jeudi 9 novembre 2017

Comment des trolls rusent pour fausser ce que vous lisez....


 Le mois dernier, l’éminent journaliste israélien Raviv Drucker a publié un article dans l’édition en hébreu de Haaretz qui était intitulé « l’armée de Netanyahu ». Il y affirmait que le parti du Likud du Premier ministre rémunère des « faux nez » (des gens utilisant une fausse identité sur Internet) ainsi que des trolls pour écrire de faux commentaires sur la Toile faisant l’éloge des membres du Likud et dénigrant les adversaires du parti.

« Le Likud n’est pas le seul parti à utiliser ces techniques », avait-il écrit, « mais il semble qu’il ait quelques pas d’avance par rapport aux autres dans ce domaine. De manière générale, Netanyahu a, au cours des années, développé un arsenal impressionnant d’armes politiques qui ont eu un effet dissuasif sur presque tous les autres politiciens ».

L’article a créé une controverse au sein de l’opinion publique israélienne. Récemment, les médias américains avaient révélé que des opérateurs russes avaient utilisé l’année dernière de faux profils sur les médias sociaux pour tenter d’influencer l’issue des élections présidentielles.
Et maintenant, un journaliste israélien affirmait qu’une tactique semblable était utilisée en Israël ! Plusieurs lecteurs qui ont commenté l’article ont qualifié Drucker de « trompeur » ou de « menteur » – d’autres ont accusé les sceptiques d’être eux-mêmes des trolls payés pour cela.
Les trolls rémunérés existent-ils véritablement en Israël ? Et est-ce que la droite israélienne, comme l’a clamé Drucker, est vraiment un chef de file dans ce domaine ? Le Times of Israël a voulu vérifier.
Nous avons posté la question suivante sur un forum en ligne : « Avez-vous déjà été un troll rémunéré dans le passé ou connaissez-vous quelqu’un qui s’est prêté à cette activité ? »
« C’est sérieux ? », a répondu un commentateur.
« Si j’étais pas au courant, j’aurais pensé que ce post était un troll », a écrit un autre. « Vous êtes certain qu’il y a des trolls qui sont payés ici ? »… Je n’y avais jamais réfléchi ».
« On me dit tout le temps que je vais être payé par la Conspiration juive libérale internationale de George Soros mais je ne reçois jamais les chèques », a ironisé un troisième.
Mais après plusieurs jours de recherche, un certain nombre d’individus se sont présentés pour affirmer qu’il existe très certainement une industrie de ‘faux-nez’ en Israël et ont accepté de nous révéler certains de ses secrets et d’autres relevant plus généralement de la manipulation en ligne.
Des faux profils bien maintenus
On Yavin, fondateur et directeur général d’une entreprise appelée Online Performance Ltd, affirme qu’il y a bien une industrie de la manipulation des réseaux sociaux en Israël et qu’il en fait partie – même si sa compagnie refuse les pratiques qu’il considère comme non-éthiques, comme la création de faux-nez, de faux profils ou de trolls. Cette industrie, dit Yavin, est celle de la « gestion de la réputation en ligne », et il accepte de partager avec le Times of Israël son mode de fonctionnement et de révéler jusqu’où certains de ses collègues ont été prêts à aller.
« C’est logique que la plus grande partie de l’opinion publique ne réalise pas combien cette industrie est persuasive », explique-t-il.
« D’après moi, ce secteur existe depuis une décennie environ mais cela ne fait que trois-quatre ans qu’il a décollé. Et il y a un aspect de guérilla marketing là-dedans », ajoute-t-il, notant que pour qu’une campagne de ce type soit efficace, il est préférable que les usagers d’Internet n’aient pas connaissance de son existence.
Yavin explique que chaque entreprise de l’industrie de la gestion de la e-réputation décide elle-même quelles seront ses limites et que certaines n’ont aucun problème à créer des armées de faux profils pour tenter d’influencer les discussions sur la Toile.
On Yavin, fondateur et directeur général de Online Perfomance Ltd (Autorisation)
On Yavin, fondateur et directeur général de Online Perfomance Ltd (Autorisation)
« Certaines personnes maintiennent un faux profil pendant des mois, voire des années. Et elles le font tellement bien que c’est presque impossible de savoir que ce sont des faux ».
Yavin explique que cette industrie s’est tellement répandue dans l’espace internet israélien que « 15 % au moins des commentaires figurant sur les sites d’information israéliens, et peut-être même jusqu’à 25 ou 30 %, sont des faux. Les articles de nature politique sont ceux qui attireront le plus probablement ces trolls rémunérés » – pas seulement des commentateurs de droite, a-t-il ajouté, mais ceux de toute obédience politique.
« Dans la mesure où un parti politique disposera de plus de financement, vous verrez plus de trolls agir pour son compte. Il y a certaines formations politiques en Israël qui ont le double ou le triple du financement des autres », dit-il, indiquant que les partis les plus importants sont par conséquent davantage tentés de s’investir dans ce genre de pratique.
Yavin est réticent à l’idée de nommer ses clients mais il fait volontiers la liste des services qu’il leur fournit – il s’agit de les présenter comme des leaders de la pensée dans leurs domaines, de leur offrir un marketing de contenu, de créer des vidéos qui puissent être largement partagées et de participer à des forums en ligne comme Quora où ses clients peuvent afficher leur expertise. Mais les deux aspects les plus importants de la gestion de web-réputation sont le SEO (search engine optimization, ou référencement) sur des sites comme Google, et des campagnes sur les réseaux sociaux.
Lorsque des clients viennent le voir, Yavin crée et promeut souvent des pages Facebook pour leur compte et paie également des influenceurs – des utilisateurs de la Toile généralement issus de la Génération Y, qui sont parvenus à acquérir une audience importante sur Instagram, Twitter ou Vine – pour écrire à leur sujet.
Concernant le SEO — optimisation pour les moteurs de recherche, la pratique ayant pour objectif de stimuler la présence sur Google en jouant sur l’algorithme du moteur de recherche – presque tous les politiciens israéliens s’y prêtent, dit Yavin. Si vous cherchez sur Google le nom d’un membre de la Knesset, Yavin estime qu’environ la moitié des résultats de la première page résulteront d’une manipulation SEO.
« Cela représente environ 50 % des résultats pour autant que je le sache, et sachant que je n’ai pas fait la vérification non plus pour tous les membres de la Knesset », explique-t-il.
Les politiciens, en Israël, utilisent-ils des armées de trolls, comme celles qui existeraient largement en Russie et en Chine ? Yavin répond que « j’ai tout vu : Des opérations avec un employé, avec 12 employés, ou 100 et plus. La dernière opération concernait une organisation politique mais je ne peux pas en dire davantage ».
Tous ceux qui sont en quête de profit font appel aux entreprises de gestion d’e-réputation et pas seulement les politiques, souligne-t-il.
La majorité des gens ont une mauvaise perception de Google, estimant que la première page présentée est là… parce qu’elle doit être là. En fait, les spécialistes SEO luttent sans relâche les uns contre les autres et les meilleurs placent leurs clients à la première page des résultats de recherche.
« Dans de nombreuses industries, la majorité des résultats de recherche organique résultent des SEO : Notamment en ce qui concerne les études universitaires, les avocats, les investissements de toute sorte, l’e-commerce, les questions bancaires comme les hypothèques, les prêts et les finances ».
En fait, selon Yavin, la majorité des gens n’ont aucune idée de la force de persuasion de cette pratique.
« La majorité des gens ont une mauvaise perception de Google, estimant que la première page présentée est là… parce qu’elle doit être là. En fait, les spécialistes SEO luttent sans relâche les uns contre les autres, et les meilleurs placent leurs clients à la première page des résultats de recherche. »
Yavin s’enorgueillit de l’expertise de son entreprise en termes de SEO et explique brièvement sa manière de procéder.
« Pour commencer, vous devez savoir comment trouver les mots-clés les plus pertinents et les utiliser dans le contenu. Vous devez aussi vous assurer que votre site internet est pleinement optimisé et qu’il n’y a pas d’erreurs qui le feront moins apprécier par Google. Vous devez savoir quel contenu écrire et le publier sur votre visite internet, de manière à ce que Google le distingue davantage. Et le plus important aspect en SEO, c’est la construction de liens – faire en sorte que d’autres sites créent des liens avec le vôtre. C’est un travail très difficile mais notre entreprise a développé des techniques de construction de liens au cours des années ».
Yavin reconnaît que les résultats de son travail en termes de SEO et de réseaux sociaux peuvent également signifier que ses clients s’imagineront jouir de plus de popularité et de soutien que ce n’est le cas en réalité.
Ce type de travail est-il nuisible pour la démocratie ? Il répond : « Je comprends pourquoi la gestion d’e-réputation peut être considérée comme quelque chose de préjudiciable. Mais si je la compare à de nombreuses autres choses auxquelles se livrent les entreprises et les politiciens, alors je pense qu’elle ne l’est pas tant que ça – à l’exception des faux profils auxquels je suis opposé. Je n’ai aucun problème avec l’idée que des gens soient payés pour écrire un post sur les réseaux sociaux s’ils utilisent leur vrai nom. C’est le monde dans lequel nous vivons, et c’est la même chose que lorsqu’un présentateur est rémunéré pour faire une publicité à la télévision ou à la radio ».
Combattre le fake
Yossef Daar, co-fondateur de Cyabra, une entreprise israélienne spécialisée dans la détection des fausses activités sur les médias sociaux, explique pour sa part au Times of Israël qu’il a dirigé dans le passé ce qu’il qualifie de société de renseignements commerciaux avant que lui et ses co-fondateurs ne réalisent que les organisations avaient en fait besoin de trouver un moyen de lutter contre le type d’activités que lui et ses partenaires avaient développées.
Selon Daar, il y a 140 millions de faux comptes sur Facebook, 48 millions de robots sur Twitter et 38 millions de faux utilisateurs sur LinkedIn dans le monde entier. Les organisations qui sont les cibles des campagnes de désinformation médiatique, avertit-il, peuvent subir des dommages énormes sans réaliser pourquoi.
Yossef Daar, co-fondateur de Cyabra (Autorisation)
Yossef Daar, co-fondateur de Cyabra (Autorisation)
« Disons que vous êtes un propriétaire de supermarché et que 400 plaintes de consommateurs contre un magasin particulier sont fausses. Cela vous aiderait beaucoup de le savoir. Notre compagnie peut déterminer quels profils sur les réseaux sociaux sont faux et même déterminer qui tire les ficelles en coulisses ».
Daar dit qu’il est banal pour de grandes entreprises européennes d’employer des armées de trolls pour se calomnier les unes les autres. En Israël, ajoute-t-il, les politiciens font la même chose.
« Mais il n’y a pas qu’une partie de la sphère politique qui utilise ces méthodes. Tout le monde le fait ».
En matière d’exemple, Daar a lu une lettre ouverte parue dans le Times of Israël et intitulée « lorsque Netanyahu est allé au désastre, les yeux grands ouverts », publiée le 24 juillet 2017. En utilisant l’algorithme de son entreprise, il a découvert au moins cinq faux profils parmi les commentateurs de l’article, puis a cessé de les compter.
« J’ai arrêté après avoir vérifié cinq faux profils mais il semble qu’il y en a encore davantage. Plusieurs de ces profils comportaient des attaques ad-hominem contre l’auteur, dit-il.
En se penchant sur une seconde page d’opinion, Daar a trouvé de faux profils critiques ou élogieux de l’auteur.
L’une des nuisances pernicieuses de ces « faux-nez » rémunérés en Israël, dit Daar, c’est lorsque ceux qui les déploient cherchent activement à blesser leurs cibles – pas seulement à influencer les habitudes d’achats ou les points de vue politiques du public.
Le Times of Israël a récemment entendu parler d’un membre de la communauté des Bitcoins et de la crypto-monnaie qui s’est alarmé en remarquant que des entrepreneurs sans scrupule- certains d’entre eux issus de l’industrie des options binaires israélienne – s’impliquaient dans la crypto-monnaie et lançaient des offres de monnaie initiales. Ces offres sont une forme innovante de crowdfunding pour les start-ups, mais elles peuvent être exploitées à mauvais escient par des escrocs qui n’ont en fait aucun produit en cours de développement mais qui sont en quête de nouvelles arnaques spéculatives.
Un marketing discret contribue à cet objectif frauduleux. « Ils utilisent des faux-nez sur les réseaux sociaux et des robots sur les forums en ligne », a expliqué la source de cette information concernant ces émetteurs présumés de fausse monnaie. « Ils paient des journalistes pour avoir une couverture médiatique favorable. Certaines entreprises de relations publiques peuvent changer rapidement d’adresse IP et sembler provenir de multiples pays. Ce n’est pas seulement un phénomène israélien, c’est ce à quoi ressemble aujourd’hui le marketing agressif en ligne ».
Faux profils et menaces à la démocratie
Les psychologues ont observé que la majorité des gens oppose une résistance inconsciente à l’intention de persuasion et que nos défenses mentales s’élèvent lorsque nous détectons une publicité ou une propagande.
Les publicitaires le savent, et c’est pourquoi ils utilisent des techniques de marketing discret – en déguisant un argumentaire ou un slogan sous le point de vue sincère d’une personne désintéressée de manière à ce que la cible ne réalise pas qu’elle a été visée.
Yavin, de l’entreprise Online Performance Limited, reconnaît que le marketing discret peut souvent être plus efficace que le marketing apparent dans ses intentions. C’est l’idée qui domine les versions hors-ligne de marketing discret, comme le placement de produit dans les films et les publicités natives qui paraissent dans les journaux et dans les magazines.
« La publicité est plus efficace lorsque les gens pensent que c’est réel », explique Yavin. « En tant que personne morale, je préférerais que toutes les publicités soient étiquetées mais il y a une course aux armements dans le monde du marketing où, si vous ne dites pas que c’est du marketing, alors vous aurez l’avantage ».
Image d'illustration de Bitcoins (Autorisation : BitsofGold)
Image d’illustration de Bitcoins (Autorisation : BitsofGold)
Le philosophe social allemand contemporain Jurgen Habermas a écrit qu’afin que les démocraties fonctionnent bien, elles doivent avoir une « sphère publique robuste », un espace social où des gens se rassemblent volontairement et en toute égalité pour s’engager dans un débat rationnel à la poursuite de la vérité et du bien commun.
Dans un monde idéal, la sphère publique agit comme un contrôle exercé sur les pouvoirs du gouvernement et maintient les politiques de ce dernier sous surveillance. Habermas a également identifié deux types de communication qui existent dans nos sociétés modernes : communication communicative et communication stratégique. Dans la communication communicative, les gens tentent de discerner la vérité et de définir un espace de compréhension mutuel. Le mode stratégique implique de tenter d’obtenir d’autrui quelque chose que vous désirez, sans que l’autre n’ait conscience de vos intentions. Dans une société saine, le mode communicatif a priorité sur le monde stratégique – qui peut être considéré comme l’un de ses parasites.
Internet est-il une « sphère publique » où les gens peuvent se rassembler et communiquer d’une manière ouverte et sincère qui favoriserait la démocratie ?
Dans un article du New York Times paru en 2015, le journaliste Adrian Chen écrit que ses confrères russes tout comme les militants en Russie – au moins – ne le pensent plus. Il y a un « sentiment naissant, parmi les journalistes et les militants russes avec lesquels je me suis entretenu », a-t-il écrit, « qu’internet n’est plus un média naturel pour l’opposition politique… En oeuvrant chaque jour à faire se propager la propagande du Kremlin, les trolls rémunérés ont placé les usagers d’Internet dans l’impossibilité de faire la distinction entre la réalité et la fiction ».
De manière similaire, la professeur américaine en Etudes des médias Mara Einstein affirme dans son livre écrit en 2016 et intitulé « Black Ops Advertising: Native Ads, Content Marketing and the Covert World of the Digital Sell » que l’époque où les consommateurs pouvaient faire pression sur les importantes corporations par le biais des médias sociaux n’est plus.
« Les conversations négatives de consommateurs ont rarement un effet à long terme sur les marques », écrit-elle, parce que ces dernières ont une expertise dans le contrôle des échanges sur les réseaux sociaux.
« Au vu de notre incapacité à créer un changement significatif; pourquoi continuons-nous à poster et à tweeter ? La réponse est simple. Pendant une période brève, nous avons pu utiliser les réseaux sociaux pour faire la différence. Mais plus maintenant, plus sur le marché des consommateurs. Et malheureusement, il semblerait que nous n’ayons pas encore compris cette réalité ».
Au vu du travail dissimulé de persuasion des trolls rémunérés qui s’efforcent de nous manipuler, pouvons-nous croire à tout ce que nous lisons sur internet ?
« Je dis vraiment à tout le monde de faire attention lorsqu’on lit quelque chose sur internet », répond Yavin.
Comment obtient-il des informations nécessaires pour prendre des décisions importantes, qu’elles soient médicales ou, par exemple, pour qui voter ?
Yavin réplique : « Je vais sur Google et je fais une recherche ».
Mais un grand nombre de ces résultats ne sont-ils pas manipulés ?
« Lorsque je vais sur un site internet, cela me prend 25 à 30 secondes pour savoir si le résultat sur lequel j’ai cliqué a été promu par un spécialiste SEO ou non. Est-ce que c’est du naturel ou du faux naturel ? Mais pour les gens qui ne sont pas experts SEO, c’est difficile à savoir ».

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