vendredi 6 juillet 2018

Shoah: l’accord israélo-polonais défend-il la vérité ou trahit-il l’histoire ?


Au mois d’octobre 2015, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait blâmé le mufti de Jérusalem à l’époque de la Seconde guerre mondiale, Haj Amin al-Husseini, responsable, selon lui, d’avoir inspiré aux nazis l’extermination des Juifs.
Le récit avait fait les gros titres internationaux et les responsables du monde entier et les historiens de la Shoah avaient affirmé que l’allégation faite par Netanyahu était absolument inexacte. Finalement, le Premier ministre avait retiré son accusation incendiaire, clarifiant le fait que c’était bien les nazis, et non les Palestiniens, qui avaient endossé la responsabilité de la Shoah.
La semaine dernière, le Premier ministre – fils d’un historien et amateur d’histoire autoproclamé – a à nouveau suscité une controverse historique liée à la Shoah, qui aura toutefois beaucoup moins captivé l’attention internationale.
Mercredi, il a signé un accord avec Varsovie mettant un terme à la querelle entre les deux pays au sujet d’un projet de loi controversé qui rendait susceptible de poursuites pénales l’évocation de « responsabilités ou de co-responsabilités de la nation polonaise dans les crimes nazis commis par le troisième Reich ».
Tandis que Jérusalem a fêté l’annulation des dispositions les plus problématiques présentes dans cette législation, un éminent expert israélien sur la Shoah a pour sa part jugé que le communiqué conjoint qui accompagnait l’annonce de ce pacte n’était pas seulement erroné dans les faits mais également « une trahison de la mémoire de la Shoah », motivée par de vulgaires considérations politiques contemporaines.
La querelle suscitée par cet accord met en lumière le rôle compliqué tenu par Netanyahu en tant que porte-drapeau du peuple juif et de la commémoration de la Shoah et qui, en même temps, doit s’engager dans la realpolitik pour promouvoir les intérêts israéliens dans le monde réel.
Quelques minutes après l’adoption par le parlement polonais de la législation visant à supprimer les passages polémiques et après qu’elle a été entérinée par le président Anderzej Duda, les gouvernements israélien et polonais ont émis un communiqué conjoint sur la Shoah et le rôle tenu par la Pologne pendant le génocide.
Le communiqué a déclaré que le terme « camp de la mort polonais » était « outrageusement erroné » et que le gouvernement polonais en exil pendant la guerre « a tenté de mettre un terme aux activités nazies en s’efforçant de sensibiliser les alliés occidentaux à l’assassinat systématique des Juifs polonais ».
Cette déclaration conjointe, rendue simultanément publique mercredi par Netanyahu et son homologue polonais Mateusz Morawiecki, a également pris soin de rejeter à la fois l’antisémitisme et « le sentiment anti-Polonais ».
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d’une conférence de presse au ministère de la Défense à Tel Aviv le 27 juin 2018 pour discuter de la loi polonaise amendée sur la Shoah. (Tomer Neuberg/Flash90)
De manière controversée, elle a condamné « chaque acte de cruauté commis contre les Juifs par des Polonais durant la Seconde guerre mondiale » tout en notant « des actions d’héroïsme de nombreux Polonais – en particulier de la part de Justes parmi les nations qui ont risqué leurs vies pour sauver des Juifs ».
Cette mise en exergue de « nombreux » exemples de Polonais venant secourir des Juifs, tout en ne quantifiant pas le nombre de Polonais ayant assassiné des Juifs par pur antisémitisme, a amené les détracteurs de l’accord à affirmer qu’Israël a, dans les faits, adopté le narratif polonais biaisé de la Shoah.
« C’est une trahison », a dit Yehuda Bauer, professeur émérite d’histoire et d’études de la Shoah à l’université hébraïque et conseiller universitaire au mémorial de Yad Vashem israélien au Times of Israel lundi.
« C’est une trahison de la mémoire de la Shoah et de l’intérêt du peuple juif. Et la raison en est résolument pragmatique : les liens diplomatiques, politiques et économiques qu’il y a entre le gouvernement israélien et le gouvernement polonais ».
Tandis qu’Israël est parvenu à obtenir l’annulation par la Pologne des sanctions criminelles, le projet de loi controversé prévoit encore des amendes pour ceux qui accusent « la nation polonaise ou la république de Pologne » de complicité dans la Shoah, a-t-il noté.
Le professeur Yehuda Bauer, historien spécialiste de la Shoah. (Crédit : capture d’écran YouTube)
« Et l’accord entre les deux gouvernements autorise donc les poursuites judiciaires pour ceux qui disent la vérité », a dit Bauer, affirmant également que « la vaste majorité des Polonais est extrêmement antisémite ».
Plus problématique, du point de vue de Bauer, le communiqué conjoint suggère que les autorités et le peuple polonais n’ont été coupables de rien au cours de la Seconde guerre mondiale. « C’est comme si les Allemands seuls avaient perpétré la Shoah et qu’ils n’avaient pas eu d’alliés, ni d’assistants », a-t-il expliqué.
Si la Pologne était occupée par les nazis, les chefs de la résistance polonaise avaient demandé au gouvernement en exil polonais, basé à Londres, de ne pas exprimer de sympathie pour les Juifs dans la mesure où une telle initiative aurait pu diminuer sa popularité, a ajouté l’historien né à Prague.
« Ce ne sont pas tous les Polonais, certainement – mais une majorité d’entre eux – qui se sont soit saisis de biens juifs, ou ont tué eux-mêmes des Juifs, ou les ont livrés à la police polonaise – qui a coopéré avec les Allemands et qui n’est pas mentionnée du tout dans la déclaration conjointe – ou qui les ont livrés aux Allemands », a dit Bauer.
« La déclaration conjointe ne dit pas la vérité qui est qu’une grande partie du peuple polonais a agi ainsi et qu’une petite minorité a tenté de secourir des Juifs. Elle dit l’exact opposé », a-t-il ajouté.
Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki dépose une couronne en l’honneur des Ulma, une famille polonaise tuée par les Allemands nazis pour avoir sauvé des Juifs pendant l’Holocauste, devant un musée retraçant leur destin dans le village de Markowa, au sud-est de la Pologne, le 2 janvier 2018. (AFP PHOTO / JANEK SKARZYNSKI)
Bauer, 92 ans, s’est particulièrement offusqué du communiqué reconnaissant et condamnant « chaque acte de cruauté contre les Juifs perpétrés par les Polonais » pendant la guerre.
« Nous reconnaissons ‘chaque cas’ ? Cela veut dire qu’il n’y a eu que des cas isolés », a-t-il fulminé. « Et c’est un mensonge ».
Yad Vashem a reconnu 6 863 Polonais comme Justes parmi les nations, ce qui est le nombre le plus important de tous les pays.
« En réfléchissant à la sanction terrible qui planait sur ceux qui sauvaient des Juifs, c’est un nombre impressionnant », est-il écrit sur le site de Yad Vashem.
« D’un autre côté, en évaluant le rôle tenu par les Polonais dans le secours apporté aux Juifs, on doit également prendre en considération le fait que la communauté juive polonaise était de loin la plus importante en Europe et que seulement 10% des Juifs ont survécu, » est-il précisé.
Entre 30 000 et 35 000 Juifs ont été sauvés avec l’aide des Polonais – soit
1 % de toute la communauté juive polonaise, selon Yad Vashem.
Le ministère des Affaires étrangères et le bureau du Premier ministre ont refusé de commenter les critiques de Bauer.
Yaakov Nagel, l’un des deux conseillers de Netanyahu responsables de la négociation secrète de l’accord avec le gouvernement polonais, a fermement rejeté les critiques de l’historien.
« Il n’a apparemment pas lu la déclaration ou il s’est peut-être senti insulté que nous ne l’ayons pas consulté », a déclaré le conseiller au Times of Israeldans une interview. « S’il ne s’agissait de Yehuda Bauer, je répondrais différemment », a-t-il ajouté, suggérant que l’âge avancé de Bauer a pu atténuer son jugement.
« Voilà un pays qui s’enorgueillissait d’avoir adopté une loi qui, disait-il, permettrait de restaurer l’honneur national. Un an et demi plus tard, il l’annule, la queue entre les jambes », s’est-il exclamé.
Yaakov Nagel pendant la signature de l’accord d’aide militaire israélo-américain au département d’Etat, le 14 septembre 2016. (Crédit : capture d’écran de la diffusion en direct du département d’Etat)
« C’est une grande réussite pour l’Etat d’Israël », a continué Nagel. « Les critiques me rendent fous. Nous avons obtenu un résultat formidable. Nous avions une loi dont tout le monde disait qu’elle était terrible et nous nous en sommes débarrassés. Il n’y a rien de blâmable dans ce communiqué ».
Pas un seul des reproches avancés par Bauer n’est justifié, a insisté Nagel. Il a affirmé que la loi polonaise, qui est officiellement appelée The Institute of National Remembrance – Commission for the Prosecution of Crimes against the Polish Nation Act existe depuis des décennies et que les additions récentes – les paragraphes 55a et 55b — ont été supprimés à la demande d’Israël.
Il y a eu de bons Polonais, et il y a eu de mauvais Polonais. Point final.
Il est vrai que ceux qui accusent la Pologne de complicité peuvent encore écoper d’une amende mais même Israël a des lois civiles contre la diffamation, a affirmé Nagel.
« Il y avait deux paragraphes problématiques dans cette loi et nous sommes parvenus à les faire disparaître entièrement », a-t-il noté.
Ancien conseiller à la sécurité nationale, Nagel a précisé ne pas être un spécialiste de la Shoah mais que l’ancien historien en chef de Yad Vashem Dina Porat avait confirmé que le communiqué conjoint était exact au niveau historique.
Selon une source bien placée, Porat a été en effet impliqué dans les négociations secrètes avec le gouvernement polonais mais il n’a pas vu le projet final de la déclaration conjointe. Yad Vashem, qui a salué pour sa part l’annulation par Varsovie des paragraphes controversés a toutefois exprimé sa déception devant la formulation du communiqué, a ajouté la source.
Porat n’a pas répondu à plusieurs demandes de commentaires. Un porte-parole de Yad Vashem a fait savoir que l’institution est en train de réexaminer les documents variés et qu’elle pourrait émettre une déclaration dans un avenir proche.
Des survivants de l’Holocauste et des activistes participent à une manifestation à l’ambassade de Pologne à Tel Aviv, le 8 février 2018 (Tomer Neuberg / Flash90)
Les historiens de la Shoah auraient peut-être aimé ajouter une phrase ou deux sur l’ampleur de l’antisémitisme et de la responsabilité polonaise pendant le génocide, a reconnu Nagel. Mais Yad Vashem a confirmé que « tout ce que nous avons écrit dans le communiqué conjoint est historiquement exact ».
Et quid de l’allégation de Bauer qui a estimé qu’en se référant à « chaque acte » de cruauté polonaise, on puisse donner l’impression qu’il ait s’agi en effet d’incidents ponctuels ?
« Il n’y a pas de phrase plus forte » que celle qui se trouve dans le communiqué conjoint, a dit Nagel, qui a affirmé que « chaque acte » pouvait tout autant se référer à des millions d’incidents.
« Il y a eu de bons Polonais, et il y a eu de mauvais Polonais. Point final. C’est l’Histoire », a-t-il répondu.
Personne n’a compté combien de Polonais avaient sauvé des Juifs, ni combien de Polonais en avaient tué, a-t-il poursuivi.
Le communiqué conjoint n’a pas mentionné de chiffres dans la mesure où il a été impossible de faire accepter à Varsovie une formulation qui aurait dépeint la nation polonaise sous une lumière plus sombre, a-t-il indiqué.
« On ne peut pas tout avoir », a dit Nagel. « Il y avait des phrases que nous aurions aimé ajouter mais les négociations diplomatiques sont des concessions mutuelles. On ne peut pas obtenir tout ce qu’on veut ».

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