vendredi 8 août 2014

Juifs de France : pourquoi ils partent en Israël...


5.000 départs prévus cette année. Ils choisissent de quitter la France pour des motifs religieux, pour fuir la montée de l'antisémitisme ou pour changer de vie. Enquête.


C'est le huitième jour de leur nouvelle vie. Un message scotché sur la porte d'entrée de l'appartement témoigne de leur arrivée récente dans ce quartier populaire de la banlieue de Haïfa, dans le nord de l'Etat hébreu : "Bienvenue en Israël. Ne shikot [bisous] avec Amour !"
Sous un ciel sans nuage, Sylvie, 42 ans, Marc, 61 ans, et leurs trois fils, Thibaud, 16 ans, Théo, 13 ans, et Youri, 5 ans, peinent à réaliser qu'ils ont fait "le grand saut", depuis leurs belles Côtes-d'Armor jusqu'aux allées bétonnées de Kyriat Haïm.
Ils ont laissé derrière eux leur maison bretonne et ses 180 arbres plantés, pour cette côte où des immeubles déglingués défigurent la Méditerranée. Eux qui ne sont pas pratiquants s'installent dans un pays religieux. Eux qui apprécient le calme débarquent dans un pays en guerre. La reprise des opérations militaires à Gaza depuis le 7 juillet dernier ne les a pourtant pas dissuadés. Tout juste espèrent-ils "que cela ne va pas trop se compliquer".
Pour le moment, ils ont choisi "le programme plage intensif" et se sentent "loin de la zone de combat", située à 150 kilomètres. Quinze jours plus tôt, un missile du Hamas atterrissait pour la première fois au large de Haïfa.
Quand on voit les dernières manifestations propalestiniennes en France, on se dit qu'on a bien fait de partir. Comment ose-t- on encore contester la création d'Israël quand six millions de juifs sont morts pendant la guerre ?" s'agace Marc.
"Sur Facebook, mes copains me demandent si je tiens le coup sous les roquettes", raconte Théo. "Ici tout va bien, je me baigne. C'est moi qui m'inquiète pour eux, avec tout ce qui se passe en France." C'est Thibaud, l'aîné, parti l'an passé avec le programme Naalé pour les jeunes juifs souhaitant terminer leurs études secondaires en Israël, qui a ouvert la voie au reste de la famille. Tous ensemble, le 16 juillet, ils ont fait leur "alya", littéralement la "montée" vers Israël, avec des centaines de coreligionnaires...
Un panier d’intégration (Sal Klita, aussi appeler "panier d’absorption") est remis à chaque Français qui vient de faire son alya ("montée vers Israël"). (Sébastien Leban pour Le Nouvel Observateur) 

5.000 départs prévus pour 2014

"On dirait l'exode !" Dans le hall du terminal 2A de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, ce jour-là, une dame blonde ne peut retenir sa surprise face à l'immense file des familles poussant des montagnes de valises. Quelques kippas, un ou deux grands chapeaux noirs laissent peu de doutes sur l'appartenance religieuse des voyageurs. Leurs destinations sont inscrites au marqueur sur les bagages : Jérusalem, Ashdod, Netanya... C'est l'été, mais l'ambiance n'est pas celle, légère, des vacances. La gravité se lit dans les regards.
Devant le comptoir d'enregistrement du vol El Al pour Tel-Aviv, 430 Français de confession juive s'apprêtent à quitter définitivement leur pays. Jamais ils n'ont été aussi nombreux. Avec 5 000 départs prévus pour 2014, la France représente même, pour la première fois, le plus grand vivier de candidats à l'émigration en Israël, devant la Russie ou les Etats-Unis, où la communauté juive est pourtant dix fois plus importante.
Les échauffourées du dimanche précédent aux abords de synagogues parisiennes, les slogans antijuifs et les drapeaux du Hamas à la Bastille sont dans toutes les têtes.
J'ai pris la décision de partir au moment des attentats de Toulouse commis par Mohamed Merah. Ca a été le déclencheur, explique Eric, 45 ans, visage fermé. La suite a confirmé la nécessité de quitter ce pays où les juifs se font attaquer. On nous parle de la guerre en Israël, mais nous, on va vers la vie !"
Il s'envole donc avec Yaël, son épouse, leur fille de 15 ans et leurs deux garçons, 11 et 4 ans, vers Netanya. Plébiscitée par les Français, la station balnéaire de 185 000 habitants est jumelée avec Nice et Sarcelles, où exploseront les violences antisémites quelques jours plus tard. Financier, Eric menait pourtant une existence privilégiée dans un quartier chic de la capitale.

Leur vie dans une cité de Pantin devenue "insupportable"

Sabine, 37 ans, Benjamin, 39 ans, et leurs quatre enfants n'avaient pas cette chance. Au fil des dernières vagues d'immigration, leur vie dans une cité de Pantin leur est devenue "insupportable". "Les "Français" ont déserté les immeubles, nous étions les derniers juifs du quartier, entourés des "voilées", nous nous sentions menacés", racontent-ils. Dès que Benjamin a trouvé un emploi de comptable en Israël, ils ont engagé les démarches auprès de l'Agence juive, l'organisme paragouvernemental israélien chargé de faciliter le "retour" des juifs, et qui finance le voyage.
L'alya, depuis deux ou trois ans, on ne parle plus que de ça dans la communauté, affirme Sabine, qui a renoncé à son emploi de préparatrice en pharmacie. La France est notre pays, un très beau pays. On sait que ça va être dur. Il va falloir apprendre l'hébreu, s'intégrer, travailler, mais l'Etat français n'a pas fait grand- chose pour retenir les juifs qui veulent partir... Depuis l'affaire de Toulouse, je vivais avec la peur au ventre. Nous connaissions la famille de l'un des petits tués. Quelle mère peut supporter de laisser son enfant dans une école qui peut être la cible d'un islamiste ? Notre avenir est en Israël, on y est bien mieux protégé. L'armée de Tsahal est magnifique."
Les yeux embués à quelques secondes de la séparation, Gislaine, la mère de Sabine, explique : "Malgré le déchirement, je les ai incités à partir. Mes deux garçons et leurs familles suivront ma fille. Moi-même et mon mari avons prévu notre propre alya pour 2015." Même s'il y a ce qu'elle appelle pudiquement "les événements" pour évoquer Gaza, elle reste persuadée qu'"ils seront mieux qu'ici".
Pour Odile, 48 ans, "mettre sa vie dans 33 mètres cubes est un crève-cœur. Mais nous sommes la génération sacrifiée pour nos enfants", conclut celle qui part en éclaireur vers la Terre promise pour ses filles, encore étudiantes en France. Si certains sont plus religieux que d'autres, tous ont "foi en Israël".

6.000 Franco-Israéliens affluent à Ashqelon

Malgré les tirs fournis de roquettes et la dégradation rapide de la situation, aucune annulation n'a été enregistrée par l'Agence juive. Même lorsque les villes de destination se situent sous le feu des missiles, comme Ashdod, ou Ashqelon, à quelques kilomètres à peine de l'enclave palestinienne. C'est d'ailleurs ici, dans cette ville du Sud, régulièrement pilonnée par le Hamas, et où il faut plonger dans un abri en moins de 15 secondes en cas d'alerte, qu'ont élu domicile Daniel Halimi, Myriam et leurs quatre enfants, les premiers sur la liste des olim (les nouveaux immigrants).
Dans cette même ville, le 22 juillet, 6 000 Franco-Israéliens affluent de tout le pays pour enterrer le soldat Jordan Bensemoun, mort au combat à 22 ans.
Funérailles à Ashqelon du soldat franco-israélien Jordan Bensemoun,
22 ans, tué au combat le 21 juillet.  
(Sébastien Leban pour Le Nouvel Observateur)
Le garçon avait émigré de Lyon à l'âge de 16 ans avec la farouche volonté de s'engager dans le corps d'élite de l'armée israélienne. "Une leçon de sionisme", déclare l'ancien ministre de la Défense Shaul Mofaz devant un parterre de militaires et de civils à fleur de peau. Au milieu des sanglots, la colère est palpable.
Salauds de journalistes, foutez le camp ! hurle une cousine du défunt. Les médias racontent n'importe quoi sur cette guerre. C'est de la désinformation."
"La France, c'est devenu l'Algérie", enrage une autre. "La mort de Jordan, ça me donne encore plus envie d'aller combattre pour mon peuple", affirme un jeune olim galvanisé.

Opération "tapis rouge"

Dès leur descente d'avion à l'aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv, l'accueil des 430 Français est triomphal. "Vous, qui montez en Israël aujourd'hui, vous êtes notre Kippat Barzel, notre Dôme de Fer", leur lance la ministre de l'Alya et de l'Intégration Sofa Landver. C'est à cet instant que commence l'opération "tapis rouge", comme on appelle les 24 premières heures d'intégration.
Ces Français reçoivent immédiatement le sal klita, un "panier d'intégration", comprenant une aide financière, une assistance pour la recherche d'un logement et d'un emploi, une formation à l'hébreu, des exemptions fiscales...
Le lendemain, dans le hall de leur hôtel à Jérusalem, un forum "premières démarches" permet de se renseigner directement sur les écoles, d'ouvrir un compte en banque, de choisir une caisse de sécurité sociale... Tout est pensé dans le moindre détail : distribution de drapeaux israéliens, de magnets estampillés "Israël, notre vraie maison", et même une garderie pour les enfants, animée par six soldats de Tsahal en uniforme, qui passeront leur journée à faire des bulles de savon et à bercer les plus jeunes.
A l'aéroport de Tel Aviv et dans le hall de l'hôtel à Jérusalem.
(Photos Sébatien Leban pour 
'le Nouvel Observateur")
L'après-midi, durant la cérémonie de remise des cartes d'identité israéliennes, entre euphorie et fatigue, les olim finissent par être emportés par l'émotion au moment de chanter pour la première fois l'hymne national. Dans le brouhaha, chacun se dirige alors vers le bus qui doit le conduire dans la ville choisie, la plupart du temps pour y retrouver des proches. C'est le dernier parcours, sur des routes parsemées de panneaux publicitaires pour la télévision i24, montrant une pluie de missiles au-dessus du slogan "le Dôme de Fer des chaînes d'info".
Comme son grand frère "aux élans un peu sionistes", à Kyriat Haïm, près de Haïfa, Théo est enthousiasmé par sa nouvelle patrie et rêve d'intégrer le Maccabi Haïfa, le club de football local, et pourquoi pas Tsahal. Tout excité, il s'enroule dans son drapeau israélien. Sylvie, sa mère, ex-institutrice, est plus anxieuse :
Pour l'instant, c'est assez facile. Nous nous sentons en vacances. Mais la réalité nous rattrapera à la rentrée de septembre, quand il faudra commencer l'"oulpan", l'école d'hébreu, chercher un travail et un nouvel appartement."
S'ils précisent "ne pas avoir fui", Marc et Sylvie disent que ce n'est pas facile d'être juif en France. "A mon travail, je ne disais pas que j'étais juif . Mais quand mes collègues l'ont su, ils se sont moqués de moi et m'ont parlé avec l'accent du Sentier", se souvient Marc, le mari. Ce sont de petites choses qui remontent à la surface : un nom au suffixe typiquement juif qu'on leur demande d'épeler avec une insistance suspecte, un enfant accusé à tort d'avoir dessiné une croix gammée par un professeur qui, "comme par hasard", déteste tous les garçons de la famille...

"Pour rien au monde, je ne retournerai là-bas"

Réel ou fantasmé, le sentiment d'insécurité ne se discute pas. Par contraste, cette "immédiate sensation de liberté" ressentie dans "un pays qui suit le calendrier juif", "le paradis du kasher", a définitivement ravi Caroline, 24 ans. L'ex-Parisienne sort de son cours d'hébreu, à l'oulpan Gordon de Tel-Aviv, où elle vit son "rêve" d'alya avec d'autres Français depuis cinq mois.
En France, on met une casquette pour cacher la kippa, en Israël on met une casquette pour éviter une insolation", plaisante-t-elle.
"J'ai moins peur des roquettes que de descendre dans le métro à Barbès", ajoute Philippe, 35 ans. "A force de se faire discret, le juif en France ne vit plus qu'à l'intérieur des murs. Pour rien au monde, je ne retournerai là-bas. Je refuse que mes enfants connaissent ce système éducatif où vous vous sentez toujours un peu à part parce que vous êtes juif." Fabienne, 54 ans, a connu l'agression antisémite dans le cadre de son travail. "Une collègue musulmane m'a traitée de "sale juive" et a ajouté que "Hitler n'avait pas fini le travail". J'ai obtenu les excuses de mon employeur, mais je suis restée choquée."


L'alya des Français est un "miracle"

Dans son spacieux bureau du centre de Jérusalem, face à sa marionnette des Guignols israéliens, Natan Sharansky se frotte les mains. L'alya des Français est un "miracle" pour le président de l'Agence juive.
Elle amène de nouveaux diplômés qui répondent aux besoins de notre société. Quel que soit le coût de départ d'un "olim", le retour sur investissement est énorme. C'est un grand mouvement, dont on peut se rendre compte par la recrudescence d' "olim", mais aussi par le tourisme, l'achat d'appartements, le nombre de jeunes qui participent à nos programmes et les 5.000 visiteurs au salon parisien de l'alya !"
Pour Sharansky, le sentiment d'insécurité et "ce nouvel antisémitisme qu'on appelle l'antisionisme" participent à cette nouvelle "montée" des Français vers Israël. "Quand des rabbins et des enseignants commencent à dire aux enfants de ne pas sortir avec une kippa dans la rue, l'heure est grave. C'est un signe d'alarme pour les juifs et pour toute la civilisation européenne."
Début juillet, de passage à Paris, l'ancien dissident russe a rencontré le philosophe Alain Finkielkraut, chantre de l'identité malheureuse.
Je lui ai demandé s'il voyait un futur possible pour la communauté juive en Europe. Il m'a répondu : "Y a-t-il un avenir pour l'Europe en Europe ?" J'en suis venu à la conclusion qu'il fallait peut-être faire venir l'Europe en Israël, puisque c'est ici qu'on arrive à concilier liberté et identité..."
L'appel à émigrer "aussi vite que possible" en Israël, lancé par Ariel Sharon en 2004 aux 500 000 juifs de France, où se répandait selon lui "un antisémitisme déchaîné", aurait-il finalement atteint sa cible ? A l'époque, les propos avaient été jugés inacceptables au sein même de la communauté juive. Depuis, l'intérêt porté par Israël aux juifs de France s'est encore accru. Un lobby parlementaire pour favoriser leur venue a été créé mi-janvier à la Knesset.

D'ici à 2017, il espère attirer 40 000 Français

Dans la foulée, le gouvernement Netanyahou a lancé un "plan d'action", "pour investir d'urgence dans la promotion de l'alya et l'aide à l'intégration des juifs de France". D'ici à 2017, il espère attirer 40 000 Français, en plus des 150 000 déjà présents en Israël. Une volonté qui devrait conduire d'ici à quelques mois à la reconnaissance de tous les diplômes d'Etat français, notamment ceux des professions réglementées (santé, expertise comptable, avocats...), pour faciliter l'immigration.
Freddo Pachter, le coordinateur des olim français de Netanya, est désormais débordé : il a dû recruter deux personnes.
Presque 1.000 Français ont été intégrés à Netanya depuis le début de l'année, dit-il. Alors que nous avions surtout des retraités, depuis deux ou trois ans, nous accueillons de plus en plus de familles."
Certains olim, comme Eric, 40 ans, chef d'entreprise dans l'informatique, pratiquent même la "Boeing alya". Alors que sa femme et ses trois enfants vivent en Israël, le chef de famille fait des allers et retours chaque semaine pour travailler en France, où les rémunérations restent plus élevées. "Nous ne nous sentions plus en adéquation avec notre identité juive, nous avons atteint le point de rupture avec la France", explique ce traditionaliste.
"C'est la fin d'un rêve d'intégration républicaine, observe le politologue Denis Charbit, professeur à l'Université ouverte d'Israël, à Jérusalem. Depuis 2000 et la seconde Intifada, les juifs de la communauté organisée se sentent en porte-à-faux avec l'opinion française sur la question israélo-palestinienne."
A cela se sont ajoutés l'assassinat d'Ilan Halimi en 2006, la tuerie de Toulouse en 2012, l'affaire Dieudonné, la tuerie de Bruxelles... Avec pour toile de fond la crise économique et le sentiment que pour les juifs "le projet France" s'épuise.
C'est une sorte de patriotisme ombrageux, un peu excessif qui se reporte sur Israël et aboutit à ce paradoxe : certains se sentent plus en sécurité dans un pays en guerre qu'en France où ils pensent que les autorités n'ont plus la capacité de les protéger. Ils se sentent pris en tenaille entre un FN qui grimpe, une extrême gauche contestatrice d'Israël et une minorité de musulmans antijuifs."
En juillet 2004, année des premiers départs groupés de Français en Israël, Sarah Abitbol et son mari faisaient partie du premier charter, dit des "200". "Ca fait deux mille ans qu'on prie pour le retour, c'était un moment heureux", raconte-t-elle.
Sioniste, issue d'une famille religieuse, cette femme de 38 ans mère de cinq enfants se félicite encore de cette alya réussie, dont l'envie lui était venue "comme une rage de dent". Sur la terre sacrée, elle a donné naissance à ses deux derniers enfants, Adam, 4 ans et demi, et Ava, 3 ans, clin d' œil aux Adam et Eve de la Bible pour symboliser sa propre renaissance israélienne.
A Netanya, Sarah tient aujourd'hui une épicerie fine de produits français très courue. "Je suis fière d'être venue avant cette vague, parce qu'à cette époque la France allait bien. On est partis la tête haute. Aujourd'hui, dix ans plus tard, quelle aurait été ma situation ? Est-ce que j'aurais été obligée de fuir ma France ?"

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