lundi 22 janvier 2018

Iran : mécontentement des usagers lors de la privatisation des demandes de visas.....


En juillet 2017, l'ambassade de France en Iran a trouvé "une issue au casse-tête des visas". Elle a fait comme près d'une centaine d'autres centres consulaires français dans le monde et a privatisé la gestion des demandes de visas en la sous-traitant à VFS Global (Visa Facilitation Services), entreprise indienne spécialisée dans le domaine. Une solution pour les consulats et ambassades, dépassés par le volume de demandes. La délivrance ou non du visa reste en revanche du ressort des services consulaires. L'ouverture du centre a été laborieux, selon des témoignages recueillis par Euronews : longs délais pour obtenir un rendez-vous, annulation de rendez-vous etc. Depuis, si la situation semble être rentrée dans l'ordre de ce point de vue, certaines autres pratiques posent toujours question. 

Les principaux griefs des usagers

  • frais supplémentaires,
  • informations disponibles uniquement en français et anglais sur le site web, pas en persan,
  • locaux éloignés,
  • mauvaise communication sur les rendez-vous annulés, sur la réception du visa,
  • impossibilité de justifier son voyage;
Premier obstacle : le site web de VFS pour l'Iran est disponible en anglais et français uniquement. Une version en persan du site a été retirée depuis l'ouverture du centre ; la traduction était trop mauvaise selon les dires des usagers.
Les témoins contactés par Euronews se plaignent aussi de l'éloignement des bureaux de VFS, situés à la périphérie nord de Téhéran alors que l'ambassade de France se situe en plein centre-ville. 
Une personne nous a décrit son arrivée dans les bureaux de VFS à l'automne dernier, lorsque la situation ne semblait pas encore stabilisée : "j'ai vue des personnes **très inquiètes qui pleuraient. Elles disaient que leur rendez-vous, qui leur avait pourtant été confirmé, avait été annulé sans préavis."
Le centre n'était guère plus organisé au retrait de son visa :
"Lorsque nous avons déposé notre dossier, on nous a dit de venir retirer notre visa entre 15 et 17 heures le jour où il serait prêt. Lorsque nous sommes arrivés à 15h, ils avaient déjà commencé, des heures auparavant, à rendre les passeports [...] Même si des numéros de passage avaient été distribués, c'était un chaos tel [...] qu'ils ont demandé aux usagers de descendre au rez-de-chaussée du Palladium building (le centre des visas est situé au 11ème étage) pour attendre qu'on les appelle."
Il rapporte que le délai entre l'approbation de son visa et l'information qu'il était disponible au retrait a été de trois semaines. Auxquelles s'ajoutent quelques jours car "mon visa a été accordé le 31 août mais je n'ai été informé (par SMS) que quatre jours plus tard, le 4 septembre, qu'il était prêt. Aucune attention n'est prêtée au fait que les demandeurs de visas puissent avoir des problèmes urgents et que chaque jour puisse compter pour eux."
Ce témoin ajoute qu'en cas de problème, il ne semble plus possible de discuter de son dossier. Il explique qu'"avec la nouvelle procédure, aucun entretien n'est mené ; elle consiste simplement à déposer les documents et les usagers n'ont donc aucun moyen de motiver les raisons qui justifient leur voyage en France."

235 € pour un visa

Les témoignages recueillis par Euronews sont concordants sur les frais supplémentaires que cette nouvelle procédure fait peser sur les usagers.
Le témoin cité précédemment explique : "lorsque nous avons remis les documents, l'employé a commencé à trouver des défauts insensés à nos photos de passeports et à nos photocopies. Ma femme et moi avons dû refaire une photo et des photocopies de plusieurs documents alors que nous les avions déjà faites. Ils nous ont fait payer 9 € pour chaque photo, contre 200 000 rials (4,50 €) en moyenne à Téhéran et 50 centimes d'euro pour chaque photocopie. Ils ont encaissé l'argent en euros mais nous ont rendu la monnaie en rials."
Un autre témoin rapporte des pratiques similaires : il témoigne du fait qu'il leur a été demandé des documents qui n'étaient pas parmi ceux listés pour leur situation, comme la traduction de l'acte de naissance ou les trois derniers bulletins de salaires pour des personnes retraitées. Il ajoute qu'auparavant, la traduction des documents n'était pas requise par l'ambassade mais que VFS a exigé une traduction officielle le jour même. Des usagers, rapporte-t-il, ont donc "dû se rendre dans un centre de traduction proche des bureaux de VFS. Ce centre a alors exigé la certification conforme des documents, obligeant les usagers à se rendre, par exemple, à leur travail pour les faire certifier puis à revenir au centre de traduction. Ces personnes ont été contraintes de payer 4 000 000 Rials (91€) au lieu des 1 500 000 Rials (34 €) habituels pour ce genre de service. J'insiste sur le fait que ces personnes n'ont pas eu d'autres choix et que la traduction certifiée conforme de documents officiels coûte en moyenne bien moins cher que les prix pratiqués par ce centre de traduction."
Il explique aussi :
"Sur le site 'France Visa Information In Iran', il est indiqué que le coût d'un visa est de 60 €, les frais de dossier de VFS de 25 € et que pour profiter du service 'Salon premium', les demandeurs de visa doivent payer 50 € supplémentaires. Mais lorsque les personnes sont dans les locaux de VFS à Téhéran, les employés demandent aux usagers 'Voulez-vous payer 25 € et attendre longtemps ou voulez-vous payer 50 € pour le salon premium ?' Avec cette formulation, de nombreux usagers, en particulier les retraités, sont induits en erreur, pensent que la différence n'est que de 25 € et acceptent le salon premium. Et à leur grande surprise se retrouvent à payer 75 € au total."
Coût final du visa pour ce témoin, 235 € contre les 85 € attendus :
  • coût du visa - 60 € 
  • frais de dossier VFS - 25 € 
  • service premium lounge VFS - 50 € 
  • deux photos - 9 € 
  • traduction des documents - 91 €

"Une démission du service public"

Derrière la voix des usagers mécontents depuis la privatisation des demandes de visas en Iran en 2017 résonnent aussi les débats en France lors des lancements de ce marché dans différentes ambassades et consulats français dans le monde à partir de 2011. 
Les critiques sont alors assez nombreuses : inégalité d’accès au service public en raison des services complémentaires payants et "démission du service public" s'insurgeait le sénateur PS des français de l'étranger, Jean-Yves Leconte en 2011. Ou encore le risque pour les données personnelles des usagers : laCNIL s'inquiétait dès 2009 "des usages possibles de ces données par les prestataires de service ainsi que par les autorités locales, et des risques d'atteinte graves à la vie privée et aux libertés individuelles". Un précédent est même dénoncé par le syndicat CFDT du ministère des Affaires étrangères cette même année à Shangaï.
La CFDT regrette de plus, et tout comme notre témoin le rapportait, que cette externalisation "éloigne l'usager du consulat" et "réduise de fait la capacité d'appréciation des agents instructeurs qui ne peuvent s'appuyer que sur les justificatifs fournis".
Un avis qui tranche avec l'un des arguments initiaux du ministère pour le lancement du projet de privatisation. Dans une réponse à une sénatrice inquiète, le ministère des Affaires étrangères arguait en 2008 que cela permettrait de "renforcer les fonctions régaliennes de contrôle des justificatifs et de prise de décision [et] renforcer les contrôles et la lutte contre la fraude documentaire". Ainsi que la corruption, ajoutait le ministère, "le prestataire agréé n'[ayant] aucun intérêt à voir ses agents se faire corrompre, sous peine de se voir retirer son agrément et de perdre tout espoir de s'en voir attribuer de nouveaux." VFS met lui-même en garde les usagers sur son site internet contre des "exemples de fraude de recrutement".
VFS fait partie des sociétés qui se partagent le marché des services aux Etats et collectivités publiques. La CFDT dénonçait en 2009 une mise en concurrence "illusoire" en raison de la position dominante de VFS sur le marché. En dix ans, la situation n'a pas changé : dans un rapport sur le projet de loi de finances pour 2018, le Sénat souligne encore "le risque de dépendance à l'égard des deux sociétés dominant ce marché à l'échelle mondiale" ainsi que "l'insuffisance du contrôle exercé sur les opérateurs", tout en soulignant que cette privatisation "a permis d'absorber la hausse constante des demandes de visas". Le "casse-tête" des consulats semble donc résolu ; le service public et les risques pour le respect de la vie privée des usagers, eux, sont toujours dans la balance.
Contacté, le ministère des Affaires étrangères n'a pas souhaité donner suite, assurant que "les services de visa de nos ambassades font l’objet d’une préoccupation constante" et font en sorte de répondre "aux attentes des demandeurs, dans le respect de nos intérêts nationaux."
En 2010, la France décide de suivre l'exemple d'autres pays et privatise la gestion des demandes de visas à des sociétés privées dont VFS et TLScontact. En Iran, c'est VFS Global, entreprise indienne, détenue par Kuoni, groupe suisse de l'industrie du tourisme, qui obtient le marché en 2017.
Fin 2017, le Sénat français recensait 86 centres de sous-traitance des demandes de visas pour 51 postes consulaires dans 32 pays. 85% des demandes de visas en 2016 ont été traitées par les prestataires de service privés.
VFS se spécialise notamment dans l'aide à la gestion des demandes de visas et de passeports, au recueil des données biométriques ou à la gestion du contrôle au frontière. Selon les chiffres de son site web, elle comptait en 2017 2371 centres comme celui de Téhéran dans 129 pays, contre trois lors de sa création en 2001.

1 commentaire:

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