mardi 4 août 2015

Kessel, un grand reporter au XXe siècle.....


Le romancier fut aussi un formidable journaliste. De la traite des esclaves au procès Pétain, il s'attachait à décrire les hommes, non les idées.


En 1920, le directeur du quotidien La Liberté demande à un garçon qu'il ne connaît pas de partir en reportage en Irlande, avec dix mille francs. La mise ne sera pas perdue. Le jeune homme ramène dix reportages sur l'insurrection du Sinn Féin contre l'occupation britannique. Son nom : Joseph Kessel qui devient grand reporter à l'âge de 22 ans.
Un livre revient sur la carrière de journaliste du lion Kessel. Résistant, romancier, l'homme avait la bougeotte et une passion pour les êtres humains : « Les idées ne m'intéressent guère. Ce sont les individus qui m'envoûtent », affirme-t-il. Un regard apolitique qui détonne dans un XXe siècle dominé par des idéologies meurtrières.

Les secrets de la mer Rouge

C'est en 1930 que Kessel réalise « le plus extraordinaire reportage » de sa vie. Le directeur du Matin, dont les ventes sont en chute libre, offre des frais illimités à l'étoile montante de la presse, en échange d'« une enquête qui arrache le lecteur à la routine, aux soucis de chaque jour ». 
Kessel sait que la traite négrière a toujours cours clandestinement, il « vend » son sujet et part avec le meilleur « fixeur » possible : Henry de Monfreid, qui vit en Éthiopie depuis plus de vingt ans et « connaît chaque caillou de la mer Rouge comme sa poche ».
Le jour même de son arrivée à Djibouti, le jeune reporter tombe nez à nez avec des esclaves. La scène d'égorgement de bœuf qu'il rapporte est saisissante : « Tout à coup, on aurait dit que mille démons avaient été lâchés. 
Ces gens se sont jetés sur le bœuf cru. […] Ils avaient si faim qu'ils ont dépecé le bœuf avec leurs ongles, qu'ils ont dévoré la viande crue sanguinolente et jusqu'aux intestins plein d'excréments. 
Ils ont tout mangé. Tout. Tout. Puis ivres de nourriture et de sang dont certains s'étaient barbouillé le visage et les membres, ils se sont mis à sauter, à danser et à chanter leurs complaintes millénaires originaires du cœur de l'Afrique d'où on les avait arrachés. »
En quatre mois, Kessel décrit la route des esclaves. Le tirage du Matin monte de 150 000 exemplaires.
En 1938, nouveau théâtre : l'Espagne en proie alors à la guerre civile. Toujours aussi indifférent à l'idéologie, il dresse une série de portraits frappants du peuple espagnol, « l'un des plus nobles, chevaleresques, discrets du monde ». 
Dans un entretien en 1956 avec Paul Guimard, Kessel se souvient : « Nous, les journalistes avions quelques provisions par l'intermédiaire du consulat français. Quand on proposait une boîte de sardines à un ami espagnol, il faisait mille difficultés pour les accepter. Par contre, et c'est là le mystère de la nature humaine, ce même Espagnol si fier nous suivait en attendant que nous jetions notre cigarette pour ramasser le mégot… 
La cigarette était la chose pour laquelle la honte était abolie. […] Le vice est quelquefois plus indispensable que la nourriture. »

Procès du siècle

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Kessel reprend son métier de journaliste àFrance-Soir. Pierre Lazareff, le patron du journal le désigne pour couvrir l'événement que toute la France entière attend : le procès Pétain. Le renom de l'écrivain-reporter est immense, mais ce choix étonne. Nombreux sont ceux qui doute que Kessel, homme de terrain aux mille aventures, soit « fait » pour l'atmosphère confinée du palais de justice…
Toutes les incertitudes se dispersent au moment où le public découvre le premier compte rendu du procès signé J. Kessel : « Soudain, le silence… Par la petite porte, entre des gens assis […] paraît l'accusé. Il est en uniforme. Pour toute décoration, la Médaille militaire. Il se tient droit. Il ne regarde rien, ni personne. Il va au vieux fauteuil, pose son képi lauré sur la petite table, s'assied. […] 
On sent dans l'assistance […] une gêne, un malaise, une sorte de douleur abstraite qui ne s'adressent pas à l'homme qui vient de s'asseoir. Et qui le dépassent, et qui touchent à la gloire, au destin, à la patrie, aux grands symboles dont ce vieil homme assis dans ce vieux fauteuil porte le poids. […] La première séance du procès Pétain ? Une voix qui appartient aux disques de radio plus qu'à un homme. Un képi lauré sur une vieille petite table. Un vieillard sur un vieux fauteuil. »
En novembre 1945, Kessel est envoyé à Nuremberg où se tient le procès des criminels nazis. Au lieu de se laisser emporter par l'hystérie punitive qui domine la presse française de l'époque, Kessel, juif résistant, capture l'instant où « une certaine humanité » transparaît chez « ces êtres inhumains » confrontés à leur propre horreur : « Goering, vice-roi du IIIe Reich, serra ses mâchoires livides à les rompre. 
Le commandant en chef Keitel, dont les armées avaient ramassé tant d'hommes promis aux charniers, se couvrit les yeux d'une main tremblante. Un rictus de peur abjecte déforma les traits de Streicher, bourreau des juifs. Ribbentrop humecta de la langue ses lèvres desséchées. Une sombre rougeur couvrit les joues de von Papen, membre du Herren Klub et serviteur d'Hitler. »
Kessel a bourlingué toute la vie, mais il ne s'est jamais consolé de n'avoir pu obtenir de visa pour l'URSS. Ne sachant pas très bien s'il était « plus russe que français », il se ressourçait à Montmartre, dans les boîtes de nuit russes. 
Le 23 juillet 1979, Joseph Kessel s'éteignit. Depuis, les boîtes de nuit russes de  Montmartre ont fermé.

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