lundi 17 septembre 2018

Souviens-toi de nos enfants, Samuel Sandler (avec Émilie Lanez), par Gilles Banderier....


Ingénieur aéronautique, Samuel Sandler n’avait pas vocation à écrire des livres et surtout pas ce livre-là. Mais il arrive un moment où il faut savoir rompre le silence et briser l’oubli.

Le patronyme de Sandler est entré brutalement dans l’actualité le 19 mars 2012, lorsque Jonathan Sandler et ses deux fils, Arié et Gabriel, furent exécutés (il n’y a pas d’autre verbe qui corresponde aux faits) devant une école de Toulouse, par un mystérieux individu juché sur un scooter. 
Cet individu, Samuel Sandler refuse de le nommer, mais chacun sait de qui il s’agit. Quelques jours plus tôt, ce lâche avait également exécuté des militaires, désarmés, cela va de soi. Puis, notre intrépide soldat du Prophète, soucieux de mériter les soixante-dix ou soixante-douze vierges que sa religion lui a promises au bout de sa route, et n’écoutant que son courage, dirigea sa haine des Juifs et de la France contre l’école Ozar Hatorah de Toulouse. 
Outre Jonathan Sandler et ses fils, le viril et valeureux héros de l’islam (religion de paix et de tolérance, comme l’actualité le montre régulièrement), abattit encore une petite fille de neuf ans, Myriam Monsonego, qui avait fui moins vite que les autres car elle avait voulu récupérer le cartable contenant ses chaussons de danse.
La fausse piste de l’extrême-droite fit perdre aux enquêteurs un temps précieux (on se souvient avec émotion du pépiement sincère de Nicolas Chapuis, ci-devant journaliste au Nouvel Observateur et à présent au Monde, lorsque fut révélé le nom de Mohamed Merah : « Putain je suis dégoûté que ce ne soit pas un nazi ». Rien sur les victimes, bien sûr).
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Dans les heures maudites qui suivirent, Samuel Sandler vécut la tragédie des survivants : le coup de téléphone annonciateur de la catastrophe, le voyage précipité à Toulouse, l’école où enseignait son fils remplie de policiers et de pompiers, les condoléances de Nicolas Sarkozy, dans un débarras, entre des piles de tables et de chaises, l’hôpital, le rabbin de Toulouse (un homme jeune) qui assiste à l’autopsie des enfants, la vue des corps rendus présentables par les soins de spécialistes de la mort, le retour vers Paris, l’inhumation à Jérusalem (décision prise par on ne sait qui), le manque de tact militant de certains politiciens (Alain Juppé, puisqu’il faut l’appeler par son nom), les bousculades sur les pentes chauffées à blanc du Mont des Oliviers. 
À Jérusalem, on attire l’attention de Samuel Sandler sur une coïncidence invraisemblable (mais peut-on parler de coïncidence à ce niveau d’improbabilité ?) : la liturgie synagogale divise l’ensemble de la Torah en autant de péricopes qu’il y a de semaines dans l’année. Le texte correspondant à la naissance de Jonathan Sandler, au jour de sa bar-mitsvah et à celui de sa mort était le même, les dernières paroles de Moïse, où on lit notamment : « Au dehors, l’épée fera des victimes, au-dedans, ce sera la terreur : adolescent et jeune vierge, nourrisson et vieillard. J’aurais résolu de les réduire à néant, d’effacer leur souvenir de l’humanité » (Deutéronome / Devarim, 32, 25-26 ; traduction Bible du Rabbinat). 
Lorsque Samuel Sandler regagne la France, l’élite de la police nationale a fait le nécessaire pour que Merah ne connaisse ni la tentation de la récidive, ni la joie des aménagements de peine. La perpétuité, chacun le sait, est bonne pour les victimes. La peine de Samuel Sandler, comme celle des autres parents, ne sera pas aménageable.
On ne peut pas affirmer que le pire était encore à venir. Il n’y a pas pire, mais Samuel Sandler se rendra compte que, contrairement à une idée reçue, il est possible d’assassiner les gens plusieurs fois. La seconde fois, ce ne sera plus sur un trottoir, mais dans un lieu en principe solennel, un tribunal, lors du procès d’Abdelkader Merah, le frère de l’assassin. Les comptes rendus publiés par la presse et, surtout, le hors-série de Charlie-Hebdo, donnent une idée écœurante de ce qui a pu se dire, non pas au fond d’une cave sordide dans une banlieue « perdue », non sous le lâche anonymat des réseaux « sociaux », mais dans un prétoire de la République. 
Le plus flamboyant des pamphlétaires d’extrême-droite (en supposant que l’espèce n’ait pas entièrement disparu) n’aurait pas osé inventer le véritable numéro de cirque auquel se sont livré la mère de Merah et son avocat, MeDupont-Moretti. À tout prendre, Eichmann et son propre avocat, le vieux MeServatius, avaient en leur temps fait preuve d’une autre dignité. Au procès de Nuremberg, les maîtres du Troisième Reich furent terrifiés lorsque la cour fit projeter un documentaire tourné dans les camps de la mort. Certains s’effondrèrent (que croyaient-ils avoir signé pendant toutes ces années ?). Lors du procès d’Abdelkader Merah, il n’y eut ni larmes, ni cris, en tout cas de la part de l’accusé. On eut droit en revanche à tous les poncifs du prêchi-prêcha sociologique à valeur d’excuse absolutoire. Quelques instants de réflexion suffisent à se rendre compte que ces « explications » par déterminisme social sont aussi idiotes que celles proposées au XIXesiècle par la « science » des bosses du crâne. 
Que certaines choses aient pu être dites lors de ce procès sans que la personne qui les proféra se fît rouer de coups ou enduire de peinture montre, mieux que toute autre démonstration, l’effondrement des défenses immunitaires de notre société (le « sida mental » évoqué par Louis Pauwels), dont un symptôme parmi d’autres est l’inversion de la dialectique du coupable et de la victime (désormais, comme Samuel Sandler l’apprendra, le coupable est victime et la victime est coupable). Qu’on ait tué des enfants juifs parce qu’ils étaient Juifs est au-delà de l’indignation. Le scandale est que Merah soit devenu une idole de la jeunesse dans les « quartiers » ; le scandale est qu’il se soit trouvé des gens pour déplorer qu’on l’ait abattu, tandis qu’avec un bon procès, un avocat talentueux comme MeDupont-Moretti et un juge d’application des peines complaisant (l’expression frôle le pléonasme), il aurait été libre au bout de huit ans d’une réclusion paisible, adulé par ses co-détenus, et serait revenu à Toulouse en héros.
Un coup d’œil sur le site des éditions Grasset (deux jours avant la parution) montre que le titre de ce livre ne s’est pas imposé tout de suite : l’ouvrage s’est intitulé Souviens-toi des jours anciens(l’expression qui apparaît page 120 vient également de la péricope du Deutéronome 32, 7) ou Si Dieu n’existe pas. Il est question de l’éclipse de Dieu à la page 44, une idée chère à la religion juive. Le judaïsme ne s’engage pas contractuellement à fournir un lot de femmes vierges à des assassins. En revanche, il affirme que l’être humain est responsable du bien et du mal qu’il cause dans le monde (« Tout homme a la possibilité d’être un juste comme Moïse, notre Maître, ou un méchant à l’instar de Jéroboam, un sage ou un sot, un cœur tendre ou une âme cruelle, un avare ou un prodigue et ainsi pour tous les autres penchants. Et il n’est personne qui le contraigne ou qui prédétermine sa conduite, personne qui l’entraîne dans la voie du bien et dans celle du mal. C’est lui, en réalité, qui de lui-même et en pleine conscience, s’engage dans celle qu’il désire. […] le Créateur ne prédétermine pas l’homme à être juste ou méchant. 
Ceci admis, il en découle que c’est le pécheur lui-même qui cause sa propre ruine », Maïmonide, Le Livre de la connaissance, V, 5, trad. V. Nikiprowetzky et A. Zaoui). Pour qui commet le mal, il n’y a pas de circonstances atténuantes. Seule la pure volonté est en jeu. Nous sommes aux antipodes de la culture de l’excuse promue par l’anti-racisme dévoyé et dogmatique, que les islamistes ont su remarquablement exploiter et derrière lequel le « nouvel antisémitisme » (en fait aussi ancien que le Coran) s’est longtemps avancé masqué. Le livre de Samuel Sandler est un ouvrage émouvant et important. On aimerait, en le refermant, pouvoir se dire que le pire est passé. Ce n’est pas certain.

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