mardi 21 juillet 2015

Les feux de la détresse.......


"Achetez français", implore François Hollande, de passage en Lozère. Mais ni le Président ni l’État ni le gouvernement ne sont plus maîtres chez eux. Ils sont les spectateurs lointains de nos naufrages.

 La prison pour dette ? On pouvait croire que cette peine archaïque, abolie chez nous depuis plus d’un siècle, appartenait à des temps définitivement révolus. On se trompait. La conséquence immédiate la plus évidente de la conférence européenne qui s’est conclue lundi dernier à l’insatisfaction générale, celle des créanciers comme celle du débiteur, n’est rien d’autre que le placement de la Grèce sous écrou, pour cause d’insolvabilité.
La Grèce en prison, qu’est-ce à dire, et où diable se situerait cette prison? Entendons-nous. Il n’est question ici ni de la Bastille ni de la tour de Londres ni du château d’If où Edmond Dantès, futur comte de Monte-Cristo, perdit la liberté et crut bien perdre la raison. La prison dont il s’agit est une prison ultra-moderne, une prison immatérielle, une prison sans barreaux, ou plutôt dont les barreaux sont remplacés par des règlements, des interdits, des clauses obligatoires, des sanctions automatiques… 
Une prison, quand même, dont les onze millions de détenus, placés sous bracelet électronique, ont perdu la maîtrise de leur monnaie, de leur budget, de leurs lois, de leur destin. Indépendante depuis 1822, la Grèce a été mise sous protectorat en juillet 2015, pour une durée indéterminée, par ceux-là mêmes qui, osant se réclamer de l’idéal européen quand leur seule religion est l’euro, prétendent n’agir que pour son bien. Le feuilleton grec a-t-il pour autant trouvé son épilogue ? Qui dit prison dit geôliers, verrous, chiens policiers et surveillance permanente, mais aussi mutinerie ou évasion. À suivre…
Pendant que nous n’avions d’yeux que sur la tragédie qui était à l’affiche du théâtre de la Monnaie de Bruxelles, un autre drame, un drame économique, un drame social, un drame humain se déroulait sur notre territoire. Aux dires du ministre de l’Agriculture français, Stéphane Le Foll, ce sont entre 20 et 25.000 éleveurs de bovins et de porcs, 10 % des effectifs de la profession, qui sont actuellement au bord de ce gouffre qu’est le dépôt de bilan. 
25.000 exploitations victimes de l’embargo russe, de la concurrence allemande et polonaise, des pratiques commerciales de la grande distribution, soit au total, avec les familles et l’environnement, entre 80.000 et 100.000 personnes mortellement touchées. Un coup de couteau de plus dans le tissu de la ruralité, une étape de plus vers la mort annoncée de nos villages, de nos bourgs, de toute cette France charnelle sur laquelle se sont abattus tous les corbeaux de la mondialisation.
Mais, dira-t-on, si ces agriculteurs sont menacés de faillite, l’État ne pourrait-il, substituant son aide à celles de la politique agricole commune, au cas par cas, au coup par coup, et le temps qu’il faudra, compenser leurs pertes par des subventions ? Eh bien non, de telles pratiques lui sont interdites par les règles qui régissent l’Union européenne.
Fort bien, mais une solution alternative pourrait être la limitation quantitative ou la taxation des importations de viande et de lait en provenance des pays étrangers dont la concurrence nous menace ? Cette défense naturelle est incompatible avec la libre circulation des marchandises à l’intérieur de l’espace européen.
Soit, mais est-il impossible au gouvernement de contraindre les colosses de la grande distribution, quitte à réduire leurs marges, à acheter les produits nationaux à des prix qui assurent leur rentabilité aux producteurs ? Ce serait une atteinte aux sacro-saints fondements d’une libre économie de marché.
« Achetez français », implore François Hollande, de passage en Lozère. Mais ni le Président ni l’État ni le gouvernement ne sont plus maîtres chez eux. Ils sont les spectateurs lointains de nos naufrages. Quant aux malheureux qui coulent, ils sont réduits à déverser du fumier devant les préfectures et les grandes surfaces ou à allumer sur les routes des barrages de pneus. Dérisoires et pathétiques protestations. Ce sont les derniers feux de la détresse.
L’asphyxie ou la noyade, c’est la perspective qui s’ouvre à la Grèce. La révolte, le suicide ou l’abandon, c’est le choix qui reste à nos éleveurs.
Quant à ceux qui nous gouvernent… dans quel monde vivent-ils, et quel monde nous fabriquent-ils ?

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