Maroc- Tunisie- Algérie et Libye (XIXe- XXe)
Publié par : Saloua Ghrissa
Enseignante d'hébreu biblique et d'histoire du judaisme ancien à l'université de tunis.
Institut Supérieur de Théologie de Tunis
Université de la Zaytouna
L’enseignement de l’hébreu dans les pays du Maghreb a connu des évolutions différentes selon la situation socio- politique et culturelle des pays concernés. Il a notamment été tributaire des évènements qui ont bouleversé le paysage géopolitique de ces pays. Ces évènements dépendent directement des facteurs externes d’abord, puis internes de deux ordres. Les premiers sont liés à l’histoire mondiale, celle de la présence coloniale dans les pays du Maghreb, de l’éveil des nationalismes, de la deuxième guerre mondiale, de la création de l’Etat d’Israël, des guerres d’indépendance et des guerres israélo- arabes. A cette situation géopolitique d’ensemble se sont ajoutés des facteurs internes à l’histoire du Judaïsme et à sa place dans les pays du Maghreb, tels que le mouvement de la Haslakah ( mouvement des Lumières) qui a débuté vers la fin du XVIIIe siècle, l’arrivée et l’action des Juifs européens dans ces pays qui a fortement influencé les Juifs autochtones, le décret Crémieux par lequel les Juifs algériens ont bénéficié de la nationalité française, autant d’éléments qui ont radicalement modifié le paysage établi depuis l’occupation ottomane.
Ces transformations qui ont bouleversé l’ensemble du Maghreb durant les XIXe et XXe siècles ont conduit à ce que feu le professeur Haïm Zafrani qualifie comme ‘l’éclatement du Judaïsme du monde arabe et une nouvelle distribution géographique des populations juives’1. L’enseignement de l’hébreu est au coeur de ses bouleversements : une concurrence s’établit en effet entre un enseignement traditionnel dont les origines remontent à l’établissement des Juifs au Maghreb et un enseignement moderne porté, aussi bien par l’Alliance Israélite Universelle que par l’école publique coloniale.
L’objet de ce travail est d’établir les différentes étapes qu’a connu l’enseignement de l’hébreu dans les pays du Maghreb durant les XIXe et XXe siècles2. Trois périodes peuvent ainsi être distinguées :
1- la période précoloniale, durant laquelle l’enseignement est essentiellement communautaire à côté de celui dispensé par les congrégations chrétiennes.
2- la période coloniale, au cours de laquelle coexistent écoles publiques, écoles de l’Alliance Israélite Universelle (A.I.U), écoles des congrégations chrétiennes et écoles communautaires.
3- La période les décolonisations marque la fin d’une époque et le début des déchirements.
1 Haïm Zafrani, Juifs d’Andalousie et du Maghreb, Paris, Maisonneuve & Larose, 1996, p.396.
2 Le cas de la Tunisie a déjà fait l’objet d’une communication donnée en 2005 dans le cadre d’un colloque internationale à Paris organisé par l’Association des Juifs de Tunisie.
1- La période pré- coloniale et les conditions de l’enseignement de l’hébreu au Maghreb:
Grâce aux nombreux témoignages de voyageurs au XVIIIe et XIXe siècle3, on a pu se constituer une idée sur les conditions de l’enseignement d’alors. Les parents envoyaient, en général, leurs enfants aux Talmudé- Torah, puis aux Yeshivot, tandis que d’autres les envoyaient dans des écoles modernes dont la plupart étaient tenues par des congrégations chrétiennes4. La scolarisation de la jeunesse juive en effet n’était pas assurée uniquement par les écoles communautaires ou par celles de l’A.I.U. Les écoles des congrégations catholiques comprenaient parmi leurs élèves un bon nombre d’enfants Juifs et musulmans des deux sexes. Il reste que c’est vers les écoles publiques, créées par l’Administration coloniale, que s’est porté le plus grand nombre d’élèves, en raison de la gratuité de l’enseignement.
L’implantation des écoles de l’A.I.U. apporte une nouvelle donne à la situation en conciliant enseignement moderne et traditionnel et en rapprochant les Juifs d’origine orientale de ceux venus d’Europe qui vivaient jusque-là dans un rejet réciproque.
A partir du dernier tiers du XIXe siècle, deux types d’enseignement fonctionnent en parallèle : l’un traditionnel, axé essentiellement sur l’étude de la Torah, l’autre moderne, tenant compte des sciences profanes et des langues étrangères. Le XXe siècle connaît d’autres changements : les deux guerres, et les mouvements d’indépendance, la création de l’Etat d’Israël, et les guerres israélo-arabes sont à l’origine de nombreuses vagues d’émigration de Juifs du Maghreb. Ces changements ont fortement affecté l’enseignement de l’hébreu.
L’enseignement communautaire :
En règle générale l’enseignement de l’hébreu, avant l’ouverture des écoles de l’Alliance Israélite Universelle, est confiné dans les écoles religieuses et
3 Tel que celui de Haïm Yossef David Azoulay (cf. Yaron Tsur, La culture religieuse à Tunis à la fin du XVIIIe, p. 63. in Entre Orient et Occident, Juifs et Musulmans en Tunisie, Paris, éd. De l’éclat, 2007).
4 Dans la métropole et durant le XIXe siècle, l’enseignement est dispensé par les congrégations catholiques. Pour la Tunisie, la première école moderne est fondée, en 1831 par Pompeo et Esther Sulema, des Juifs livournais. En 1845, une deuxième école est ouverte par l’abbé Bourgade. En 1855, une école de la mission protestante anglaise ouvre une école pour garçons ; puis les soeurs de Saint Joseph de l’Apparition ouvrent des écoles à Tunis, la Goulette, Sousse, Sfax et Djerba. Les Frères de la Doctrine chrétienne ouvrent deux écoles, l’une payante et l’autre gratuite ; enfin, la colonie italienne crée, à Tunis, un collège de garçons et un collège de filles. En 1833, l’administration française organise l’enseignement primaire en Algérie, lequel est dispensé par des congrégations catholiques. Entre 1843 et 1841, le gouvernement militaire en Algérie prive les rabbins d’exercer leurs fonctions habituelles, y compris la judicature. Les Juifs algériens sont désormais justiciables devant les tribunaux français.
Voir Haïm Zafrani, Pédagogie juive en Terre d’Islam, Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient : Adrien Maisonneuve, 1969.
réparti sur deux niveaux : les Talmudé-Torah ou eder ou encore lâ (enseignement élémentaire) et les Yeshivot (enseignement secondaire) ou encore Derušîm (enseignement pour les adultes). Il était pris en charge par les organismes communautaires. Cet enseignement, qui semble statique et tire ses racines de la période talmudique, a pour but essentiel de permettre à l’enfant de participer aux prières communautaires pendant le Shabbat ou les jours de fêtes. Nous avons à ce sujet quelques témoignages de voyageurs datant du XIXe siècle, qui déplorent tous de façon unanime la décadence dans laquelle se trouvent les écoles. Les témoignages les plus marquants sont ceux des premiers instituteurs de l’Alliance tel que celui de David Gazès5 qui décrit les conditions difficiles dans lesquelles se trouvent les élèves des Talmudé-Torah, le manque d’hygiène et le relâchement de la discipline. L’enseignement dans ces établissements se limite alors à celui de la Torah : on commence par apprendre l’alphabet, puis on récite machinalement les versets bibliques sans apprentissage de l’écriture. A cela s’ajoute le manque de professionnalisme et les défaillances pédagogiques chez les jeunes maîtres. Cet état de faits semble être le propre de toutes les écoles du Maghreb.
On notera aussi l’existence d’un autre type d’enseignement assuré par des rabbins dits voyageurs ou itinérants. Il s’agit en fait de rabbins envoyés par l’Académie de Palestine pour la collecte des dons destinés aux Yeshivot de Palestine. Ces rabbins sont souvent les hôtes des dignitaires Juifs et il leur arrive qu’ils fassent de longs séjours parmi leurs coreligionnaires durant lesquels ils assurent des cours et participent aux cérémonies religieuses.
L’enseignement communautaire, comme l’a bien décrit feu le Professeur Haïm Zafrani, a pour but principal ‘d’initier l’élève à la participation au culte, à la prière communautaire, à une tradition, à un système de prescriptions négatifs ou positifs’6. Nous sommes donc face à une interdépendance entre enseignement et vie communautaire. Aussi la répartition annuelle des matières enseignées est-elle en rapport étroit avec les dates des fêtes : on étudie le rouleau d’Esther pour la veille de Pourim, le livre de Daniel entre 9 Av et Rosh hashshanah (fête du nouvel an juif), etc. Les filles étaient généralement dispensées de cet enseignement, exception faite à celles appartenant à l’élite sociale7.
Les bases de cet enseignement traditionnel qui s'appuyait sur la notion de cohésion et de solidarité communautaires vont se trouver modifiées, voire ébranlées par les idées nouvelles: c'est désormais le sentiment d'appartenance à un peuple et non plus seulement à une communauté qui prend le pas et va déterminer de nouvelles conditions de formation des plus jeunes.
2- La période coloniale et l’implantation des écoles de l’Alliance Israélite Universelles
Les dernières décennies du XIXe siècle ont vu l’implantation des écoles de l’Alliance un peu partout où vivent des Juifs apportant, à la fois, un enseignement français et un esprit de laïcisme. Un enseignement des langues européennes est ainsi crée à côté de l’apprentissage traditionnel de l’hébreu. Deux systèmes d’enseignement sont dès lors en concurrence : un enseignement traditionnel à base religieuse et identitaire et un enseignement qui se veut résolument moderne, porteur des idées des lumières et de la révolution.
Ce dernier courant est représenté par l’A.I.U (Alliance israélite Universelle), créée en 18608 pour assurer la défense et le progrès des Juifs de part le monde. Son programme, qui vise à améliorer le niveau d’instruction des jeunes Juifs afin de leur donner les mêmes chances que leurs contemporains, prévoit que la formation serait assurée dans les langues vernaculaires, l’histoire du Judaïsme et l’enseignement de l’hébreu ne constituant qu’une des matières au programme. Adolphe Crémieux se joint à cette association pour devenir en 1862 le premier président de l’Alliance. Mais l’implantation des écoles ne put être appliquée de manière universelle comme cela était prévu, elle le fut presque uniquement dans les pays conquis par la France. Aussi l’A.I.U fut- elle perçue dans l’opinion musulmane et l’opinion les milieux juifs orthodoxes, d’un côté comme un outil d’impérialisme français. Dans les milieux juifs italiens ou allemands aussi elle suscita la suspicion et fut considérée comme une force concurrente.
Dans le même temps, les mouvements sionistes insistaient, au contraire, sur la nécessité d’apprendre l’hébreu à tous les Israélites afin de créer un véritable lien communautaire (à la fois linguistique et religieux) par delà les frontières.
Dans les premiers temps, l'ouverture des écoles de l'Alliance suscita la vigilance et la réserve des traditionalistes qui voyaient d’un mauvais oeil leurs coreligionnaires « déjudaïsés ». Ainsi l’A.I.U a-t-elle été fortement critiquée par les Juifs orthodoxes, d’un côté, et par les sionistes, de l'autre. Mais l’esprit de la réforme l’emporte et l’Alliance peut oeuvrer pour sa mission.
Plusieurs écoles de l’Alliance ouvrent leurs portes et réussissent, malgré les obstacles rencontrés à poursuivre leur mission qui consiste à dispenser, en
Notons que 1856 constitue une date repère : suite à l’Affaire des juifs de Damas, un accord relatif à l’émancipation des non- musulmans est signé par la Grande Porte sous l’influence européenne. L’affaire de Damas qui remonte à 1840 et d’autres du même genre, surtout en Europe de l’Est vont conduire à la constitution d’une organisation dont le but est la défense des droits des Juifs là où ils se trouvent. En 1860, l’A.I.U est créée. En 1957 et suite à l’affaire de Batou Sfèz en Tunisie, le Pacte fondamental est signé, promulguant une déclaration où tous les habitants de la régence jouissent des mêmes droits sans distinction d’origine, ni de confession.
premier lieu, un enseignement moderne, conforme aux programmes de l’enseignement public français et en deuxième lieu un enseignement de l’hébreu, de l’histoire juive, et des principes de la religion israélite. Cela répond en fait aux attentes des familles qui désirent donner à leurs enfants, filles aussi bien que garçons, une formation moderne sans rompre toutefois avec leur culture d’origine. Le cas algérien est sensiblement différent dans ce contexte comme on le verra plus loin.
La première école de l’A.I.U au Maghreb ouvre à Tétouan, au Maroc en 1862, suivie par celles de Tanger (1865), de Larrache (1873), de Fès (1881), de Mogador (1888), et d’Autres. A partir de 1878 des écoles ouvrent en Tunisie : une école pour les filles à Tunis (1882), une école mixte à Sousse (1883), une école mixte à Sfax (1885), une deuxième école de garçons à Tunis ( la Hafsia en 1910). En 1895, une école agricole ouvre à Djedaïda ; mais ne dure que 24 ans, faute de vocations suffisantes. Aussi en 1907, l’Alliance frappée par la décadence des écoles traditionnelles, créé un séminaire rabbinique qui ne fonctionne que peu de temps. Des grandes villes, comme Bizerte, Mahdia, et d’autres n’ont pas ouvert d’écoles, faute de contributions nécessaires. Le nombre d’élèves s’accroît d’année en année, depuis 1878 jusqu’aux années 1960 : 1000en 1881, 2700 en 1905, 3300 en 1913, 3700 en 1939, 4218 en 1956, 3751 en 1965, 896 en1967, et 51 seulement en 1951.
En Libye, une école ouvre en 1889. Cette dernière est l’unique pour tout le territoire libyen qui compte une population juive d’environ quarante milles âmes. Cette situation peut s’expliquer par la présence italienne en Libye depuis 1911 qui voyait d’un mauvais oeil l’action des écoles françaises dans les limites de son protectorat.
La première école de l’Alliance en Algérie, quant à elle n’ouvre qu’en 1894, soit soixante quatre ans après l’occupation française. Ce désintérêt pour les écoles de l’Alliance en Algérie pourrait être interprété comme la conséquence logique du décret Crémieux lequel donne la possibilité à tous les Juifs d’Algérie d’octroyer la nationalité française en 1870 ; mais aussi de la législation de Jules Ferry en 1882, par laquelle l’école primaire devient laïque, obligatoire et gratuite pour tous les Français.
L’épreuve de 1940- 1943 voit d’une part l’abrogation du décret Crémieux et d’autre part la mise en oeuvre des mesures prises par le gouvernement du maréchal Pétain, dont l’expulsion des enseignants juifs et le refus d’admettre des élèves juifs dans les établissements français. Pour prendre la relève des écoles françaises, la communauté juive d’Algérie fonde alors une association d’assistance et crée un réseau scolaire privé, composé de soixante- dix établissements disséminés dans les grandes villes telles que Alger, Oran et Constantine.
3- la période des décolonisations
A peine relevés de cette épreuve, les Juifs algériens doivent faire face à la guerre d’indépendance qui commence en 1954. Le FLN (Front de libération nationale) lance alors une série d’appels aux Juifs entre 1954 et 1956 pour qu’ils déterminent leur position par rapport à cette guerre. Certains ont intégré les lignes du FLN, d’autres ceux de l’OAS, mais la grande majorité choisit le camp de la France. Des vagues d’immigrations successives déferlent sur la France en provenance d’Algérie.
Au lendemain de l’instauration de l’Etat d’Israël et le début des guerres arabo- israéliennes, certaines écoles ferment leurs portes en raison du départ des Juifs en Israël, en France et au Canada. En 1960, l’école de Libye cesse de fonctionner, en 1962, c’est le tour de l’Algérie et en 1974, la dernière école de l’Alliance en Tunisie ferme ses portes.
Au Maroc, le cas est différent : les écoles de l’Alliance continuent de fonctionner mais sous un autre nom. Les écoles de l’Union (Ittiad). La plus importante école de l’Union aujourd’hui est celle de Casablanca dont l’enseignement est réparti sur deux niveaux : primaire et secondaire. Le lycée porte le nom de ‘Maïmonide’ et suit le programme des lycées français. Cinquante pour cent de ses élèves viennent de milieux musulmans.
Ainsi l’enseignement traditionnel a perdu du terrain face à l’enseignement moderne de l’Alliance basé sur les méthodes de l’enseignement français et frayant par là même le chemin de la laïcisation qui bouleverse l’ordre établi d’antan. Mais il ne cède pas pour autant et résiste, par réaction, en ouvrant des écoles supplémentaires gratuites, soucieuses d’attirer un plus grand nombre d’élèves. Les familles juives y envoient leurs enfants, après les cours pour leur faire apprendre les rudiments de la langue hébraïque et y recevoir l’instruction religieuse nécessaire à la célébration de la bar-mitsvah (la majorité religieuse). Cette concurrence invite aussi bien les écoles communautaires comme celles de l’Alliance à rectifier leurs positions : les premières en introduisant quelques matières profanes, et les secondes en donnant une place importante à l’enseignement religieux à côté de l’enseignement laïque.
Situation actuelle de l’enseignement de l’hébreu au Maghreb
Actuellement, deux types d’enseignement continuent à se côtoyer au Maroc et en Tunisie avec un enseignement qui demeure traditionnel et concerne les Juifs restés dans ces deux pays. Mais ce qui est nouveau et remarquable, c’est qu’a été créé dans les années quatre- vingt et quatre- vingt- dix du XXe siècle un enseignement universitaire touchant une majorité d’étudiants musulmans.
Au Maroc, l’enseignement traditionnel de l’hébreu a pu survivre et même se développer grâce à l’énergie de la communauté juive marocaine, mais aussi aux organisations juives américaines, Osar Ha-Torah et Aholé- Yossef- Yitshaq (Lubavitch) installées dans le pays depuis 1947.
En Tunisie, il ne reste aujourd'hui d'école communautaire qu'à Tunis et Djerba. A Djerba des écoles religieuses continuent à assurer, selon la tradition, une formation en hébreu et en judéo- arabe.
En 1960, l’organisation Aholé- Yossef- Yitshaq opère en Tunisie et envoie Monsieur et Madame Pinçon à demande du rabbinat tunisien. Deux écoles sont créées: l'une de garçons située rue Palestine, et l'autre de filles située à Borj Bourguiba (à côté de l'Avenue de Madrid). Ces écoles avaient reçu l'autorisation du ministère tunisien de l'éducation nationale. Les élèves au nombre de 200 à cette date, ne comptent plus aujourd'hui qu’une soixantaine. Depuis 1990, l'implantation rue Borj Bourguiba n'existe plus en raison de la chute des effectifs. Les frais de scolarité sont en fonction des moyens des parents, certains élèves bénéficient de la gratuité. Une organisation "la Joint américaine" aide au financement. La scolarité est divisée selon le modèle français en maternelle, primaire à partir de 6 ans, et secondaire à partir de 12 ans. Les horaires de 30 heures par semaine accordent 10 heures à l'enseignement de la langue. Les autres matières enseignées sont: Français- Arabe- Anglais- math- histoire/ géo- s.v.t- physique/ chimie.
La journée s'ouvre et se clôt par des prières. Les enseignants sont pour la plupart d'anciens élèves de l'école, d'autres viennent, comme la majorité des élèves, de Djerba, ou du centre Neher en France.
Un changement important est intervenu au tout début des années quatre- vingt au Maroc et dans les années 90 en Tunisie avec l’introduction de l’hébreu dans le programme des universités. A Oujda, au Maroc en 1981, à Rabat, à Marrakech, à Agadir ou à Bni- Mellal, l’hébreu est enseigné dans le cadre des départements de langues et littératures arabes, mais aussi des études islamiques. On notera que cette matière est optionnelle à côté du Turc et du Persan. En Tunisie, le phénomène est marquant puisque c’est d’abord l’Institut Supérieur de Théologie de l’université de la Zaytouna qui introduit, en 1995, l’enseignement de l’hébreu. Ce sont ensuite les facultés de lettres et sciences humaines de la Mannouba, de Sousse et l’Institut Supérieur des sciences humaines d’Ibn Sharaf qui mettent l’hébreu au programme ; l’Institut des Langues de Tunis, la faculté des sciences humaines et sociales (9 Avril) et la faculté de Sfax leur emboîtent le pas. L’Algérie, La Libye et la Mauritanie en revanche n’assurent pas de cours d’hébreu dans les établissements universitaires.
Les motivations qui ont conduit à l’introduction de l’hébreu dans l’enseignement supérieur au Maroc et en Tunisie varient selon les orientations scientifiques universitaires. Pour ne citer que l’exemple de la Tunisie, à l’Institut théologique ainsi qu’à l’Institut Supérieur des Sciences Humaines, la priorité est donnée à l’hébreu biblique pour sensibiliser les étudiants à la philologie des textes sacrés et à l’histoire comparée des religions. D'autant plus qu’à l’Institut Ibn Sharaf a été crée depuis 2000/01 un département de langues, histoire et civilisation anciennes du Proche Orient. Cette initiative s’accompagne en même temps, de l’introduction du latin et du grec depuis 1997. Pour ce qui est des autres facultés, l’accent est mis sur l’étude à la fois de l’hébreu biblique et moderne dans le but de maîtriser une langue sémitique autre que l’arabe.
Conclusion
Au moment où le colonialisme gagnait du terrain, l’espace ethno- culturel au Maghreb était assez homogène et les conditions d’enseignement à peu près les mêmes pour l’ensemble des Maghrébins.
Cependant, alors que la Tunisie, le Maroc et l’Algérie ont subi l’occupation française, on remarque que l’impact de cette occupation en ce qui concerne notre sujet n’a pas été le même dans ces pays. Le cas de l’Algérie est net à cet égard, en raison notamment de l’attachement que vouent les Juifs algériens à la France depuis 1830, mais surtout depuis le décret Crémieux et la législation de Jules Ferry. Il n’est pas difficile de comprendre au moins une des raisons de cet attachement, puisque c’est grâce à la France que les Juifs algériens, mais aussi quelques tunisiens et marocains ont pu accéder à la citoyenneté française alors qu’ils étaient sujets du bey ou du dey. Dans le même temps, il serait intéressant de se demander quels autres motifs ont poussé une communauté importante, telle que celle de l’Algérie (30.000 en 1816 ; 33000 en 1871) à faire un choix quasi unanime de quitter sa terre natale, en laissant derrière des siècles d’une histoire Ô combien riche.
Pour ce qui est de la Tunisie et du Maroc, la situation est différente puisque malgré les guerres d’indépendance de ces pays, les vagues de migrations ont été peu importantes. Ce n’est qu’avec les guerres israélo- arabes que les Juifs choisissent de partir en masse, soit pour Israël, soit vers la France ou le Canada.
L’enseignement à destination de la communauté périclite avec l’amenuisement du nombre de Juifs dans ces pays, mais on peut remarquer que c’est l’enseignement confessionnel qui résiste le mieux comme lieu de transmission de connaissances et de valeurs religieuses, culturelles et historiques
tandis que l’enseignement mixte mis en place par l’Alliance disparaît au profit de l’enseignement fourni par les pays d’origine ou les pays d’accueil.
Les liens particuliers et la longue histoire commune et pacifique des communautés juives au Maroc et en Tunisie peuvent expliquer l’étonnant intérêt manifesté par les universités pour l’enseignement de l’hébreu. Cet intérêt est double. Il est présent dans la formation des futurs imams dans les facultés de théologie par l’apprentissage de l’hébreu biblique et l’ouverture nouvelle que cela représente vers une autre religion du Livre dont les textes fondateurs comme l’histoire ancienne proche- orientale sont perçus comme voisins voire partiellement communs. Mais sans doute le développement de l’enseignement de l’hébreu moderne va- t- il au – delà d’un intérêt linguistique pour une autre langue sémitique : le départ des communautés juives après la décolonisation puis après les guerres israélo- arabes ne peut complètement effacer une histoire récente commune. C’est ce passé encore proche mais à un moment désormais assez éloigné des évènements pour qu’un apaisement soit possible qui peut expliquer l’engouement pour l’hébreu moderne. Les tensions au Proche- Orient et le souci de comprendre la situation israélo- palestinienne de l’intérieur avec un regard plus proche sur Israël, passant par la connaissance de la langue, la lecture directe de la presse ou des publications israéliennes, peuvent aussi être une des raisons pour lesquelles l’hébreu moderne a trouvé sa place dans l’enseignement universitaires à destination des jeunes musulmans.
Saloua Ghrissa
Institut Supérieur de Théologie de Tunis
Université de la Zaytouna
http://univers-des-news.over-blog.com/
http://tendancedesantipodes.blogspot.com/
http://www.facebook.com/photo.php?pid=141555&id=100000913129179#!/gege.rudspace.cattan
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire