vendredi 23 janvier 2015

Antisémitisme : le discours de BHL à l'Assemblée générale de l'ONU...


Par Bernard-Henri Levy, publié dans la Règle du Jeu le 23 janvier 2015
À l'invitation du secrétaire général Ban Ki-moon, Bernard-Henri Lévy a prononcé l'allocution d'ouverture de la journée consacrée à la montée de l'antisémitisme.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs. Monsieur le Président et Monsieur le Secrétaire général. Mesdames et Messieurs les Ministres,
Ce n’est pas souvent qu’il revient à un philosophe de s’exprimer dans cette enceinte.
C’est l’une des premières fois (Elie Wiesel, Jiddu Krishnamuti il y a trente ans…) qu’il est demandé à un écrivain de se tenir ici, à cette tribune où ont retenti tant de grandes voix et où la cause de la paix et de la fraternité entre les hommes a connu quelques-unes de ses plus belles et nobles avancées.
Et c’est pour moi, croyez-le, une vive émotion et un honneur immense.
Si vous m’avez invité, ce matin, ce n’est pourtant pas pour chanter l’honneur et la grandeur de l’humanité – mais c’est pour pleurer, hélas, les progrès de cette inhumanité radicale, de cette bassesse, qui s’appelle l’antisémitisme.
Bruxelles où l’on s’en est pris, il y a quelques mois, à la mémoire juive et à ses gardiens.
Paris où l’on a réentendu l’infâme cri de « Mort aux Juifs » et où, il y a quelques jours, l’on a tué des dessinateurs parce qu’ils dessinaient, des policiers parce qu’ils faisaient la police et des Juifs parce qu’ils faisaient leurs courses et qu’ils étaient juste juifs.
D’autres capitales, beaucoup d’autres, en Europe et hors d’Europe, où la réprobation des Juifs est en train de redevenir le mot de passe d’une nouvelle secte d’assassins – à moins que ce ne soit la même, dans de nouveaux habits.
Votre Maison s’est édifiée contre cela.
Votre Assemblée avait la sainte tâche de conjurer le réveil de ces spectres.
Mais non, les spectres sont de retour – et c’est pour cela que nous sommes ici.
Sur ce fléau, sur ses causes et sur les moyens d’y résister, je veux d’abord, Mesdames et Messieurs, Monsieur le Secrétaire général, Monsieur le Président, réfuter un certain nombre d’analyses courantes qui ne sont faites, j’en ai peur, que pour nous empêcher de regarder le mal en face.
Il n’est pas vrai, par exemple, que l’antisémitisme est une variété parmi d’autres du racisme. Les deux doivent être combattus, bien sûr, avec une détermination égale. Mais l’on ne combat bien que ce que l’on comprend. Et il faut comprendre que, si le raciste hait dans l’Autre son altérité visible, l’antisémite en a, lui, après son invisible différence – et, de cette prise de conscience, va dépendre la nature des stratégies que l’on pourra et devra mettre en œuvre.
Il n’est pas vrai non plus que l’antisémitisme d’aujourd’hui a, comme on l’entend partout, et en particulier aux Etats-Unis, ses sources principales dans le monde arabomusulman. Dans mon pays, par exemple, il a une double source et comme un double bind. D’un côté, c’est vrai, les enfants d’un Islamisme radical devenu l’opium le plus toxique des territoires perdus de la République. Mais, de l’autre, cette vieille bête française qui, depuis l’affaire Dreyfus et Vichy, n’a jamais dormi que d’un œil et qui fait finalement bon ménage avec la bête Islamofasciste.
Et il n’est pas exact enfin que la politique de tel ou tel Etat, je veux évidemment parler de l’Etat d’Israël, produise cet antisémitisme comme la nuée l’orage. J’ai connu des capitales, en Europe, où la destruction des Juifs a été quasi totale et où l’antisémitisme est pourtant maximal. J’en ai connu d’autres, plus lointaines, où il n’y a jamais eu de Juifs du tout et où le nom Juif est pourtant synonyme de celui du Diable. Et j’affirme ici qu’Israël serait-il exemplaire, serait-il la patrie d’un peuple d’anges, reconnaîtrait-il au peuple palestinien l’Etat auquel il a droit, que la plus ancienne des haines ne baisserait, malheureusement, pas d’un ton.
Pour comprendre comment fonctionne l’antisémitisme d’aujourd’hui, il faut, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, donner congé à ces clichés et entendre la façon dont il s’exprime et se justifie.
Car jamais, au fond, les hommes ne se sont contentés de dire : « voilà, c’est comme ça, nous sommes de méchants hommes et nous haïssons les pauvres Juifs ».
Non.
Ils ont dit : « nous les haïssons parce qu’ils ont, eux, tué le Christ » — et c’était l’antisémitisme Chrétien.
Ils ont dit : « nous les haïssons parce qu’ils l’ont, au contraire, en produisant le monothéisme, inventé » — et c’était l’antisémitisme de l’âge des Lumières qui voulait en finir avec toutes les religions.
Ils ont dit : « nous les haïssons parce qu’ils sont d’une autre espèce, reconnaissables à des traits de nature qui n’appartiennent qu’à eux et qui corrompent, polluent, les autres natures »— et c’était l’antisémitisme raciste, contemporain de la naissance des sciences modernes de la vie.
Ils ont encore dit : « nous n’avons rien contre les Juifs en soi ; non, non, vraiment rien ; et nous nous moquons d’ailleurs de savoir s’ils ont tué ou vu naître le Christ, s’ils forment ou non une race à part, etc. ; notre problème, notre seul problème, c’est qu’ils sont d’horribles ploutocrates, acharnés à dominer le monde et à opprimer les humbles et les petits » — et c’était, dans toute l’Europe, ce socialisme des imbéciles qui infecta le mouvement ouvrier au début du XXe siècle et au-delà.
Aujourd’hui, aucune de ces rhétoriques ne fonctionne plus.
Pour des raisons qui tiennent à l’histoire du dernier siècle, il n’y a plus que des minorités de femmes et d’hommes pour ne pas voir qu’elles ont toutes débouché sur des massacres abominables.
Et, pour que le vieux virus reparte à l’assaut des têtes, pour qu’il lui soit de nouveau possible d’enflammer de vastes foules, pour que des hommes et des femmes puissent, en grand nombre, et, qu’à Dieu ne plaise, recommencer de haïr en toute bonne conscience ou croire, si l’on préfère, qu’il existe de justes raisons de s’en prendre aux Juifs, il faut un argumentaire nouveau que l’Histoire universelle n’ait pas eu le temps de déconsidérer.
L’antisémitisme d’aujourd’hui dit, en réalité, trois choses.
Il ne peut opérer sur grande échelle que s’il parvient à proférer et articuler trois énoncés honteux, mais inédits, et que le XXe siècle n’a pas disqualifiés.
1. Les Juifs seraient haïssables parce qu’ils soutiendraient un mauvais Etat, illégitime et assassin — c’est le délire antisioniste des adversaires sans merci du rétablissement des Juifs dans leur foyer historique.
2. Les Juifs seraient d’autant plus haïssables qu’ils fonderaient leur Israël aimé sur une souffrance imaginaire ou, tout au moins, exagérée — c’est l’ignoble, l’atroce déni de la Shoah.
3. Ils commettraient enfin, ce faisant, un troisième et dernier crime qui les rendrait plus détestables encore et qui consisterait, en nous entretenant inlassablement de la mémoire de leurs morts, à étouffer les autres mémoires, à faire taire les autres morts, à éclipser les autres martyres qui endeuillent le monde d’aujourd’hui et dont le plus emblématique serait celui des Palestiniens — et l’on est, là, au plus près de cette imbécillité, de cette lèpre, qui s’appelle la compétition des victimes.
L’antisémitisme nouveau a besoin de ces trois énoncés.
C’est comme une bombe atomique morale qui aurait là ses trois composants.
Chacun, pris séparément, suffirait à discréditer un peuple redevenu objet d’opprobre ; mais qu’ils viennent à s’additionner, que les composants se composent, que les trois fils entrent en contact et parviennent à former un nœud ou une tresse — et l’on est à peu près sûr d’assister à une déflagration dont tous les Juifs, partout, seront les cibles désignées.
Car quel vilain peuple que celui dont on aurait insinué qu’il est capable de ces trois crimes !
Quel hideux portrait que celui d’une communauté de femmes et d’hommes accusés de trafiquer ce qu’ils ont de plus sacré, à savoir la mémoire de leurs morts, pour légitimer un Etat illégitime et intimer silence aux autres souffrants de la planète !
L’antisémitisme moderne c’est cela.
L’antisémitisme ne renaîtra sur grande échelle que s’il parvient à imposer ce tableau insensé et ignoble.
Il sera antisioniste, négationniste, carburant à l’imbécile compétition des douleurs – ou il ne sera pas : c’est d’une cohérence imparable ; c’est d’une détestable, méprisable, mais infaillible logique.
Reconnaître cela, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Monsieur le Secrétaire général, Monsieur le Président, c’est commencer de voir, symétriquement, ce qu’il vous revient de faire pour lutter contre cette calamité… Lire l’intégralité.

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