vendredi 17 novembre 2017

COMPRENDRE EMMANUEL MACRON....


Dis-moi d’où tu viens et je te dirais qui tu es ! J’ai toujours pensé que les 25 premières années de notre vie nous façonnent plus que tout. L’enfance donne le «la», l’adolescence fait des gammes et le jeune homme met tout cela en musique. D’où vient Emmanuel Macron ?
L’origine est bourgeoise, à n’en pas douter : les deux parents sont médecins, de même que son frère et sa sœur. Le jeune Emmanuel suit ses études secondaires dans un établissement privé Catholique fondé par les Jésuites. Il dira que le Catholicisme lui a apporté « une discipline d’esprit et une ouverture au monde », en même temps qu’il a nourri en lui une certaine spiritualité. Le décor est planté.
 Parmi les penseurs qui l’ont marqué durant son adolescence, il cite volontiers Jean Cocteau et André Gide, « ses compagnons irremplaçables » ainsi que le romancier catholique Georges Bernanos. Esprit brillant, après un bac S avec mention « très bien », il fera ses classes préparatoires au célèbre Lycée Henri IV à Paris. Il échoue cependant à intégrer l’Ecole Normale Supérieure et fait des études de philosophie. Il n’est pas anodin de noter qu’il fait ses gammes en philosophie avec une maîtrise sur Machiavel puis un DEA sur Hegel !
La fascination
La mise en musique se fera à 22 ans, lors de sa rencontre avec le philosophe Paul Ricoeur dont il devint l’assistant éditorial, alors que celui-ci rédige son œuvre majeure sur l’histoire et la mémoire. Paul Ricoeur jouit à cette époque d’une grande notoriété aux Etats-Unis, où il enseigne, mais a longtemps été éclipsé en France lorsqu’il était de bon ton d’être marxiste.
Paul Ricoeur était Protestant, formé par le philosophe chrétien Gabriel Marcel. On peut dire qu’il faisait partie de la mouvance du « christianisme social », très en vogue dans les années 60 avec l’épopée des « prêtres ouvriers ». Emmanuel Macron fut sans doute très influencé par cet immense philosophe qui défendait la justice sociale comme processus de redistribution des inégalités. Il fut très proche de Michel Rocard, un des très rares hommes politiques de grand talent durant les 40 dernières années (avec Raymond Barre).
Cette expérience fut fondatrice pour la pensée politique du futur président de la république. Il fut, dit-il, « comme un enfant fasciné à la sortie d’un concert ». Paul Ricoeur n’était porteur d’aucune idéologie structurée, à l’opposé des idéologies fermées, tel le marxisme ou le socialisme, mais sa pensée était au contraire plus fluide et ouverte. Il pratiquait le dialogue permanent avec toutes les tendances de pensées. Macron ira jusqu’à dire : « C’est Ricoeur qui m’a poussé à faire de la politique parce qu’il n’en n’avait pas fait ».
L’éducateur politique
 Pour comprendre la pensée politique d’Emmanuel Macron, il m’a semblé important de lire Paul Ricoeur. Rassurez-vous, je n’ai pas lu l’ensemble de son œuvre qui n’est pas d’une approche facile, mais j’ai étudié son livre intitulé « Philosophie, Ethique et politique » qui est au centre du débat.
 L’auteur apparaît comme un « éducateur politique » et aborde les grands thèmes de l’action politique, au sens noble du terme : justice, action éthique, y compris les nouvelles questions morales sur l’écologie et la bioéthique, sens de la guerre, la force du compromis, la question du mal. Bref, il aborde tous les grands problèmes auxquels sont confrontés nos démocraties actuelles.
Vous pouvez être rassuré, au moins sur un point, Emmanuel Macron fut à bonne école tant la pensée de Paul Ricoeur est précise et exigeante. Ce dernier précisait ainsi le rôle d’un éducateur politique : « La tâche d’un éducateur politique est aussi de remettre constamment dans le courant de la discussion publique ce qui est monopolisé abusivement par les spécialistes ».
L’homme capable
On peut dire que l’homme, en tant qu’être pensant et inséré dans une histoire, est au cœur de la pensée profondément humaniste de Paul Ricoeur. Ce sujet-citoyen est un être historique, « qui à la fois fait et subit l’histoire ». Ce citoyen contemporain n’a plus les repaires traditionnels et est en manque de sens. Il convient que nous trouvions un sens que nous tirions « de notre fond moral » : justice, égalité, lutte contre l’oppression.
 « L’homme est essentiellement respectable en tant que je discerne en lui la capacité d’être lui-même ». Nous arrivons à la notion fondamentale chez Paul Ricoeur qui est celle de « l’homme capable » : « c’est un homme capable de parole, capable d’action, capable de promesses. Un homme dont les actes sont coordonnables aux valeurs qu’il s’est lui-même donné».
Ricoeur partage donc l’approche humaniste du christianisme social lorsqu’il écrit : « ce qui caractérise l’humanité dans l’homme, ce qui le rend respectable, ne se situe pas du seul point de vue moral, mais aussi du point de vue politique qui fait de la cité le milieu d’effectuation des capacités humaines. Je dirais à cet égard qu’il y a une masse innombrable d’hommes et de femmes qui, pour moi, n’ont pas de visage, mais à l’égard desquels j’ai des droits et des devoirs ». Nous sommes donc responsables de l’humanité toute entière et de l’ « autre » en tant qu’individu respectable.
L’homme capable est un acteur politique qui œuvre pour le bien commun et Emmanuel Macron, après avoir reçu le message, s’est engagé.
Ethique : entre utopie et pragmatisme
La pierre angulaire de l’œuvre de Paul Ricoeur est l’éthique. Il fait la distinction entre « la morale de conviction et la morale de responsabilité ». La morale de conviction est celle qui laisse parler son cœur ou ses engagements personnels, elle peut-être utopique, subversive, mais nécessaire. Elle dit les grands principes de ce qu’il faudrait faire. La morale de responsabilité est plus pragmatique, c’est celle de celui qui gouverne, limité par la réalité de ce qu’il est possible de faire. L’éthique de conviction est l’aiguillon indispensable qui stimule l’éthique de responsabilité.
L’homme politique sera toujours coincé entre ces deux morales inconciliables mais qu’il faut néanmoins accepter et qui sont basées sur des valeurs fondamentales. Cette notion de « valeurs » est omniprésente chez Ricoeur et contraste singulièrement avec le vide des valeurs sanctifié par Sartre. Malgré la vague du nihilisme il n’a pas peur d’affirmer : « Je ne suis pas prêt à renoncer aux valeurs qui sous-tendent mon action politique ».
Laïcité
La question se pose de savoir quelles valeurs privilégier aujourd’hui, depuis que nous avons abandonné toutes les valeurs transcendantales et spirituelles ? « Il ne reste plus, c’est une évidence, d’autre valeur disponible que le respect de la vie humaine ». Ceci nous amène à la notion de laïcité, mais il convient de savoir de quel type de laïcité.
Or, selon Paul Ricoeur, « on ne peut se contenter de faire abstraction des convictions… il faut redonner corps à cette idée d’une laïcité vive, qui entretienne la confrontation entre les convictions diverses, elles mêmes nourries par la diversité de nos héritages culturels ».
On peut donc regretter « un enseignement très aseptisé », dans lequel on ne parle pas de religion, l’école laïque de la république étant « un foyer de totale neutralisation des convictions. On ne doit pas alors s’étonner de trouver comme résultat une société sans conviction, sans dynamisme propre, qui va tout demander à l’Etat ».
On comprend mieux l’engagement d’Emmanuel Macron dans sa recherche de valeurs et sa vision d’une société à la fois plus juste et plus dynamique qui veut réconcilier la responsabilité individuelle et la justice sociale. Le bonheur étant « la capacité à trouver une signification, une satisfaction, dans l’accomplissement de soi ». Mais l’avenir est ouvert et l’on ne sait pas encore que qu’il retiendra de son éducateur politique. En regardant son parcours, je médite sur cette phrase de Paul Ricoeur : « On ne sait jamais ce qui est hasard ou ce qui est destin »…

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