lundi 6 août 2018

Joël Robuchon, le beurre et l’argent du beurre....Par Pierre Carrey !


Mort lundi à 73 ans, le chef multiétoilé et télévisé a incarné la cuisine à la française : ses traditions et sa ringardise à certains égards. Malgré une carrière de businessman et un travail de transmission, il laisse l’empire Robuchon sans héritier désigné.

Des dizaines de restos et d’étoiles, une idée terrestre de la perfection, un souci névrotique du détail, mais Joël Robuchon, le chef français planétaire mort lundi des suites d’un cancer à 73 ans à son domicile à Genève, survivra auprès du grand public avant tout pour une plate phrase. Cinq mots : «Et bon appétit bien sûr !» C’était le titre de son émission télé avant l’heure du rôti (de 2000 à 2009 sur France 3) ainsi que le slogan de fin. La cuisine était encore sérieuse comme la messe. Opéra italien pour le générique, plaques d’inox et bouquets garnis, caméras fixes, technique glaciale dans les gestes ou les commentaires. Robuchon terminait toujours avec sa célèbre formule et un sourire crispé.
(FILES) In this file photo taken on May 18, 1984, French chef Joel Robuchon poses holding a fish in Port Grimaud, southeastern France.
Joel Robuchon, the world's most-starred Michelin chef who tore down kitchen walls to give diners new insights into the art of haute cuisine, has died at 73, a French government spokesman said on August 6, 2018. / AFP PHOTO / -
Le 18 mai 1984 à Port-Grimaud (Var). Photo AFP

Une pointe d’amertume

Né en 1945 à Poitiers, d’une mère au foyer et d’un père maçon, Joël Robuchon aurait voulu devenir architecte pour élever sa condition sociale mais fut envoyé au petit séminaire à 12 ans. C’est au contact des religieuses qu’il découvrit la cuisine. Le parcours qui suit est une accumulation de succès, qui confirme l’ambition de l’homme depuis l’école primaire : «Toujours être le premier». Robuchon est meilleur ouvrier de France (1976), triple étoilé (1984) qui va peu à peu grossir le score d’un zéro - ses établissements obtiennent entre 24 et 32 macarons Michelin, selon les moments où l’on fait le calcul. Le Gault et Millau le sacre «chef du siècle» en 1990. Le Herald Tribune, la version européenne du New York Times, estime quatre ans plus tard que son restaurant parisien, fermé depuis, est «le meilleur du monde». Sans jamais fléchir, Robuchon s’impose ensuite en rénovateur du très haut gourmet, à travers ces «ateliers» qu’il fait pousser sur trois continents, dérivés des bars à tapas espagnols, avec cuisine ouverte, tabourets hauts et files d’attente kilométriques. Couronne suprême, délice espiègle, il est l’empereur de la purée de pommes de terre, sa spécialité conçue dans les années 80 comme l’anti-Mousseline en sachet, ce plat du pauvre qu’il bourre de beurre et vernit de luxe - retour à la simplicité et exaltation des petits riens, génie marketing redoutable ou transgression politique ?
Derrière ce sans-faute apparent, Joël Robuchon a souffert pour fixer sa place dans l’histoire de son métier. Né à la mauvaise date. Il était dix ans plus jeune que les pionniers de la «nouvelle cuisine», Alain Chapel ou le moins connu Jean Delaveyne qui furent ses mentors, ces soixante-huitards de droite qui ont dégraissé les livres de recettes et envoyé le cuisinier sur les couvertures de magazine. Trente ans plus vieux que les cuistots se réclamant du cool et de l’instinct. Il s’est alors bricolé une image dans le star-system que lui ont légué les anciens et dans l’univers des écrans et des tablettes des nouveaux, sans vraiment appartenir à aucun des deux mondes. Des deux côtés et comme l’inévitable revers de son excellence technique : ringard.
Une pointe d’amertume ressortait quand le Poitevin encensait Londres comme la véritable capitale des gourmets ou l’Espagnol Ferran Adriá, prince controversé du «moléculaire», comme son fils spirituel. Ou encore lorsqu’il s’attaquait à l’un de ses confrères : «Je ne suis pas [Alain] Ducasse avec cinq, six attachés de presse. Ducasse est un homme d’entreprise. Il adore les affaires. Il est affairiste. […] Sur le plan humain, la qualité morale de l’homme, je m’interroge, mais j’ai beaucoup d’admiration pour le professionnel» (cité dans le Livre noir de la gastronomie, Flammarion, 2012). La critique était celle de son reflet, car Joël Robuchon avait, lui aussi, une faim d’entrepreneur et un don d’ubiquité. Implanté à Montréal, New York, Las Vegas, Miami, Londres, Paris, Genève, Monaco, Tokyo, Shanghai, Hongkong, Taipei, Macao et Bangkok, selon les points rouges d’une mappemonde qui clignote sur son site officiel, lui trônant devant, tout de noir vêtu.
Joël Robuchon dans son atelier à Paris. Photo Bieke Depoorter. Magnum Photo

Le réseau

Hors restos, Robuchon a coopéré avec l’agrobusiness (conseiller de Fleury Michon ou de Carrefour) et la télé (il siégeait notamment au jury du Top Chef espagnol et a fait une dernière apparition dans la version française de l’émission, au printemps, dans une épreuve sur la pomme de terre, forcément). Il a vendu des cédéroms de recettes en Israël et son image à Sony au Japon. Guy Job, son producteur télé, affirmait qu’il était «aussi connu que Johnny» dans l’Archipel. «C’était un peu le Steve Job de la cuisine», décrit à Libération le chef toulousain Michel Sarran (lire page 3). En 2012, le groupe Robuchon pesait 75 millions de bénéfices selon Challenges, plus que les affaires de Paul Bocuse (53 millions), mais moins que celles de l’éternel rival, Alain Ducasse (120 millions). D’après le Figaro, le réseau Robuchon, jusqu’alors financé par des investisseurs américains notamment, aurait été cédé à des repreneurs britanniques et luxembourgeois, ces derniers mois, le chef malade organisant la fin de ses possessions plutôt que sa succession, impossible sans enfant versé dans la marmite ni disciple reconnu.
«Attention, Joël Robuchon faisait des affaires, mais il est resté cuisinier jusqu’au bout.» C’est Pierre Gagnaire, autre pluriétoilé, qui prend sa défense : «Il était d’une précision diabolique. Il a réinventé [Auguste] Escoffier», le père de la grande cuisine française (1845-1936). Ses assiettes étaient les mieux dressées de son temps, ses sauces équilibrées en croisées d’ogive, ses goûts tranchés, par exemple dans sa tarte aux truffes ou sa gelée de caviar au chou-fleur, un luxe assumé, tradition française au cordeau. Gordon Ramsay, le chef écossais qui hurle à la télé, fut élève de Joël Robuchon. Il résume : ses services revenaient à «travailler pour les SAS», les forces spéciales britanniques. Evocation pudique de la brutalité qui sévissait parmi le personnel, autre reste d’une certaine «tradition».
Retraité en 1996, pour éviter le surmenage mortel de certains collègues, Robuchon avait rendu ses étoiles. Puis il avait entamé une seconde carrière plus décroissante en 2003. Son Atelier, ouvert à Paris et dupliqué ailleurs, anticipait un air du temps : moins de cérémonial dans le service, moins de personnel et moins d’euros sur l’addition. «JR» virait punk, osant dans l’Express «La grande cuisine française m’emmerde.» Dix ans plus tard, il épurait encore. Annonçant qu’il renonçait au foie gras pour ne pas cautionner la souffrance animale (2013), préconisant des ingrédients santé, des antioxydants, moins de sel ou des cuillerées d’épices (2014), développant à toute force les plats végétariens et sans gluten comme ceux qu’ils voulaient servir en Inde, à Bombay - projet avorté -, une somme d’intuitions foudroyantes, pas si mal pour un supposé vieux jeu de la cuisine.
Masterchef, saison 3. Test de reproduction en présence du chef invité Joel Robuchon. Sebastien Demorand, Yves Camdeborde, Pierre.
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 Robuchon, Joel; Camdeborde, Yves; Demorand, Sébastien
Outre Bon appétit bien sûr, il a participé à des télécrochets comme Masterchef (ci-dessus) et Top Chef. Photo CDM. Starface

Marque vivante

Ancien compagnon du devoir, franc-maçon (Grande Loge nationale de France), Robuchon voulait prendre sa part dans la longue transmission des savoirs. Via un «Institut» dans la Maison Dieu de Montmorillon (Vienne), dans son berceau d’origine, une école de gastronomie et d’hôtellerie soutenue par des sponsors chinois, pour un coût prévu de 65 millions d’euros, et dont l’avenir est désormais en suspens. Via des dizaines de livres traduits en diverses langues. Ses émissions d’une douce langueur étaient, de même, destinées à démocratiser quelques grands plats du panthéon français. Même si elles ont surtout contribué à le faire passer de cuistot à patron d’entreprises, puis à marque commerciale vivante et enfin à héros malgré lui d’une sous-culture. Sa célèbre phrase a été digérée par tous, retraités, familles et ados compris, puisque les animateurs de Fun Radio l’ont détournée pour clore des récits cochon dans leur libre antenne du soir, laissant grandir une génération plus ou moins gastronome pour qui tout autre chose vient à l’esprit que la raviole de langouste du maître, au son de «Et bon appétit bien sûr !»
Pierre Carrey

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