À ton époque, tu les as subis, toi aussi, ces cagots qui prient tout le temps.
Cher Omar,
C’est à toi auquel j’ai pensé quand, lors d’une de mes rares visites au pays des Francs, dans cette ville – renommée pour sa chère et ses vins, et ses œuvres du génie humain – que l’on nomme Strasbourg, il m’est arrivé une mésaventure.
Elles étaient quatre à marcher de concert, toutes de noir vêtues, de la tête au pied, avec les yeux qui dépassaient de la fente. Des fatmas à la démarche chaloupée, capotées comme des toiles de tente, dans le centre de la ville, à l’heure du déjeuner ! Ce vêtement de l’islam que l’on nomme un niqab, et par abus de langage une burqa, se porte encore chez nous. Toi que l’on disait venir de Nichapour et que l’on surnommait al-Hayyami, c’est à dire le fabricant de tentes, tu auras, je suis sûr, un avis sur la question !
Les mahométanes, accueillies dans nos contrées, ont le droit de sortir. Elles se protègent de la concupiscence des hommes par cette barrière de tissu. Les quatre corbeaux étaient accompagnés de leur mari, et maître unique après Dieu, un barbu corpulent appartenant à la secte salafiste. Pardonne-moi, je les nomme barbus, par dérision. Tout ce poil en abondance me semble une survivance de temps archaïques, le signe ridicule d’une virilité exacerbée.
Le problème, vois-tu, c’est que chez nous en pays chrétien, il est interdit de se promener ainsi, et l’homme n’a droit qu’à une seule femme à la fois. Mais la loi n’est plus respectée. Tes coreligionnaires jouent de la provocation et de l’intimidation, et ils ont des appuis en haut lieu. Pour un regard ou un mot, on te tue. Partout ils en imposent. Ils nous ont déclaré la guerre et nous ne le voyons pas. À ma grande honte, je n’ai rien fait, je me suis tu, et j’ai baissé les yeux.
À ton époque, tu les as subis, toi aussi, ces cagots qui prient tout le temps. Tu profitais des failles du dogme et de la piètre qualité des docteurs de la foi pour t’adonner à tes deux passions de l’ivresse et des femmes, et tu n’avais rien à craindre des soufis dont tu te moquais gentiment.
Tu souffrirais de voir les femmes de ta nation fagotées comme des gourbis. Elles ne connaissent pas ce bonheur du vent d’été soufflant sur leur peau veloutée semblable à la rosée sur le pétale de rose, ni de sentir leur chevelure de jais flotter à l’air quand les hommes les admirent, ni d’aspirer la vie par ces lèvres pareilles aux rubis que les femmes ont chez toi et pour lesquelles les poètes de ton genre aiment à se damner.
J’ai pensé à toi, Omar, parce que l’islam, s’il est greffé sur une civilisation comme la tienne, ou sur celle des Grecs, des Romains ou des Indiens, peut produire de beaux fruits. J’ai vu l’Ispahan du chah Abbas Ier, Omar, et j’ai été ébloui. J’ai vu Chiraz et je me suis senti épicurien. J’ai vu le Taj Mahal et j’ai compris le grand amour. J’ai vu Constantinople sur le Bosphore, et j’ai rêvé de l’Orient. J’ai vu Samarcande, tel le marchand sur la route de la soie. J’ai vu Marrakech et j’ai compris la douceur de vivre. J’ai vu Grenade et l’Alhambra, et j’aime cet islam-là.
Viens me voir, Omar, nous irons noyer notre chagrin dans le vin de Chiraz, et nous rêverons ensemble de femmes qui seraient nos égales.

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