Najat Vallaud-Belkacem se rend ce mercredi au lycée Jacques-Decour à Paris pour intéresser autrement des lycéens au souvenir de la Seconde Guerre mondiale.
Ce n'est pas dans un lycée comme les autres que la ministre de l'Éducation nationale va pénétrer ce mercredi matin. Jacques-Decour, au pied de la butte Montmartre, où l'auteur de ces lignes eut l'honneur d'enseigner au mitan des années 1990, fut en effet le seul établissement scolaire débaptisé après la guerre, afin de recevoir le nom d'un des résistants les plus prestigieux, mais aujourd'hui quelque peu oublié, qui y avait enseigné l'allemand alors que l'établissement s'appelait encore Rollin.
Qui se souvient en effet que Jacques Decourdemanche (son vrai nom), jeune agrégé d'allemand, fut le premier en France à tirer la sonnette d'alarme du nazisme avec un livre publié chez Gallimard, en 1932, Philisterburg, inspiré de son expérience de jeune professeur à Magdeburg ? Qui se souvient qu'il dirigea La Pensée libre, la revue la plus influente de la Résistance, qui revivra après qu'il ait été fusillé en 1942 sous le titre Les Lettres françaises ? Qui se souvient qu'en 1945,Aragon, son ami proche, préfaçait un recueil de lettres intitulé Comme je vous en donne l'exemple, en référence à ses dernières pensées rédigées avant le peloton d'exécution où il songeait à l'Egmont de Goethe qu'il avait traduit : « pour sauver ce que j'ai de plus cher, je tombe avec joie, comme je vous en donne l'exemple » ?
Résistant et communiste : voici deux éléments qui vous condamnent en ces temps-ci à un purgatoire plus que certain.
Ceux qui s'en souviennent n'ont peut-être pas oublié le remarquable ouvrage de Bertrand Mathot, La Guerre des cancres (Perrin, 2010), préfacé par Patrick Modiano, qui évoquait, archives à l'appui, les engagements multiples et variés des élèves de l'époque ou de l'immédiate avant-guerre du lycée Rollin.
Du côté des victimes, Hans Helmut, qui inspira à Louis Malle, également pensionnaire, Au revoir les enfants, du côté des résistants en devenir, Henri Alleg, le futur auteur de La Question, Edgar Morin, Dyonis Mascolo, le premier époux de Marguerite Duras, du côté des esprits collaborationnistes, Robert Hersant, ou tel élément de la division Charlemagne.
À qui sera confiée la mémoire des uns et des autres ?
Ce n'est pas non plus un geste comme les autres auquel vont assister les élèves de ce lycée parisien en présence de la ministre : la remise du drapeau du Comité d'action pour la résistance à cette jeunesse qui incarne l'avenir du pays. On associe généralement ce genre de cérémonies à un public dont la moyenne d'âge dépasse largement les 80 ans. Le Souvenir français et son président, Serge Barcellini, ont eu l'idée d'inverser la pyramide des âges, de confier le passé aux jeunes et de mettre en scène littéralement une passation de flambeau ô combien symbolique en direction des nouvelles générations.
La question agite en effet les esprits depuis quelque temps. Comment fera-t-on quand dans quelques années, tous les témoins de la Seconde Guerre mondiale auront disparu ? À qui sera confiée la mémoire des uns et des autres ? Il faudra bien des relais, des porte-drapeaux. Nul doute que ce relais d'un nouveau genre frappera les esprits de ses jeunes participants.
Le choix du drapeau n'est pas anodin non plus. Si les derniers membres de ce Comité d'action pour la résistance sont passablement nonagénaires, ils représentent un mouvement dirigé en son temps par Georges Bidault, Daniel Mayer, qui fut créé en 1948 lorsque l'esprit de la Résistance, du CNR et de la Charte de 1944 (voir notre dossier dans le Point ) commençait justement à s'effilocher.
Au-delà du symbole, on espère que cette remise de drapeau sera l'occasion pour quelques milliers de jeunes de s'intéresser de visu, en chair et en os, à Decour, ses amis et ses combats. Voilà un Pokémon très rare qui va faire son entrée dans ce lycée !
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