dimanche 22 octobre 2017

"Comme Bonaparte, Emmanuel Macron a renversé la table"


À l'été 1943, Raymond Aron publie un article sur le général de Gaulle alors exilé à Londres. Le titre ? «  L'Ombre des Bonaparte  ». L'intellectuel inscrit de Gaulle dans la filiation bonapartiste. En 2007, porté par les mots d'Henri Guaino et la stratégie de Patrick BuissonNicolas Sarkozy enfile le bicorne et se voit comparé dans la presse européenne, puis par Alain Duhamel dans un livre (La Marche consulaire, 2009, Plon), à Napoléon. Dix ans plus tard, nouveau président, même analogie. Jean-Dominique Merchet, journaliste à L'Opinion, publie Macron Bonaparte, dont le titre parle de lui-même : Emmanuel Macron ressemble au Premier consul qui prit le pouvoir en 1799.

Point de départ ? Une intuition dans un dîner en ville pendant la campagne présidentielle. «  Tout le monde à table cherche à comprendre le phénomène Emmanuel Macron. Certains évoquent l'hypothèse d'une nouvelle forme de gaullisme. Je m'inscris en faux. Pour moi, c'est beaucoup plus Bonaparte que de Gaulle.  » Merchet va creuser. D'abord dans un article
Puis dans ce (court) livre énergique, érudit et souvent pertinent. Pour lui, pas de doute, les points communs s'accumulent et les époques se ressemblent. «  Le moment que nous vivons a quelque chose de napoléonien.  » Cette phrase ne sort pas de la plume de Jean-Dominique Merchet. Mais de la bouche d'Emmanuel Macron, dans une interview à Paris Match à quatre jours du second tour. Si même le président le dit...
Le Point : Quels sont les éléments qui vous ont poussé à comparer Emmanuel Macron au Napoléon Bonaparte de 1799, année de son accession au pouvoir ?
"Macron Bonaparte", de Jean-Dominique Merchet, ed.Stock, 121 pages, 14,50 euros. © Stock
Jean-Dominique Merchet : C'est la rencontre d'une aventure individuelle et des circonstances. Macron, c'est un jeune qui apparaît très vite sur la scène politique nationale. Comme Bonaparte. Il a 30 ans lorsqu'il devient Premier consul, Emmanuel Macron en a moins de 40 quand il accède à l'Élysée. Ce sont des personnages égotistes : ils ne se sacrifient pas pour leur propre cause contrairement à de Gaulle. S'ajoutent à cela des traits amusants : ce sont deux hommes mariés à des femmes plus âgés qu'eux ; ils viennent de la gauche, mais sont des hommes d'autorité ; ils viennent de province ; ils dorment peu ; et ont quelque chose de similaire dans le visage. Cette aventure individuelle rencontre un contexte politique équivalent, même si 2017 n'est pas 1799.
 C'est la phrase du Guépard : «  Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change.  » C'est donc un moment où les élites de droite et de gauche sont obligées de s'entendre pour sauver le système menacé par les extrêmes : en 1799, les royalistes et jacobins ; en 2017, Le Pen et Mélenchon. Les dirigeants se mettent d'accord pour renverser la table politique, installer un nouveau pouvoir, mettre en place de nouvelles bases, mais, finalement, cela permet de sauver le système.
En 2007, Nicolas Sarkozy était aussi comparé à Bonaparte. N'est-ce pas un classique dans la Ve République ?
Nicolas Sarkozy avait une énergie considérable et s'inscrivait aussi dans la tradition de la droite bonapartiste définie par René Rémond. Selon moi, chez Sarkozy, la comparaison n'était pas aussi aboutie que chez Macron. Lui a renversé la table et «  pété  » la gauche et la droite. Son parcours est plus similaire à Bonaparte : comme lui, il arrive de nulle part.
ENA, commission Attali, cabinet de François Hollande, ministre... Emmanuel Macron est tout de même un produit du système...
Bonaparte aussi. Il est dans le système méritocratique comme Macron. Ce sont des enfants de la petite bourgeoisie de province. Ils n'ont pas de capital social relationnel important. Emmanuel Macron fait l'ENA là où Bonaparte fait l'École d'artillerie. Lorsqu'on regarde le CV d'Emmanuel Macron, on ne se dit pas que c'est un parcours qui vous amène en cinq ans à l'Élysée.
 Emmanuel Macron, comme Bonaparte, veut remplacer le vide laissé par l'absence du roi. 
Emmanuel Macron est bonapartiste sur la forme, mais l'est-il sur le fond (l'ordre, l'autorité, la gloire et le mouvement) ?
Il y a quelque chose d'autoritaire chez Macron. Bonaparte était en même temps pour la Révolution française et l'ordre. Macron a une conception du pouvoir verticale. Il est profondément monarchiste. Il le dit d'ailleurs dans l'hebdo Le 1 : « La démocratie comporte toujours une forme d'incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n'a pas voulu la mort. » Le sous-texte est « j'arrive pour le remplacer ». 
C'était totalement la vision de Bonaparte qui a voulu remplir ce vide laissé par 1793. De plus, il y a chez Emmanuel Macron, et il l'a dit lors de son premier discours en tant que chef de l'État, un esprit de conquête. C'est là qu'il se rapproche du bonapartisme et s'éloigne du gaullisme qui était un esprit de résistance.
 Le bonapartisme, ce n'est pas une idéologie figée, c’est un contexte politique. Macron, c'est un Bonaparte 2.0. 
Bonaparte voulait adapter le modèle français à l'Europe. Aujourd'hui, avec Emmanuel Macron, n'est-ce pas l'inverse ?
Son projet européen est extrêmement français, d'où sa difficulté avec Merkel. Il rêve d'être le leader de l'Europe. Son projet est celui d'un leadership français. Que ce soit son discours à la Sorbonneaux Nations unies ou à Athènes, sa volonté est de faire entendre la voix de la France et qu'elle soit au premier rang. Est-ce qu'il pourra le faire ? L'avenir nous le dira.
Avec le poids des corps intermédiaires et les institutions européennes, peut-on encore être Bonaparte en 2017 ?
Les corps intermédiaires, Emmanuel Macron ne les aime pas beaucoup. Pour moi, le bonapartisme, c'est faire table rase, changer les têtes, les pratiques. Pourquoi ce ne serait pas possible ? Cela a déjà été fait en France. Le bonapartisme, ce n'est pas une idéologie figée, c'est un contexte politique. Macron, c'est un Bonaparte 2.0.
Certains comparent le président de la République à Louis-Philippe qui, en 1830, veut réconcilier les deux bourgeoisies, celles de gauche et droite. Qu'en pensez-vous ?
Je vois la comparaison, elle n'est pas dénuée d'éléments de bon sens. Sauf que Louis-Philippe est un héritier. Il n'y a pas d'aventure individuelle chez lui, pas de destin ni de trajectoire fulgurante. On l'installe ; Macron, lui, s'impose. Mais en effet, le moment est le même.
N'y a-t-il pas un risque de créer des déceptions en comparant des hommes politiques à des personnages historiques de cette importance ? Le costume n'est-il pas trop grand ?
Je ne suis pas bonapartiste (rires). Ce serait prêter beaucoup d'influence à un petit livre comme le mien. C'est un éclairage qui ne prétend pas résumer le phénomène Macron. Si Nicolas Sarkozy a perdu, ce n'est pas à cause de la comparaison avec Bonaparte, mais parce qu'il a déçu. Tout Macron n'est pas dans Bonaparte et tout Bonaparte n'est pas dans Macron, mais il y a de nombreux échos.
«  Macron Bonaparte  », de Jean-Dominique Merchet, éd. Stock, 121 pages, 14,50 euros.

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