mercredi 1 août 2018

Pays-Bas : La musique perdue des victimes de la Shoah rejoue à Westerbork.....


Un projet unique redonne vie à des oeuvres musicales écrites durant la Seconde Guerre mondiale, qui avaient failli disparaître pour l'éternité...

WESTERBORK, Pays-Bas (JTA) — Lors d’un dimanche brumeux, une musique enjouée de cabaret a rompu le silence qui planait sur cet ancien camp de concentration, l’un des plus grands en son genre de l’Europe occidentale occupée par les nazis.
Emanant du magnétophone d’un visiteur israélien, cette musique a entraîné des regards réprobateurs et les propos désobligeants de plusieurs habitants du secteur qui arpentaient les lieux dans un silence plein de respect. Ils ont estimé que cette musique était inappropriée dans un lieu dont le nom, aux Pays-Bas, est synonyme de meurtre à l’échelle industrielle.
Mais pour le visiteur et ses cinq compagnons juifs, Westerbork était peut-être l’endroit le plus pertinent au monde où écouter ces mélodies. Après tout, cette musique rythmée avait été composée et jouée ici même par les détenus du camp avant que les nazis ne les envoient à la mort à Auschwitz.
Parmi ces prisonniers, Max Ehrlich, un comédien allemand célébré dans les années 1930 qui s’était installé en Hollande et avait été envoyé à Westerbork après l’invasion du pays par l’Allemagne, en 1940.
Le 25 mars, son neveu Alan Ehrlich, historien amateur spécialiste de la Shoah, a pris la tête d’une visite du camp pour une délégation internationale qui comprenait un musicologue et trois journalistes.
Cette visite est entrée dans le cadre d’un projet unique placé sous les auspices du fonds national juif (JNF/KKL) au Royaume-Uni qui vise à redonner vie à des oeuvres musicales qui ont été écrites pendant la Shoah et qui ont failli disparaître pour toujours – et dans le cas de l’oeuvre de Max Ehrlich, il a fallu reconstituer les compositions sur les bases de textes qu’il était parvenu à faire sortir du camp.
« Notes d’espoir », c’est le nom d’une série de concerts en Israël donnés par les musiciens de l’orchestre symphonique d’Ashdod et avec de jeunes musiciens venus du sud d’Israël. Le projet offre une nouvelle manière d’enseigner la Shoah alors que le nombre de témoins directs de la Shoah ne cesse de diminuer, explique Samuel Hayek, président du JNF/KKL au Royaume-Uni.
Samuel Hayek, en veste, rencontre de jeunes musiciens à Ashdod, en Israël, au mois de janvier 2018 (Autorisation : JNF/KKL Royaume-Uni/via JTA)
« Rien ne symbolise mieux le renouveau du peuple Juif que des musiciens israéliens jouant les oeuvres de victimes de la Shoah en amont des 70 ans d’Israël », explique Hayek.
Mais pour Alan Ehrlich, le reconstitution des compositions de son oncle, 75 ans après leur création, a une signification qui va au-delà du symbole, explique-t-il le jour de sa visite à Westerbork, le camp où il écoute la musique diffusée par un magnétophone.
« Par-dessus tout, c’est un document historique qui raconte la formidable détermination à survivre des prisonniers qui auraient tout fait, quoi qu’il en coûte, pour rester en vie », déclare-t-il.
Dans le cas de Max Ehrlich, tenter de survivre aura impliqué de jouer les productions les plus divertissantes, les plus sensibles et les plus extravagantes aux côtés d’un groupe de théâtre constitué d’approximativement 20 prisonniers à Westerbork.
A l’ancien camp de transit nazi de Westerbork aux Pays-Bas, la maison du commandant, datant de l’Holocauste, a été préservée par une structure en verre, janvier 2018 (Crédit : Matt Lebovic/The Times of Israel)
Ehrlich aura finalement été déporté à Auschwitz et assassiné. Mais avant cela, sa vie et celle de sa troupe auront dépendu de la scène. Le commandant nazi du camp, Albert Konrad Gemmeker, « brûlait d’envie de faire du théâtre », comme le raconte Alan Ehrlich. Surveillant dans une prison, dans une zone reculée des Pays-Bas, il est probable que la musique et les divertissements auxquels il était habitué en Allemagne lui manquaient.
Comme Max Ehrlich, d’autres artistes juifs allemands avaient fui l’Allemagne nazie pour la Hollande, dont le compositeur Willy Rosen. Lorsque l’Allemagne avait envahi le pays, « Gemmeker s’était soudainement retrouvé à diriger un camp qui avait des détenus célèbres, tout un casting de Hollywood à sa disposition », raconte Alan Ehrlich, natif de New York et qui vit dorénavant en Suisse avec son épouse et ses enfants.
Pendant des mois, Gemmeker aura conservé les noms des membres de sa troupe de théâtre à l’écart des listes de transport hebdomadaire des personnes qui devaient être assassinées à Auschwitz, à Sobibor et dans d’autres camps d’extermination dans l’est.
Une vue de l’ancien camp de Westerbork (Crédit : Wikimedia Commons/via JTA)
« A l’apogée du groupe de théâtre de Westerbork, il y avait toute une équipe de production, des techniciens pour l’éclairage et tout un personnel », raconte Ehrlich. « La vie des gens de cette troupe dépendait de leur capacité à proposer un bon spectacle ».
Gemmeker invitait ses camarades des autres unités SS pour qu’ils découvrent son théâtre juif, selon les recherches effectuées par Ehrlich et Katja Zaich, auteure d’une thèse de doctorat intitulée « J’ai urgemment besoin d’une Happy End, » consacrée aux productions théâtrales des Juifs allemands exilés aux Pays-Bas. Les spectateurs nazis occupaient les deux premiers rangs d’un théâtre qui avait été spécialement construit pour les événements culturels organisés à Westerbork.
Mais Max Ehrlich, éternel optimiste qui avait su qu’il voulait devenir acteur depuis son plus jeune âge, avait néanmoins reconnu que Gemmeker serait amené à se lasser des distractions fournies par sa troupe.
« Il avait pressenti, il était conscient d’un importante malaise à Westerbork », explique Ehrlich. « On embarquait des gens chaque semaine dans des trains et on n’entendait plus jamais parler d’eux ».
Un wagon plombé de déportation symbolique dans l’ancien camp nazi de transit de Westerbork, aux Pays-Bas, janvier 2018 (Crédit : Matt Lebovic/The Times of Israel)
Conscient que les souvenirs de ses spectacles disparaîtraient avec leurs créateurs et leurs acteurs, Max Ehrlich avait alors approché un non-détenu qui avait effectué une visite – rare dans le camp de la part d’un étranger. Il avait demandé au visiteur – un proche d’un prisonnier qu’Ehrlich connaissait – de prendre avec lui certaines paroles de chansons, certaines notes et textes. Des décennies plus tard, ces oeuvres ont été trouvées dans un grenier néerlandais et transmises à Ehrlich, qui en a fait don à un musée hollandais.
« J’ai été profondément ému. J’avais des oeuvres écrites par mon oncle durant les derniers jours avant qu’il ne soit envoyé à la mort », dit Ehrlich.
Son père, le frère de Max, était propriétaire d’un cinéma et avait immigré aux Etats-Unis lorsque Max était parti en Hollande. Selon Ehrlich, le plus grand regret de son père, durant toute sa vie, aura été de ne pas avoir été en capacité d’obtenir un visa pour Max.
« J’ai au moins voulu faire connaître les dernières oeuvres de Max Ehrlich en hommage à mon père, décédé en 2008 », explique Ehrlich.
Mais les documents découverts ne contenaient ni note musicale, ni aucune indication mélodique. Ehrlich, Zaich et Francesco Lotoro, musicologue juif originaire d’Italie et spécialisé dans les oeuvres écrites pendant la Shoah, a travaillé à reconstituer la musique. Ils ont enregistré des survivants de Westerbork qui avaient assisté aux spectacles ou même participé à leur production. Ils ont trouvé une mine d’or d’informations auprès de Louis de Wijze, un survivant qui a permis de reconstituer exactement plusieurs mélodies et qui a même financé un studio pour enregistrer les airs.
Les parents du Grand rabbin Binyomon Jacobs, ont survécu à l’Holocauste en vivant dans la clandestinité. Il évoque souvent l’ancien camp devant les enfants des écoles (Crédit : Cnaan Lipshiz/JTA)
L’un d’entre eux s’intitule « Tatata », une chanson enjouée en allemand composée par Max Ehrlich et Rosen. Elle décrit l’expérience d’un résident d’un camp dont l’existence est ponctuée par le « son du gramophone et du saxophone ». Une autre, « Tu veux déjà quelqu’un d’autre », est la lamentation d’un époux éconduit. Au vu des circonstances dans laquelle elle a été écrite, la chanson peut bien s’être également référée à la vie que les prisonniers avaient été dans l’obligation de laisser derrière eux.
Un grand nombre des oeuvres de Max Ehrlich a été reconstitué par Latoro et elles seront interprétées pour la première fois depuis le génocide.
Pour certains observateurs, aujourd’hui, la création artistique sous la menace de l’extermination est un triomphe de l’humanisme sur la barbarie. Pour d’autres, c’est le résultat glaçant d’un comportement à la frontière de la collaboration.
Mémorial de Westerbork, camp de transit pour les Juifs néerlandais déportés vers l’Allemagne. (Crédit : Patricia Hofmeester/Shutterstock.com)
Etty Hillesum, une avocate qui avait écrit un journal intime durant sa détention à Westerbork avant d’être assassinée à Auschwitz, avait fait référence à la troupe de théâtre en évoquant des « bouffons » remplissant une mission macabre pour les Allemands. Elle avait écrit que les spectacles étaient créés pour injecter un faux sentiment de normalité dans la vie des gens que les nazis cherchaient à soumettre afin de faciliter leur meurtre.
Ehrlich hésite à exclure cette allégation.
« Etait-ce de la collaboration de la part des Juifs ou était-ce de la résistance ? C’est quelque chose qui, au tout début, m’a beaucoup troublé également », dit-il. « Quelle est la morale de leur participation à ces représentations théâtrales ? »
C’est une question qu’il a soulevé dans des interviews avec des douzaines de survivants de la Shoah, en particulier avec ceux qui avaient participé à la troupe de théâtre de Westerbork.
Illustration : La production en 2015 du Baltimore Theatre Project, ‘Total Verrückt!’ raconte l’histoire vraie des acteurs de cabaret dans le camp de transit néerlandais de Westerbork. (Autorisation : Baltimore Theatre Project)
La réponse la plus mordante a été donnée par Louis de Wijze, l’homme qui a reconstitué les chansons de Max Ehrlich et qui aura survécu à Westerbork très largement grâce à ses compétences exceptionnelles au football.
A ses yeux, il ne s’agit pas d’un débat sur la moralité.
« On ferait simplement n’importe quoi pour survivre », a-t-il expliqué à Alan Ehrlich. « Dans ces circonstances, la survie est la seule mission de l’existence. Tout le reste n’est qu’un détail ».

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