un tour de prestidigitation. Il prit un couvert en or, le mit ostensiblement dans sa poche, et, faisant le geste de « passer muscade » sur son voisin d’en face, il dit, à l’étonnement de tous les assistants : « cherchez dans la poche de Monsieur, vous trouverez le couvert. » Le grand dignitaire désigné tira, en tremblant et rougissant, le couvert d’or de sa poche.
Attal emporta le sien, car le soupçon ne pouvait pas même effleurer un aussi haut personnage que le dignitaire désigné par Attal ; il ne pouvait même pas être accusé de compérage.
Sidi Mustapha Khaznadar, le premier ministre du bey, avait comme « Caïd-Ed-Dar » (gouverneur de sa maison) un très vieil eunuque turc nommé Baba Braham.
L’antichambre du premier ministre était toujours peuplée de courtisans et de solliciteurs. Attal, qui se trouvait souvent dans ce milieu, avait remarqué les soupirs que poussait le Caïd-Ed-Dar lorsqu’on lui racontait une prouesse amoureuse.
- Ah ! Monseigneur, lui dit-il un jour, c’est remarquable que tu sois musulman.
- Et pourquoi ? lui dit Baba Braham ; je m’en honore, au contraire.
- Tu sais bien, lui répondit Attal, que Son Altesse et Sidi Mustafa nous interdisent de discuter religion. Ce n’est pas de religion que je parle, c’est des mœurs et des habitudes des adeptes de votre religion…
« Ainsi, vous autres musulmans, vous êtes terriblement avares ; positivement, vous n’osez pas dépenser. Si le contraire était vrai, pourquoi as-tu gardé si longtemps ton état d’eunuque, alors que, moyennant une dépense quelque peu considérable, je la reconnais, tu pourrais devenir jeune, puissant et vigoureux ?
Tremblant d’espoir et d’émoi, le vieil eunuque demanda anxieusement :
- Moyennant une dépense considérable, je pourrais devenir jeune, vigoureux et viril ? Dis-tu vrai, Attal ? A quelle somme s’élèvera cette dépense ?
- A vingt mille piastres.
- C’est excessif, dit Baba Braham.
- Je te l’avais bien dit, répondit Attal, vous autres musulmans, vous n’osez pas dépenser.
- Eh bien, ce n’est pas vrai, et je m’en vais te remettre cette somme ; mais dis-moi comment tu vas procéder.
- Voici, répondit Attal : je m’en vais acheter un immense plat en bois, que je remplirai de simples que j’irai chercher au Djebel Kochbata. Je te mettrai tout nu dans ce plat avec ces herbes, et je te pétrirai tellement avec toutes ces herbes qu’elles te pénétreront dans le corps et dans le sang. Préalablement, j’aurai pris des mesures avec un compas et fait mes calculs sur la puissance de répercussion de ces herbes, car, si je ne le faisais pas, tu deviendrais tellement puissant, tu me comprends, Monseigneur, que toutes les femmes fuiraient ton approche…Une ou deux heures après, tu te rhabilleras, tu te rendras chez ton maître, et les jeunes filles de la maison de Sidi Mustapha Khaznadar et Sidi Mustapha Khaznadar lui-même ne reconnaîtront plus, dans l’homme jeune et vigoureux qui rentrera, le vieux Baba Braham.
- Attends un instant, lui dit l’eunuque, enthousiasmé.
Il pénétra dans les appartements du premier ministre, et en ressortit avec un sac contenant vingt mille piastres en pièces de boukouffa (pièces d’or de vingt-cinq piastres) toutes neuves. Huit jours se passèrent. Attal revint voir Baba Braham.
- Tiens, lui dit-il.
Et il lui remit le sac de vingt mille piastres.
- Comment, lui demanda le vieil eunuque, la voix pleine de larmes, tu ne pourras pas ?
- Bien loin de là, je réussirai l’opération. Mais, d’après les calculs approfondies auxquels je me suis livré, la somme que je dois dépenser se montera à trente-six mille huit cent quarante-deux piastres et demie et six caroubes. Comme je sais que tu n’oseras jamais dépenser une pareille somme, je te rends ton argent. Au revoir.
Attal s’en allait. Baba Braham courut le rattraper, le fit attendre, pénétra dans les appartements du premier ministre et revint au bout de quelques instants avec la somme demandée, qu’il remit à Attal.
Muni de l’argent, Attal se mit immédiatement en quête d’un immense plat en bois, de près d’une piastre d’herbes séchées (une montagne), d’un compas de quelques feuilles blanc. Il acheta le tout et le fit porter chez lui.
Après avoir fait ces acquisitions, qui lui avaient coûté une centaine de piastres, il se mit à mener joyeuse vie.
Cependant, le vieux Baba Braham s’impatientait. Un mois s’était écoulé et Attal ne l’avait pas convoqué. Il s’informa de la demeure de son « transformateur » et s’y rendit un jour, à l’heure de midi, certain de le trouver. De sa fenêtre, Attal le vit venir.
Il plaça immédiatement le grand plat en bois au milieu de la pièce, le remplit avec les herbes séchées, s’assit près d’une table sur laquelle se trouvaient des feuilles de papier couvertes de chiffres, de lettres extraordinaires et de figures bizarres, dans lesquelles dominaient plusieurs lignes parallèles se rejoignant à leur extrémité par un arc de cercle. Deux immenses lunettes posées sur son nez, faisant marcher sur le papier les deux pointes du compas, Attal prenait des mesures et inscrivait des chiffres.
Baba Braham entra.
- Eh bien, Attal ? demanda-t-il.
- Chut ! lui répondit celui-ci.
Et, faisant marcher les pointes du compas, pendant près d’une heure, il prit des mesures, inscrivit des chiffres, paraissant se livrer à un calcul et à des recherches extraordinaires.
Se levant alors :
- Déshabille-toi, Monseigneur. Tu vas te mettre nu, comme au moment de ta naissance bénie. Je vais te pétrir avec toutes ces herbes. Tu redeviendras jeune, puissant et vigoureux. Seulement, je dois t’aviser du résultat de mes longues recherches et de mes savants calculs. Dès que tu auras recouvré la puissance, un certain orifice de ton corps, qui se trouve au bas de ton dos, se fermera complètement et viendra se placer, s’ouvrir et fonctionner juste entre tes yeux.
Baba Braham poussa un cri effroyable et s’en alla conter sa mésaventure à Mustafa Khaznadar, qui la rapporta au bey. Jamais, à la cour, on n’a ri autant que ce jour-là !
Le Bey dédommagea Baba Braham, et Attal ne fut pas inquiété.
Un soir d’été qu’il faisait très chaud, Attal majestueusement revêtu d’une jebba de toile blanch, portant une chéchia rouge sur la tête, se promenait le long du chenal de la Goulette. Une chaloupe, venant d’un yacht qui se trouvait en rade, vint accoster. Un Anglais en débarqua et se mit à se promener le long du chenal. Il s’arrêta en contemplation devant les canons placés des deux côtés du chenal et remarqua les armes du Premier Empire sur ces canons. Tous ces canons avaient appartenu à la Grande Armée. Attal s’était arrêté auprès de lui. L’Anglais parla en sabir :
- Canons de l’Empereur, dit-il.
- Napoléon, répondit Attal.
- Yes, yes, dit l’Anglais. A qui sont-ils ?
- A moi, répondit majestueusement Attal.
- Veux-tu m’en vendre deux ? dit l’Anglais.
- Yes, dit Attal, qui connaissait ce vocable.
- Combien ? demanda l’Anglais.
- Dix mille piastres, répondit Attal.
Calculant mal, l’Anglais lui remit quatre cents livres sterling (dix mille francs au lieu de six mille frans).
- Quand pourrai-je les faire prendre ? demanda-t-il.
- Demain matin.
Ils se serrèrent la main et se quittèrent.
Le lendemain, plusieurs marins débarquèrent du yacht et, sous la conduite de l’Anglais, voulurent prendre les canons. La sentinelle, qui tricotait en gardant le chenal, les mis en joue et menaça de tira s’ils touchaient aux canons.
L’Anglais se plaignit à son consul. Celui-ci vint trouver Khaznadar, qui lui fit payer dix mille francs. On fit une enquête.
Le nom de l’escroc était sur toutes lèvres ; Attal fut amené devant Mohamed Es-Sadok Bey.
- Ecoute, lui dit le bey ; c’est toi qui as escroqué Baba Braham et une quantité d’autres ; c’est toi qui viens de vendre mes canons à l’Anglais. Par le triple péché ! si tu ne m’escroques pas moi-même, je te ferai rendre les dix mille francs et te ferai périr sous le bêton.
- Combien de temps me donne Sidna pour l’escroquer ? Sidna comprendra qu’on ne peut pas escroquer un souverain comme un simple mortel. Je dois concentrer toute ma pensée et faire de longues études…Il me faut un mois.
- Bien, je t’accorde un moi, dit le bey.
- Un mot encore, dit Attal. Je me suis trouvé dans la gêne et j’ai engagé pour cinqu mille piastres, chez un prêteur, mes instruments d’escroquerie. Fais-moi donner ces cinq mille piastres pour les dégager et son Altesse sera escroquée, foi d’Attal.
- Donne-lui cinq mille piastres, mon fils, dit Son Altesse à l’un de ses aides de camp.
Attal toucha les cinq mille piastres.
- Que Dieu prolonge la vie de Notre Seigneur le Bey, s’écria Atta. J’ai escroqué Son Altesse, car y a-t-il des instruments d’escroquerie ? Je demande le Nicham pour attester ma maîtrise dans cet art incomparable de l’escroquerie.
Riant au larmes, Mohamed Es-Sadok Bey décora Attal pour escroquerie.
Voici la deuxième, elle est moins comique :
Titre : Mariage de raison – Mariage d’amour
Son altesse le premier ministre était venu trouver le prince Mokhtar Bey, étonné et effrayé par cette visite insolite, et lui avait fait comprendre que Son altesse le Bey avait décidé son mariage avec la fille du Cheikh ul Islam : « Raison d’Etat, » avait dit le premier ministre. Devant un tel argument, il n’y avait qu’à s’incliner, car le jeune prince comprenait, lui aussi, que seule cette union pouvait rapprocher les membres du tribunal religieux, dont l’influence, de plus en plus prépondérante sur la population, se faisait redoutable.
Son Altesse avait décidé que l’éclat le plus grand devait être donné à la célébration de ce mariage.
Cependant, le prince avait essayé par tous les moyens d’obtenir des renseignements sur sa future épouse. Une vieille femme de l’entourage beylical (était-elle notre conteuse ?) était allée transmettre les salutations de la Beya à la jeune fille ; elle avait ordre de voir jusqu’aux moindres détails de sa personne et d’en rapporter au prince un portrait exact. Avec quelle impatience son retour était attendu, vous le pensez bien.
La voiture retournait à peine au palais beylical que le prince était à la portière. Il aida la vieille dame à descendre et demanda anxieusement :
- Eh bien, ma mère ?
- Monseigneur, j’ai été admirablement reçue ; toutes les femmes de la maison du Cheikh ul Islam ont été parfaites et très sensibles à l’attention, qu’elles ont qualifiée d’exquise, de Son Altesse la Beya.
- Et la jeune fille ?
- Cette future princesse, dit la vieille rouée, honorera la cour : elle est d’une distinction absolue.
- Mais comment l’as-tu trouvée ? demanda le prince, inquiet.
- Elle porte la toilette avec une élégance suprême, elle est versée dans les sciences et elle chante à la perfection.
- Mais, enfin, est-elle belle ?
- Elle vous reçoit d’une façon parfaite, elle vous met à votre aise, elle cause de tout avec une aisance remarquable.
- Mais ce n’est pas cela que je te demande : est-elle belle ?
- Elle a une voix prenante et une démarche de princesse : positivement, elle est née pour le trône.
- Je t’en prie, réponds à ma question, ma mère.
- Elle a une dentition superbe, elle est fraîche et bien portante. Vous aurez, Monseigneur, des enfants superbes.
- Ma mère, si tu ne réponds pas à ma question, je vais dire à Altesse que tu m’as obligé à ne pas épouser la fille du Bach Mufti.
- Monseigneur, je ne suis qu’une vieille femme ; je n’ai pas les goûts d’un homme : ta future n’est pas jolie, jolie, mais elle est grande et bien faite, et sa physionomie n’est pas désagréable.
- Qu’Allah me protège ! dit le prince, je comprends ce que parler veut dire : j’épouse un laideron.
Et il se retira tout triste dans ses appartements. Quelques jours après, les fêtes du mariage furent commencées. Elles devaient durer sept jours entiers.
Tous les hauts dignitaires, tous les fonctionnaires, le corps consulaire et toues les notabilités tunisiennes et étrangères avaient été invités.
Un orchestre, composé des meilleurs musiciens indigènes, se faisaient entendre sans répit ; les chanteuses les plus belles et les plus réputées, les danseuses les plus alertes et les plus élégantes ; Miquel le violoniste, qui avait une corde de plus à son instrument, dont « le son divin arrêtait l’oiseau dans son vol dans les cieux » ; Harhar, dont le luth résonnait comme une voix humaine ; Brahim et Ayouni, dont le « rehab » pleurait des chants d’amour ; Saïd, ce chantre incomparable, qui puisait ses chansons dans les œuvres des poètes les plus anciens et les plus célèbres : tous étaient là. Parmi l’orchestre se trouvait une instrumentiste, la vieille Hallouma, femme très grosse et très âgée, qui faisait résonner un art et légèreté son tambour de basque.
Accompagné du premier ministre, qui ne le quittait pas un instant et qui, par sa faconde et ses traits d’esprit, l’amusait au plus haut point, le prince Mokhtar vint dans la salle des fêtes.
Un grand nombre de domestique offraient des rafraîchissements à tous les assistants.
Sur un signe de la vieille joueuse de tambour de basque, une jeune fille, qui se tenait près d’elle, se leva, aller chercher un café dans une tasse d’argent et le servit au prince, en lui baisant la main.
Elle était divine, drapée dans une fouta à fond d’argent, traversée de grandes bandes de soie violette, portant une jebba en satin rouge brodée d’or, la tête recouverte d’un foulard noir strié de jaune. Ses cheveux abondants, touffus, faisaient ressortir la blancheur mate de son visage, qu’éclairaient des yeux rieurs, au-dessus d’un nez mutin et d’une bouche petite, mais charnue comme une cerise.
Le prince fut tellement ému par cette radieuse apparition qu’il oublia de laisser sur le plateau le cadeau traditionnel. La vieille Hallouma s’en aperçut et sourit imperceptiblement.
- Quel est donc ce piment rouge ? demanda le prince au premier ministre.
- D’après ce qui m’a été dit, Monseigneur, répondit celui-ci, c’est la fille de Hallouma, la joueuse de tambour de basque.
Rougissant, le jeune prince parla longuement à l’oreille du premier ministre ; celui-ci lui répondit longuement de la même façon. La figure de Mokhtar Bey s’éclaira et, fort tard dans la soirée, il assista au concert.
Il revint le lendemain ; la jeune fille n’était plus là, mais tous les assistants de la vieille s’’y trouvaient.
Après s’être concerté du regard avec le premier ministre, le prince demanda sa tabatière à la vieille Hallouma. Celle-ci la lui passa ; c’était une vieille tabatière en corne, usée et fendue. Le prince l’ouvrit, prit une prise de tabac, et l’huma voluptueusement.
- Mais ton tabac est délicieux, ma mère ; il doit être de contrebande.
- Voyons, dit le premier ministre.
Le prince lui passa la tabatière.
Le premier ministre y puisa.
-C’est, ma foi, vrai, dit-il.
Et il passa la tabatière au ministre de la Plume, qui la remit au Bach Hamba, lequel la donna au férik de la Driba. Ainsi, de main en main, la tabatière fit le tour de tous les assistants, fit le tour de la salle, et en sortit.
Au bout d’un instant, la vieille Hallouma demanda la tabatière. Un aide de camp du prince fut envoyé pour la rapporter ; il ne la trouva pas et vint le dire à son maître.
- Ma mère, dit le prince à la vieille Hallouma, ta tabatière est égarée ; permets-moi de te donner la mienne en échange.
Et il lui remit une magnifique tabatière en or, recouverte d’émail rouge et enrichie de diamants.
- Merci, Monseigneur, dit la vieille instrumentiste, mis je tiens à ma tabatière, elle me vient de ma mère, et le souvenir que j’y attache est plus précieux que tout l’or, tous les émaux et tous les diamants du monde.
Le premier ministre ordonna des recherches, et le maître de la police, le férik de la Driba, vint gravement dire à Hallouma :
- Ma mère, j’ordonne une enquête, sois tranquille, la police retrouvera ta tabatière.
Le concert continua joyeusement.
Cependant, le soir du même jour, deux vieilles femmes se rendirent à la demeure de Hallouma, dans une voiture du harem grillée de moucharabié, en compagnie d’une eunuque noir, monté sur le siège, près du cocher.
- Ma fille, dirent-elles à la jeune Chérifa, qu’elles trouvèrent en train de préparer le repas de ses frères, ce soir, tu dois épouser le prince Mokhtar Bey. Viens avec nous, dans la demeure de ton Auguste Mari, et n’oublie pas que nous avons été les premières messagères de la bonne nouvelle.
- Je ne sais pas, dit la jeune fille, si je dois vous écouter ; c’est ma mère qui doit me communiquer une telle décision…
- C’est ta mère qui nous envoie, ma fille, répondirent les vieilles dames, et, pour que tu en sois persuadée, elle nous a remis sa tabatière, qu’elle tient de sa propre mère et qui te prouvera que nous venons en son nom.
La jeune fille reconnut la tabatière de sa mère, et, ayant confié le repas de ses frères et la bonne nouvelle à une voisine, suivit les deux vieilles dames dans la demeure princière, où elle retrouva sa mère ahurie, mais non étonnée, par cette surprenante nouvelle : elle s’attendait à une autre solution.
Chérifa se rendit à l’appartement qu’on lui avait préparé et revêtit les toilettes somptueuses et vraiment royales qu’elle trouva dans sa chambre.
A minuit, le prince se rendit dans la chambre nuptiale, où,, émue et tremblante, la nouvelle mariée, la fille du Bach Mufti, attendait son époux avec angoisse.
Au moment où il y pénétra, un tam-tam horrible, des coups de fusil, des coups de canon, des cris, des vociférations se firent entendre. Emu, le prince demanda des renseignements. On vint lui dire qu’il y avait une éclipse de lune et que tout ce charivari était fait pour effrayer le djinn qui avait enlevé la lune et l’obliger à le remettre en place.
Le prince s’approcha de sa jeune femme et souleva le lourd voile brodé d’argent qui recouvrait son visage ; elle était franchement laide.
- Madame, lui dit-il, au moment où je viens te voir, un présage sinistre m’éloigne de toi ; il n’est pas permis aux beys de répudier leurs femmes ; cependant, je jure par le triple péché que je ne te reverrai plus.
- Monseigneur, répondit la jeune fille, tout bey que tu sois, tu es d’une naissance moins illustre que la mienne : dans mes veines circule le sang du prophète. Mon père est le Cheikh ul Islam, honoré par sa naissance, par sa sainteté et par sa science. Les femmes de notre milieu ne prononcent jamais de serments, mais elles donnent des ordres. Je t’ordonne de sortir de mon appartement et de ne plus y mettre les pieds.
Et d’un geste vraiment souverain et majestueux, elle montra la porte à Mokhtar Bey.
Le prince sortit de la chambre nuptiale. Au même moment, il entendit de grands cris de joie.
Dans un ciel pur, constellé d’étoiles, la lune resplendissait d’un éclat radieux presque semblable à l’éclat du soleil. Sous cet heureux augure, le prince alla retrouver la jeune Chérifa et oublia, à sa vue, la physionomie désagréable de l’autre altière épouse.
Toutes les deux ont vécu longtemps après la mort du prince.
Toutes les deux ont été de grandes bienfaitrices et toutes les deux ont laissé dans la mémoires des Tunisiens, sans distinction de race ni de religion, le souvenir de leur grande bonté.
Ainsi s’achèvent les deux histoires.
Le rude hiver est passé, le beau printemps n’est plus, Dieu seul est éternel.
vendredi 24 décembre 2010
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
La grandeur de Binyamin Netanyahou....
Binyamin Netanyahou était en visite aux Etats-Unis pour la conférence annuelle de l’AIPAC. Cette visite devait être triomphale. Elle a ...
-
Mais où va le monde ? Alors que la chanteuse Rose déplorait l’antisémitisme et la haine présente sur Twitter, l’animateur de Vendredi...
-
Jérémy D., assassiné par 2 Moldaves dans le studio qu’il rénovait... Ce que l’on sait, à cette heure : C’est la femme...
-
Enjouée ? Vite une senteur légère et des notes bucoliques. Troublée ? À vous la rose et le jasmin et leurs caressants arômes...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire