jeudi 1 décembre 2011

La vie pour de vrai à Jérusalem...




La vie pour de vrai à Jérusalem

Interview de Guy Delisle, auteur de la BD "Chroniques de Jérusalem" (Éditions Delcourt)

Sous ses faux airs de gentil garçon se retrouvant plus souvent qu’à son tour avec les marmots dans les pattes (tandis que sa compagne, dans l'humanitaire, panse les plaies du monde), Guy Delisle croque la géopolitique au rayon BD. Interview à l’occasion de la sortie de sesChroniques de Jérusalem.

Il a beau se plaindre à longueur de pages qu’il ne fiche rien « bdéistement parlant » depuis son arrivée au Proche-Orient et tenter de nous apitoyer avec ses hilarants petits tourments de père au foyer, ce dernier opus est le plus long, le plus précis et le plus captivant des quatre carnets de voyages autobiographiques deGuy Delisle. Dans Shenzhen (2000) et Pyongyang(2003), le décalage culturel saisissant tout expatrié dans ces contrées lointaines occupe l’essentiel des cases. Puis, avec Chroniques birmanes (2007) un pas est franchi. L’observateur candide a aguerri son regard, trouvé du plaisir dans la pédagogie, s’est documenté : on entre de plain-pied dans le système birman, la dictature de la junte, tutoyant presque Aung San Suu Kyi.

Si aucun de ces régimes ne lui avait rendu le croquis facile, l’épopée s’avère encore plus complexe à relater à Jérusalem. D’autant que la petite famille - Nadège, administratrice à Médecins Sans Frontières, Guy (Delisle), Louis et Alice (6 et 3 ans) - y séjourne au moment de l’élection d’Obama puis de l’opération militaire israélienne « Plomb durci » à Gaza… Un dessin au trait noir, quelques mots concis dans une bulle, une flèche de-ci, de-là : voilà tout ce dont l'auteur dispose pour décrire, sans le juger et autant que possible avec humour, l’un des conflits les plus anciens et les plus passionnés de la planète. Pour narrer, aussi, la vie quotidienne de populations à bout de fatigue et d'espoir. Impossible de décrocher avant la fin.

L’aspect documentaire est prégnant. On découvre une ville et un conflit racontés à travers votre vécu. Comment qualifiez-vous ce genre, peu représenté dans le roman graphique ?
Il y a en effet la ville, coupée en deux entre Israël et la Cisjordanie, ses monuments et points de vue secrets, son mur à la fois terrible et très graphique, ses quartiers juif, musulman, chrétien et arménien (tous représentés sur l’esplanade des Mosquées NDRL), l’abondance de fêtes religieuses qui compliquent sacrément le calendrier… Mais aussi, le fossé existant entre Tel Aviv et une ville comme Hébron, où Palestiniens et Israéliens s’envoient des pierres d’une fenêtre à l’autre… On est forcé d’entrer dans les détails, d’expliquer, car s’enchevêtrent ici les conflits de territoire, de religion et de politique. C’est une fresque, un voyage immobile.

En tout cas, on ne voyait pas Ramallah de cette manière !
Oui, c’est une ville avec des bars et des mœurs assez libres, contrairement à l’image véhiculée dans les médias.

Pour la première fois dans cet ouvrage, malgré votre prudence et même une certaine résistance à « entrer en politique », on perçoit votre position…
Sans doute que le fait d’en dire davantage sur la réalité locale trahit un peu de moi-même. Je suis d’une sensibilité de gauche. Ceci dit, on a rencontré sur place beaucoup de Juifs de gauche pour qui les colonies constituent une erreur pour Israël, en plus de rendre la vie insupportable aux Palestiniens. Comme les gens deBreaking the silence et de nombreux intellectuels. En général, sans être « pro-Palestiniens », aucun de ceux qui ont été durablement confrontés à cette situation ne se dit que tout est formidable et doit continuer comme ça !

"J’aimerais proposer une expérience"

Que s’est-il passé au moment du « Plomb durci », en 2009 ?
Les humanitaires, beaucoup de médecins, ont accouru de toutes parts, prenant sur leur temps et leurs moyens, pour très souvent rester bloqués à Jérusalem et ne parvenir à gagner Gaza qu’à la fin de leur séjour. Les bombardements s’y succédaient, les bâtiments étaient détruits, les Gazaouis blessés ou tués, tandis que la vie continuait tranquillement à 50 kilomètres de l’autre côté du mur.

Prochaine destination ?
Nulle part ! Je travaille sur l’histoire d’un humanitaire qui a été kidnappé en Tchétchénie. Il est resté trois mois attaché à un radiateur puis a réussi à s’échapper. Je voudrais qu’au fil des pages, on sente l’enfermement, que l’on se focalise, comme lui, sur de toutes petites choses - les bruits, la nourriture... - que l’on comprenne comment on fait pour tenir et qu’on ait envie d’en sortir.

En quoi la BD est-elle le medium pour un tel récit ?
Il y a beaucoup de non verbal dans le roman graphique. Autant il est très difficile de parler de l’ennui au cinéma, par exemple, autant c’est possible dans la BD grâce au mouvement des pages qu’on tourne. À défaut d’action ou de dessins spectaculaires, j’aimerais proposer une expérience. Je voudrais que le lecteur ressente la frustration du captif, qui est réelle et se passe de mots. Comme dit Florence Aubenas : « Cela dure longtemps, mais on n’a rien à raconter quand on rentre !»

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